Lecture: La main cachée (une autre histoire de la Révolution française), Edmond Dziembowski, Perrin 2023

Edmond Dziembowski, professeur à l’université de Bourgogne-Franche-Comté, propose une lecture novatrice de la Révolution française, dénonçant les approches simplificatrices de ses origines. Sa vision procède de l’analyse de multiples ouvrages à succès, parus au XIXe siècle, cherchant à pointer du doigt les responsables et coupables de cette révolution et surtout de la Terreur.

E. Dziembowski se montre critique envers l’œuvre d’Augustin Barruel, prêtre jésuite âgé de 56 ans au début de la Révolution, auteur de Mémoires pour servir à l’Histoire du jacobinisme, paru en 1798 ayant servi de référence à de nombreuse réflexions sur la Révolution. Ce livre de 1600 pages attribue le jacobinisme à la franc-maçonnerie et notamment au Grand-Orient de France.

Dziembowski montre, à l’encontre de cet ouvrage célèbre, comment les Loges qui comptaient environ 50 000 adeptes en 1789 en France étaient implantées dans les villes de province mais peu présentes dans la capitale où rien ne permet de démontrer leur influence décisive sur le processus révolutionnaire et son engrenage sanglant conduisant à la Terreur et la Grande Terreur.

Ainsi, Edmond Dziembowski pourfend un cliché largement partagé expliquant les évènements de 1789 à 1794 par une sorte de complot ourdi par les philosophes des Lumières (eux-mêmes porte-parole de la franc-maçonnerie selon les thèses de Barruel) qui auraient préparé sciemment la Révolution à travers leurs écrits. « Dans ce processus, les Lumières du siècle ne jouèrent qu’un rôle indirect. Elles furent aussitôt trahies par ceux-là mêmes qui se réclamaient d’elles. » Voltaire, Montesquieu et Diderot, souligne-t-il avec beaucoup de justesse, eussent été absolument révulsés par les dérives sanguinaires de la Terreur. Ils n’ont jamais envisagé ni prôné, aucun d’entre eux, la politique de la « table rase« .

Que Robespierre se soit réclamé abondamment de Jean-Jacques Rousseau est une chose. Seulement, il ne fait guère de doute selon l’auteur, que Jean-Jacques, chantre de la solitude et de l’amour de la liberté, pourfendeur de tout despotisme, eût été horrifié par le tribunal révolutionnaire, les crimes de la guillotine, de la Vendée et de Lyon. Robespierre lui a rendu un bien mauvais service par cette récupération abusive, en l’associant, malgré lui, à sa dérive sanguinaire au nom d’un Contrat social dont Jean-Jacques n’a jamais conçu qu’il pût servir à légitimer des atrocités. [Un point de vue entièrement partagé, même si, selon moi, certaines formules du Contrat social se prêtaient à cette récupération telle que : »Nous les forcerons d’être libres »].

Un par un, Edmond Dziembowski démonte certains clichés habituels sur les causes de la Révolution l’influence de la franc-maçonnerie, mais aussi du protestantisme ou de l’Angleterre. Il pourfend l’idée de complots factieux fomentés contre la monarchie française par Turgot, Necker ou le Premier ministre britannique Pitt.

En revanche, il souligne l’influence fondamentale de tout un courant pseudo philosophique ou pseudo-littéraire qui s’est affirmé à la veille des événements en se réclamant faussement de la tradition des philosophes des Lumières.

« Loin d’avoir été l’héritière des plus belles pages de la pensée du siècle, 1789 aurait été l’enfant d’une « tourbe de grimauds sans pain, sans renommée et sans talent », venus de leur lointaine province avec le naïf espoir de devenir les nouveaux Voltaire, les nouveaux d’Alembert. Voyant le succès leur tourner le dos, ces raisonneurs médiocres et pédants se mirent à déchanter et à s’aigrir. Et, de cette plèbe littéraire surgirent alors « les tigres et les panthères contre la race humaine » qu’on vit à l’œuvre pendant la Révolution […] la carrière de l’aventurier des lettres Charles Théveneau de Morande est très éloquente en la matière […] Cette suite informe de prétendues révélations sur les turpitudes sexuelles du roi, des ministres et de la cour nous dépeint un monde corrompu jusqu’à la moelle. » Ces écrits d’une rare violence, mauvaise foi et vulgarité (« rousseauisme vulgaire« ) furent un immense succès de librairie et contribuèrent, bien plus que les philosophes des Lumières, à préparer la déferlante de haine exterminatrice et les fleuves de sang qui en ont résulté.

Une synthèse magistrale, sans précédent…

MT

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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9 commentaires pour Lecture: La main cachée (une autre histoire de la Révolution française), Edmond Dziembowski, Perrin 2023

  1. nicolasbonnal dit :

    Tocqueville écrivait contre la théorie du complot : « Je ne dis pas qu’il n’y eût pas dans tout le cours du dix-huitième siècle des sociétés secrètes et des machinations souterraines tendant au renversement de l’ancien ordre social Mais ce dont je suis convaincu, c’est que les sociétés secrètes dont on parle ont été les symptômes de la maladie et non la maladie elle-même, ses effets et non ses causes. Le changement des idées qui a fini par amener le changement dans les faits s’est opéré au grand jour par l’effort combiné de tout le monde, écrivains, nobles et princes, tous se poussant hors de la vieille société sans savoir dans quelle autre ils allaient entrer. »

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  2. nicolasbonnal dit :

