Lutter contre l’entreprise de crétinisation

Voici de larges extraits d’un beau texte de M. René Chiche, professeur de philosophie, membre du conseil supérieur de l’Education. Rien n’est plus dramatique que la destruction progressive, au fil des décennies, des outils du savoir et de la réflexion, en particulier l’enseignement du français, de la philosophie et de l’histoire, mais aussi des mathématiques, dont le niveau est en chute libre. Le nivellement par le bas est une oeuvre de longue haleine, qui ne fait que s’accélérer en dépit des coups de menton. Le projet en filigrane est d’affaiblir l’esprit critique. Il va de pair avec l’évolution de la vie politique à laquelle nous assistons, son effondrement dans la propagande abêtissante et le grand spectacle narcissique quotidien, au prix de la destruction du débat d’idées. L’entreprise de crétinisation de la France est une réalité. Elle vise consciemment ou inconsciemment, à soumettre les Français à toutes les idolâtries qui inondent le monde moderne en affaiblissant peu à peu les outils de l’indépendance intellectuelle.  Cette forme d’asservissement passe avant tout par l’abêtissement de masse. Le professeur René Chiche fustige le passage en force de cette entreprise de crétinisation, imposée aux professionnels de l’enseignement.

Maxime TANDONNET

Déclaration au Conseil académique de l’éducation nationale
1er mars 2019

Madame la présidente,
Monsieur le recteur,

Les réformes qu’il vous faut mettre en œuvre font l’objet d’un rejet massif de la profession.

Que ce soit la transformation du baccalauréat en certificat de fin d’études qui méritent de moins en moins ce nom, la suppression des filières de l’enseignement général et la création de spécialités qui achèvent de réduire le savoir à une option, ou qu’il s’agisse des formations professionnelles que l’on s’évertue à renommer pour accroître leur attractivité tout en les mettant au régime sec et en leur infligeant une perte d’heures d’enseignement considérable, comme si l’acquisition des connaissances et des savoir-faire relevait désormais de la « co-intervention » du Saint-Esprit !, toutes ces réformes, où tout n’est cependant pas mauvais, ont pour dénominateur commun d’avoir été menées à la hussarde et sans réel dialogue avec la profession. Toutes ont également pour point commun d’avoir été soustraites au parlement, lequel, pendant qu’on détruit par voie réglementaire un monument hérité de Napoléon au même titre que le Code civil, est amené à se prononcer sur la présence de drapeaux dans les classes et la délivrance du permis d’enseigner à de simples étudiants ! Nous sommes dans une situation inédite : la loi de refondation de l’école de la République a confié à l’exécutif tout pouvoir sur l’organisation des enseignements, et ce dernier naturellement en use et en abuse, renvoyant toute objection, toute critique, toute contestation de ces choix à la mauvaise foi de ses interlocuteurs auxquels, dans le même temps, il proclame la nécessité de bâtir une école de la confiance !

La seule instance qui ait pu se prononcer démocratiquement sur ces réformes et en faire connaître au public l’acceptation ou non est le Conseil supérieur de l’éducation. Ses avis, qui ne sont que consultatifs, n’en sont pas moins significatifs.

Arrêté relatif aux formations préparant au certificat d’aptitude professionnelle : 25 voix contre, avis défavorable.
Arrêté relatif aux formations préparant au baccalauréat professionnel : 25 voix contre, avis défavorable.
Décret modifiant le baccalauréat général : 40 voix contre, avis défavorable.
Arrêté relatif au contrôle continu : 48 voix contre, avis défavorable.
Arrêté fixant les modalités du nouveau baccalauréat : 41 voix contre, avis défavorable.
Arrêté modifiant la structure et les horaires des enseignements en classe de seconde : 53 voix contre, avis défavorable.
Arrêté relatif aux enseignements du cycle terminal : 35 voix contre, avis défavorable.

La moindre des choses, dans une saine démocratie, n’eut elle pas été de suspendre la mise en œuvre de ces réformes et, concernant celle des enseignements de spécialité, ne pas l’appliquer aux élèves entrés en seconde sous l’ancien régime des études au lycée en mettant ce temps à profit pour en corriger les plus manifestes aberrations ? La moindre des choses n’eut elle pas été de donner aux professeurs le temps nécessaire pour s’approprier des programmes dont l’état final n’est connu que par un petit nombre depuis fin décembre et dont certains n’ont toujours pas le personnel qualifié pour être enseignés ? La moindre des choses n’eut elle pas été de réfléchir aux conditions de l’harmonisation de la notation pendant l’année dès lors que celle-ci entre pour 10% dans la délivrance du diplôme en remettant gravement en cause le principe de l’anonymat et de l’équité, c’est-à-dire la forme républicaine de l’examen ? Et enfin la moindre des choses, quand une organisation représentative, la nôtre en l’occurrence, adresse au chef de l’Etat une lettre ouverte très argumentée sur les difficultés réelles auxquelles sa réforme de la voie professionnelle n’apporte aucune solution et qu’elle ne fait que aggraver, la moindre des choses n’eut elle pas été d’y répondre autrement que par un simple accusé de réception ?

