Le saccage du bien commun (pour Atlantico avec M. Edouard Husson)

1- Dans le cadre du grand débat, Marlène Schiappa anime un débat féminin ce soir à Bordeaux sur le thème de l’égalité Homme/Femme avant la venue d’Emmanuel Macron dans la même ville, aux côtés d’Alain Juppé toujours dans le cadre du grand débat. Selon un sondage publié ce 28 février par Kantar Sofres pour le Figaro, Emmanuel Macron bénéficierait non seulement d’une consolidation de son électorat mais aussi d’une remontée de sa côté de confiance auprès des Français, notamment chez les écologistes (+14%), ainsi que chez les plus de 65 ans (+5% – ce qui confirme par une hausse de + 20 points chez les moins éduqués, surreprésentés chez les plus de 65 ans). Alors que la fracture française ne semble jamais avoir été aussi évidente, ne serait-on pas en train d’assister, à nouveau, à une stratégie d’addition de groupes sociologiques plutôt qu’à une tentative de transcender, chez les Français, ces mêmes groupes sociologiques ? 

Oui, ce phénomène correspond à l’américanisation de la politique française. Pour gagner les élections, il faut s’adresser à des segments de l’opinion les uns après les autres. Le corps électoral est ainsi pris en compte par catégories sociales, professionnelles, idéologiques, religieuses. Ce phénomène se rattache fortement à la personnalisation à outrance de la politique française. Nous ne sommes plus dans la logique d’un débat d’idées, ni même d’un projet de société, mais dans une pure logique de séduction. Le pouvoir s’incarne dans un visage et une silhouette ultra-médiatisés, dont la vocation est de plaire et d’être aimé. Le leader s’adresse non pas à la raison du citoyen ou de l’homo politicus, mais à l’émotion d’un groupe. Peut-être que le geste du président Macron recevant Greta Thumberg le 22 février, cette adolescente suédoise militant pour la planète, a séduit l’électorat écologiste expliquant ainsi ce regain de popularité dans ce milieu. De même, la hausse de 20% de la popularité de M. Macron chez les plus de 65 ans pourrait être, au moins en partie, le fruit de son geste spectaculaire et ultra médiatisé que fut l’embrassade d’un retraité en larmes pendant sa visite au salon de l’agriculture le 23 février (sondage réalisé du 22 au 25). Ces épisodes ont marqué les esprits. Ils illustrent la politique moderne fondée sur la séduction et l’image médiatique.

2- Quelles sont les limites d’une telle stratégie politique qui semble destinée à ressouder le bloc macroniste, notamment au travers « d’appels du pied » envoyé aux électeurs ayant une sensibilité écologiste, ou au travers des annonces concernant les Seniors ? Ne peut-on pas y voir une forme d’aveu d’impuissance politique au regard des enjeux ? 

La limite de cette politique s’impose d’elle-même. Elle joue sur une corde émotionnelle. Elle repose sur l’image médiatique de l’instant. Elle peut donc se traduire par une hausse de quelques points dans les sondages, en provenance d’une catégorie sensible à tel ou tel geste emblématique, telle ou telle parole du chef de l’Etat. Le monde médiatique s’extasie de cette remontée. Mais d’abord elle est toute relative. 26% de confiance populaire, cela reste extrêmement bas. Pour de Gaulle, l’institution présidentielle reposait toute entière sur la confiance du peuple. Un président durablement impopulaire était inconcevable. Or, depuis les années 2000, les taux de popularité des présidents de la République sont en chute constante. Leur surexposition permanente fait d’eux les réceptacles naturels du mécontentement populaire. La sur-communication ressemble aux saignées de Molière: un remède à l’impopularité qui ne fait qu’aggraver le mal. Ensuite, elle est extrêmement superficielle. Quelques points de gagnés en raison d’une apparition médiatique réussie, risquent de se reperdre bien vite. Un véritable regain de la confiance dans les profondeurs du pays ne pourrait tenir qu’à la réussite durable d’une politique: une baisse marquée du chômage (par rapport au niveau européen), de la pauvreté, une amélioration de la sécurité quotidienne, de la maîtrise de l’immigration, une diminution des déficits publics, etc. La confiance, c’est tout autre chose que le grand spectacle.