    Texte ridicule de politiquement correct sur une thèse digne de la Cancl Culture. Barruel n’a jamais rien représenté et Tocqueville l’avait remis à sa place dans sa lettre au m

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  3. Anonyme dit :

    Si cet auteur a raison, ce qui n’est pas absolument démontré, il y aurait des rapprochements à faire avec notre époque ou les révolutionnaires en peau de lapin de la Nupes ressemblent bien, ne serait-ce que son chef, à ce Charles Théveneau de Morande.. Dieu nous préserve de l’arrivée au pouvoir de cette clique de médiocres haineux et assoiffés d’honneur, de pouvoir et de vins si on en croit ce qui se dit à la buvette de l’assemblée nationale…

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  4. Sganarelle dit :

    Il y a pléthore de théories concernant les origines et les causes de la révolution, elles sont aussi multiples que valables , la raison conduit à penser qu’il s’agit non pas d’un «  complot » qui est le mot à la mode mais d’un concours de circonstances qui se trouvant toutes réunies permet de faire éclater une situation au grand jour. Il est plutôt fort probable que chacun des protagonistes ou chacune des situations en cause n’aurait pu arriver seule jusqu’à la terreur; mais si on ajoute un roi débonnaire loin du machiavélique Louis XI et de la fermeté de Louis XIV ( qui n’auraient pas craint de réprimer violemment les soulèvements populaires si nécessaire,) on a les ingrédients indispensables à un bouleversement révolutionnaire.
    Tout comme pour les pièces de Moliére soi disantes écrites par Corneille comme pour Shakespeare qui n’aurait jamais existé tous les historiens ont leur théorie sur la révolution suivant leurs opinions politiques et peu sont impartiaux , Ainsi parmi les «  lumières » on oublie que Voltaire était royaliste et que son combat dirigé contre l’église admettait la possibilité d’un «  grand horloger » qui ordonnait le monde.
    Chaque théorie est complexe comme l’âme humaine , donc intéressante mais ce n’est pas le dernier qui a parlé qui a raison . Il coulera encore beaucoup d’encre pour tenter d’expliquer pourquoi et comment une situation qui comporte tous les ingrédients de la révolte peut dégénérer et exploser tout d’un coup
    Nous essayons de trouver dans notre présent des similitudes avec le passé mais hors la nature humaine qui ne change pas , l Histoire quoi qu’on en dise ne ressert jamais les mêmes plats.

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  5. Monique dit :

    Très bonne critique du Figaro du 1/03/23 sur ce livre , passionnée par cette période de l’histoire, j’ai bien envie de le lire, la Révolution française par qui nous est arrivé tout ce mal (ça n’engage que moi) la rouge , la sanglante, l’impitoyable, la barbare et c’est en son nom que tant de crimes furent commis derrière son paravent « c’est au nom du peuple » que ces criminels ont agi et parlé en son nom. Un peuple hystérique, affâmé, misérable, ployant sous les dimes mais rien à voir avec nous, peuple de la civilisation du 21e siècle !
    L’assassinat de la famile royale est une tache dans l’histoire, et c’est sous cette Marseillaise vénérée (dont le sang impur abreuve nos sillons) la Terreur sous l’impulsion de Robespierre (qui a sa station de métro ligne n° 9) les arrestations arbitraires, les exécutions sommaires et les massacres se succèdent, faisant régner la peur parmi ceux qui s’opposent, c’est cette révolution là que nos élites révolutionnaires de salon chérissent et glorifient.

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  6. Valukhova dit :

    Bonsoir Monsieur Maxime, j’ai eu beau orner de mon prore commentaire auprès d’une personne GLFF, mon mail a été refusé. Qu’est-ce que cela veut dire ? Je ne sais pas. Pouvez-vous m’éclairer ? Merci et meilleures salutations. Michèle

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  7. there dit :

    Merci pour ce conseil de lecture . Je vais m’empresser d’acheter , quand bien même les thèses ne feront que renforcer ce que je pense ^^ .

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  8. Gerard Bayon dit :

    Bonjour à toutes et à tous,
    « Dans ce processus, les Lumières du siècle ne jouèrent qu’un rôle indirect. Elles furent aussitôt trahies par ceux-là mêmes qui se réclamaient d’elles.  »
    Et pourtant, il me semble que les Lumières ne se sont jamais cachés de rejeter la monarchie absolue et s’appuyant notamment sur le très long règne autoritaire de Louis XIV.
    On peut bien sûr, et c’est tout l’intérêt de ce livre au travers de votre présentation, rechercher d’autres éléments qui ont participé à l’explosion sociale d’alors mais rappelons nous quand même les évènements « incontournables ».
    Louis XVI était un roi faible , incapable de régler la crise financière et l’endettement abyssal du pays . Il y eut également la révolte des parlements notamment celui de Paris, qui en refusant d’enregistrer les édits se sont violemment opposés au roi sans autorité et incapable de réagir comme l’avait fait son aïeul.
    Sans doute ne faut-il pas oublier les conditions de vie et les difficultés de la paysannerie de l’époque (85% de la population) surtaxée d’impôts et confrontée aux mauvaises récoltes.
    Enfin, n’oublions pas la réunion des états généraux en mai 1789 qui a fait capituler le pouvoir.
    En écrivant cela, on peut faire un lien avec la situation actuelle de notre pays en rajoutant que le wokisme ambiant et la volonté de déconstruction de tout le passé, cher à la gauche, pourrait mener aux mêmes conséquences.

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