On a beau répéter du lundi au samedi et de septembre à juin que l’on bâtit l’école de la confiance, l’éducation nationale n’échappe pas à la crise des institutions et à la défiance généralisée envers les pouvoirs ainsi qu’envers des corps intermédiaires d’ailleurs si peu représentatifs. Oui, si peu représentatifs car, contrairement à ceux qui se félicitent de leurs résultats aux élections professionnelles ou qui font grand cas d’une augmentation dérisoire de 0,9 point de participation à un scrutin dont près de 60% de la profession se désintéresse, nous nous inquiétons du fonctionnement peu démocratique d’une institution qui n’est pourtant pas avare d’instances, de conseils, de comités et d’observatoires dont l’intérêt échappe parfois […]

Il se pourrait cependant que cette faiblesse ne soit elle-même qu’une apparence trompeuse, et que les personnels finissent par trouver les voies et moyens de s’opposer à la destruction de leurs métiers de manière inattendue, voire spectaculaire. Les signes en sont de plus en plus nombreux, au point qu’un préavis de grève courant jusqu’en période d’examen vient d’être déposé par une organisation pendant que notre propre syndicat de l’éducation, Action & Démocratie, consultant les personnels sur le principe d’une grève reconductible pendant les examens, a enregistré 80% de réponses favorables à cette proposition sur un total de 86000 réponses à ce jour. Notre devoir est de vous en avertir pour inviter chacun, au poste qui est le sien, à ouvrir enfin les yeux sur la réalité : celle d’une école qui n’a plus guère le temps d’instruire tant elle consacre ses moyens à promettre « la réussite » coûte que coûte ; celle d’une profession qui n’attire plus à force d’être méprisée aussi bien matériellement que symboliquement ; celle en un mot d’une institution qui n’inspire plus confiance ni à ses personnels ni à la population.

Tout chambouler afin que rien ne change n’était décidément pas la meilleure réponse à leur faire !

René Chiche
Représentant CFE-CGC
Membre du Conseil supérieur de l’éducation
Vice-président d’Action & Démocratie/CFE-CGC

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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14 commentaires pour Lutter contre l’entreprise de crétinisation

  1. Georges dit :

    L’iodation des eaux de distribution,voilà la géniale solution.

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  3. Mildred dit :

    Monsieur Tandonnet,
    Refusez de vous laisser aller à vos passions tristes précisément au moment où monsieur Castaner, en personne, va prendre l’avenir de nos enfants en mains :

    http://www.tv-replay.fr/redirection/20-02-19/candidats-au-tableau-d8-replay-13371833.html

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  4. E.Marquet dit :

    L’ècole d’aujourd’hui est le résultat d’une succession de réformes plus ou moins heureuses. Ministres, universitaires, syndicats d’enseignants et de parents d’élèves, pédagogues de tout poil se sont penchés sur elle pour le meilleur et pour le pire.
    Ma dernière expérience d’un suivi régulier de cursus scolaire et étudiant, pour mon fils né en 89, a été instructive sur le délitement de l’Institution.
    Entre les débats sur les rythmes scolaires, les refontes des programmes, le collège unique, les lois d’orientation et de programmes, l’ « heure de vie de classe », les « itinéraires de découvertes », « l’idéal éducatif du collégien » sans même parler du jargon de l’éducation nationale, du genre « référent bondissant » pour un vulgaire ballon, ou « milieu aquatique profond » pour une banale
    piscine, rien ne nous a été épargné.
    Dans ces conditions quelle place reste-t-il pour la construction du savoir ?
    Sans compter, ne l’oublions pas, que les enseignants sont eux aussi aujourd’hui le résultat de ces réformes et du déclin de l’enseignement ! Parmi le corps enseignant on trouve aussi le meilleur et le pire. Du fait de la sectorisation, la scolarisation d’un enfant aujourd’hui relève de la roulette russe sauf si vous pouvez vous déplacer pour bénéficier des meilleures écoles et des meilleurs enseignants….
    Et pour faire bon poids, bonne mesure, on peut y ajouter les éditeurs de manuels scolaires, notamment en Histoire, pour les collèges et lycées, qui donnent parfois une vision des civilisations, sociétés et religions qui leur est pour le moins particulière, et sans véritable esprit critique.

    Cela fait longtemps que l’école n’est plus structurante et n’est plus capable d’éveiller la curiosité qui reste l’incontournable moteur du désir d’apprendre et de comprendre.

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  5. la conjuration des privatiseurs dit :

    Les mathématiques, mais aussi la physique.

    La réforme du lycée sous vos deux anciens patrons, Sarkozy et Fillon, a consisté à démathématiser la physique au lycée. Double effet : perte de l’agilité en mathématiques, perte de la compréhension physique. Réforme décidée en 2010, appliquée jusqu’à 2013 au lycée, jusqu’à 2015 en prépa.