3-Dans une tribune publiée par le Figaro, le politologue Luc Rouban écrit : « c’est le niveau d’antilibéralisme économique et d’anticapitalisme qui reste la variable déterminante » du nouveau clivage français, sans que celui ci ne soit de gauche ou de droite, mais tout en contestant l’idée d’une disparition du clivage droite-gauche. Au regard de ces différentes analyses, quelles seraient les lignes de force politique qui permettraient de transcender ces différentes catégories sociologiques, plutôt que de chercher à en faire l’addition ? 

Le paysage idéologique français est confus et morcelé. Il est évident qu’il ne peut plus se réduire à la classique opposition droite gauche. Au moins deux clivages se superposent. L’un est celui qui oppose la bourgeoisie urbaine, formée dans les écoles et les universités, à l’aise dans la modernité, ouverte sur l’international et sur l’Europe, à la France populaire, rurale, banlieusarde, oubliée de la mondialisation, bref, la France périphérique. L’autre met face à face une approche conservatrice et l’autre dite progressiste sur les sujets de société (immigration, mariage, religion, etc.) En croisant ces deux clivages, on obtient grosso modo quatre grands blocs idéologiques, à peu près calqués sur les principaux partis, LR, LREM, RN, Insoumis/gauche. La cassure entre ces quatre blocs est profonde, irréconciliable, radicale, rendant quasi impossible la constitution d’une majorité. D’autant qu’ils sont eux-mêmes fragmentés. C’est par un bouleversement de la culture politique que l’on peut espérer affaiblir ces clivages et essayer de réunir 2 Français sur 3. Il faut sortir la politique de l’impasse émotionnelle ou elle s’engloutit chaque jour, la personnalisation à outrance, les jeux d’adoration, d’idolâtrie et de lynchage qui poussent à la haine des Français les uns contre les autres. Et au contraire tenter de la refonder sur un discours de vérité – où en est-on, que peut-on faire vraiment – et sur l’action authentique en faveur de l’intérêt général: que faire concrètement pour lutter contre le chômage, l’insécurité, améliorer la maîtrise de l’immigration, redresser le niveau scolaire, réduire la dette publique, restaurer la compétitivité de la France, réduire drastiquement le niveau des impôts…

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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27 commentaires pour Le saccage du bien commun (pour Atlantico avec M. Edouard Husson)

  1. Georges dit :

    L’égalité entre les vilains pas beaux et les trop beaux,serait grand temps de réagir tout de même.

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  2. Citoyen dit :

    Ces réflexions, offrent une perspective intéressante …
    –  » où en est-on, que peut-on faire vraiment  » ? … : Dans ce pays, plus grand chose, il est déjà foutu. C’est un peu tard …
    –  » que faire concrètement pour lutter contre le chômage  » ? … : En principe, ce n’est pas compliqué, il suffit de donner aux entreprises l’envie de trouver des raisons d’embaucher … mais c’est un concept, qui semble ne pas être à la portée de ceux qui tiennent les manettes du pays …
    –  » l’insécurité, améliorer la maîtrise de l’immigration  » (qui sont liés) ? … : Là aussi, ce n’est pas difficile de trouver des solutions, mais la première étape consiste à « vraiment » vouloir en trouver … sinon, c’est peine perdue.
    –  » redresser le niveau scolaire  » ? … : La décence impose de ne pas se moquer des handicapés …
    –  » réduire la dette publique, restaurer la compétitivité de la France, réduire drastiquement le niveau des impôts  » ? …: Comment, un pays qui se traine un boulet de plus de 2 millions de ponctionnaires de trop, pourrait y parvenir ? … Alors qu’il n’a jamais voulu, ne serait-ce qu’oser poser le sujet sur la table … Il vaut mieux éviter de se poser des question, quand on n’a pas l’intention de trouver de réponse …
    L’URSS a mis 70 ans pour se rendre à l’évidence qu’il n’y avait pas d’issue, et que c’était le bout du chemin …

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  3. jfsadys dit :

    Saccage du bien commun mais aussi saccage des biens publics et des biens privés. 😦

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  4. Janus dit :

    Il s’agit de vœux pieux qui n’ont pas d’effet sur la stratégie de M. Macron : Celui-ci veut faire disparaître la France dans le grand fourre-tout européen. Il est donc cohérent dans les différentes actions qu’il mène et qui visent à faire disparaitre ce qui faut la France et qui pourrait résister à son intégration forcée dans l’Eurallemagne. S’il réussit, sa stratégie de segmentation aura été efficace et les français émasculés n’auront plus que leurs yeux pour pleurer et regretter leurs divisions imbéciles. S’il échoue, il aura donné assez de gages (Attali, Genéral electric, Siemens, etc, etc) aux grands donneurs d’ordre pour poursuivre une carrière dorée d’intrigant riche et reconnu par l’hyperclasse, à laquelle il donnera des conférences à 100 000 € le bout…
    Il n’y a rien de bon à attendre de cet Erostrate, il veut seulement bruler le temple d’Artémis.

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  5. monsieur Cyclopède dit :

    L’endoctrinement commence très tôt :

    https://www.valeursactuelles.com/societe/un-controle-de-cm2-accuse-de-vanter-les-bienfaits-du-colonialisme-104441

    et l’immigration « raisonnable » conduit à des situations déraisonnables, voire dangereuses.

    Quel est le but de LR, au juste ? Recréer le Liban en France, pour arranger deux ou trois patrons du BTP et les grandes consciences « antiracistes » ?

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  6. Mildred dit :

    Monsieur Tandonnet,
    Plutôt que de m’intéresser aux sondages bidons, aux blocs idéologiques irréconciliables, à la politicaillerie et aux débats crétinisants, je préfère m’amuser avec Sandrine Sarroche, c’est meilleur pour mon moral :

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  7. E Marquet dit :

    La personnalisation du pouvoir répond à l’individualisme des citoyens. Chaque citoyen ne pense qu’à sauver sa peau, à tirer les marrons du feu, à développer son bien-être au dépend des autres si besoin est. L’équipe au pouvoir actuellement est sans doute celle qui surfe avec le plus d’habileté sur cet égotisme généralisé.
    Au lieu de rassembler autour d’un but commmun, notre Président a choisi de fractionner le pays en plusieurs « castes » et de s’adresser à chacune de manière différenciée. Il passe de la réprimande (l’état ne peut pas tout faire) aux promesses ciblées (qui n’engagent que ceux qui les écoutent). Il cultive l’art de la duperie souriante, compréhensive. Et çà marche ! Chacun croit avoir eu gain de cause, et préfère se laisser berner qu’affronter la réalité. Il est vrai qu’aucune voix crédible ne réussit à contrer le progressisme en marche, rouleau compresseur qui veut étouffer le vieux monde.
    Période intéressante à observer, mais qu’en sortira-t-il ?

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  8. la conjuration des privatiseurs dit :

    Réduire drastiquement les impôts ? Quelle drôle d’idée.

    Manifestement, l’élection de 2017 n’a pas encore été bien comprise partout ; ça ne percute pas chez les zénarques de droite. On n’en veut pas, de vos réformes mal conçues et superflues.

    Là où les zénarques de droite passent, l’électeur ne repousse plus. Il vaudrait mieux prendre modèle sur ce personnage :

    http://www.bvoltaire.fr/eric-zemmour-attila-des-medias/

    qui fait partir les chroniqueurs bien-pensants plutôt que les électeurs non retraités.

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    • IRIS dit :

      Là, où passe le macronisme les poches se vident…c’est le président du vide !
      Après lui, ce qu’il reste c’est la boue faite de nos pleurs !

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  9. Curmudgeon dit :

    Pour toute nation (et nous en sommes peut-être encore une) les considérations premières sont celles qui touchent (1) à la structure démographique et (2) à la sécurité intérieure et extérieure.

    Ça passe avant tout le reste, même si les évolutions dans ces domaines sont lestées d’une forte inertie.

    A cet égard, on espère un écho aussi large que possible au livre de Jérôme Fourquet, dont certains médias ont parlé. Les données numériques sur les prénoms donnés aux nouveaux-nés qui sont spécifiquement musulmans sont, non pas certes nouvelles, mais spectaculaires. On ne pourra plus faire semblant de les ignorer au prétexte qu’il s’agirait d’une obsession des fanatiques de la fachosphère ou de méchants conseillers.

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  10. Tracy LA ROSIÈRE dit :

    « Au moins deux clivages se superposent » est-il dit.
    C’est vrai mais un troisième « gros morceau » est passé sous silence, c’est le monde des banlieues…
    Dix, onze millions ?
    C’est un enjeu et de taille.
    Les « progressistes » en ont fait leur masse de remplacement depuis la fameuse la note de 2011 de Terra Nova préconisant de passer les classes populaires par pertes et profits au bénéfice des immigrés et des femmes ; les LR, eux, sont coincés avec une rhétorique de la bien pensance selon laquelle il serait malséant d’appeler « un chat » un chat.
    Ce troisième morceau, c’est du lourd, infiniment plus influent que « la France périphérique » en raison des menaces qu’il fait peser et de ses accointances avec la bourgeoisie urbaine ( sans jamais se mélanger). C’est ce qu’avait parfaitement montré Christophe Guilluy (vivre ensemble séparés). C’est cette frange de la population qui tirera (encore) les marrons du feu. La « France périphérique n’a rien à attendre. Elle peut continuer de creuver !

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  11. Gerard Bayon dit :

    Bonjour à toutes et à tous,
    Même si je continue de croire que le grand débat actuel est une fumisterie, une arnaque à la crédulité des Français et ne constitue qu’une séance nationale de thérapie de groupe, il reste quand même une infime chance pour E. Macron pour qu’il se transforme en une opportunité pour relever un peu plus et de manière toute provisoire sa côte de confiance à l’approche des élections européennes.
    Pour cela, il faudrait qu’il annonce d’ici fin avril, des mesures fortes donc coûteuses et symboliques pour améliorer davantage le sort des Français les plus modestes et réduire les inégalités et injustices créées par son gouvernement. Vu l’état de nos finances, de notre dette, des contraintes budgétaires de Bruxelles et du comportement psychotique du Président, croire à un tel scénario relève du rêve, de l’inconscience et du déraisonnable.
    De toute façon, les mesures qui seront annoncées seront jugées par tous les partis politiques à l’exception de LREM, comme insuffisantes, inadaptées et ne répondant pas à la crise sociale actuelle. En fait, ce grand débat auquel auront plus que largement participé le Président, plusieurs ministres et de nombreux députés godillots ne servira que de prétexte pour justifier les quelques mesurettes qui en sortiront. E. Macron aura beau jeu de dire : je vous ai longuement écouté et j’ai retenu les points qui vous paraissaient les plus importants pour redonner espoir au pays et bla-bla-bla…
    Soit les mesures annoncées répondront même très partiellement aux attentes de certains Français et par le jeu de la division auquel il excelle, sa côte de popularité remontera provisoirement de manière éphémère, soit les mesures seront jugées majoritairement comme insuffisantes et nous auront droit à de nouvelles actions des gilets jaunes, cette fois surement plus importantes et violentes que celles que nous connaissons.
    E. Macron est prisonnier de son propre jeu et je parie que de toute façon, il n’en sortira pas gagnant.

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  12. Coucou dit :

    Bonjour

    Mais Dieu se rit des Prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics quand on s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je ? Quand on l’approuve et qu’on y souscrit .

    Jacques Bénigne Bossuet

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  13. Liber dit :

    Il y a pourtant un point commun à ces 4 blocs dont vous parlez : leur niveau d’antilibéralisme.
    Même les gagnants de la classe mondialisée des centres villes ne sont libéraux que dans l’esprit «macronien» donc profondément étatistes. La France est viscéralement jacobine et planiste. Les différences entre blocs ne portent plus que sur le sociétale, et bien souvent à la marge.
    Alors comment se distinguer des autres autrement que par des postures et de l’émotionnel.
    Je persiste à penser que tant qu’une vraie droite libérale économiquement et conservatrice au niveau sociétale ne s’imposera pas, tout sera bloqué. Et malheureusement nous n’en prenons pas le chemin !!
    C’était, un peu, le programme de Fillon, on sait ce qu’il en est advenu. C’est le profil des «Gave», ils viennent d’êtres assassinés.
    L’état et les postures narcissiques comme vous le dites si souvent desont encore de beaux jours ….

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  15. michel43 dit :

    NON, Maxime ,LR et RN n’est pas très loin, ,pour les adhérents et sympathisants, d’ailleurs c’est deux partis s’échange leurs hommes ,des traites de la droite molle approuve Macron, Juppé et Sarkozy part intérêt ,l » autre traite de notre droite, a choisie les votes de la gauche pour empêcher le RN de diriger la régions, Merci Bertrand ,bientôt les Européennes ,celui qui sortira vainqueur modifiera cette Europe, nos belles paroles sont formidables ,mais comme la bible ,beaucoup sont lettre morte,, ,du rêve a la réalité, ,,,il y a un fossé énorme, pendant ce temps la,,,la majorité de notre peuple souffre et cela va malheureusement continuer,,,

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