    Voici un article de la société française de physique :

    https://www.sfpnet.fr/depuis-2013-le-bac-s-est-inadapte-aux-etudes-superieures-de-physique-et-de-chimie

    qui comporte une enquête auprès des enseignants du supérieur (CPGE, DUT, licences) :

    Cliquer pour accéder à ResultatsenqueteSFPprogrammelycee-1.pdf

    J’insiste bien sur le fait : c’est une réforme mise en oeuvre et décidée par la DROITE, sous les deux cadors de la DROITE, dont le supposé martyr de 2017 (ex ministre de l’EN en direct en 2005, et pas fameux non plus)…

    Vous autres LR voulez tout chambouler, or vous n’êtes même pas fichu de faire ce pour quoi vous êtes mandaté dans le cadre actuel, c’est à dire redresser un peu les programmes.

    Pourquoi ces erreurs ? Parce que les réformateurs se basent sur de l’idéologie :
    – idéologie de la dénonciation d’une supposée sélection par les maths (ce qui ne repose en fait sur rien si on regarde par grande filière d’enseignement quand les maths ont réellement un rôle dans la sélection) (réforme de 2010)
    – idéologie du chef d’établissement : la réforme dénoncée par M. Chiche est ce qu’elle est pour une raison simple, les gens qui en décident veulent à tout prix donner du pouvoir aux chefs d’établissements, donc ils suppriment les filières etc pour que ceux-ci aient, en effet, des choix à faire (réforme actuelle).
    – idéologie, enfin, de la supposée pression fiscale à réduire. Qui ne repose sur rien si on compare le budget de l’Etat en France avec ce qu’il est ailleurs (réforme de 2010 et réforme actuelle).

    Mais cette idéologie, au moins pour les deux derniers points, ne la partagez-vous pas aussi, M. Tandonnet ?

    NB ce n’est pas étonnant que la critique des maths soit bien passée auprès d’un ancien orienté en B, Sarkozy, et en A, Fillon.

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    • michel43 dit :

      sauf que vous oublier que dans certaines écoles , il y a plus de Franco venant de l’étranger ,tout comme pour les lycées professionnelles, ou certains cadors des zones dite sensible, impose leurs loi,, »école a 16 ans une bêtise de plus

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  6. Stéphane B dit :

    Bonjour

    Déjà que les universités étrangères étaient réticentes à accepter des bacheliers français il y a quelques années, ce n’est évidemment pas avec cette nouvelle « école » qu’elles vont changer d’avis. Je ne suis pas sûr que nous pourrons encore avoir des Nobel et être une lumière dans l’enseignement mondial, plutôt un trou noir !
    Mais quelle en est réellement la cause ? Déjà, il y a le collège unique avec la disparition de l’apprentissage dès 14 ans; le maintien dans les classes de branleurs qui n’ont rien à y faire pour éviter toute stigmatisation; la fin du redoublement sauf cas exceptionnel; la promesse d’avoir 80% d’une classe d’âge au bac et bientôt avec une licence …
    Ce pays est foutu avec les idéologues qui nous gouvernent. Le pire, c’est que tout ceux voulant être calife à la place du calife sont issus du même moule, le socialisme, l’étatisme, l’égalitarisme.

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  7. Curmudgeon dit :

    Pensez-vous véritablement qu’il existe un projet délibéré d’affaiblir l’esprit critique ? Je n’en crois rien. Nos gouvernants (et peut-être certains de nos enseignants, ou apparatchiks de l’enseignement) ne sont même pas assez machiavéliens pour échafauder un complot aussi cynique et sombre.

    Ce qui se manifeste, c’est autre chose. C’est une définition de la « réussite scolaire » qui est peut-être simpliste, puis, devant la constatation de la médiocrité du bilan, le désir de faire « réussir » tout le monde selon des critères mal appréciés. D’où un bidonnage sur les notes, des taux de réussite mirifiques, etc.

    Noter que ceci n’est pas propre à la France. Par exemple, au Royaume-Uni, les études montrent une inflation progressive et constante des notes au niveau universitaire. En cinquante ans, c’est fou comment le taux des étudiants brillants a pu croître.

    C’est la construction d’un monde de mensonge.

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  8. Jean-Louis Michelet dit :

    Au fil des siècles
    Le 19 ème inventa l’électricité et le téléphone
    Le 20 ème inventa la télévision
    Le 21 ème inventa la crétinisation

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    • Anonyme dit :

      Mais la crétinisation ne vient-elle pas en partie du téléphone et de la télévision?Je n’ose rien dire sur l’électricité…

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    • Jean-Louis Michelet dit :

      Bonjour  » Anonyme  »
      Je ne pense pas. D’après moi, l’important est de savoir ce que nous en faisons…..sinon, il faudrait refuser le progrès et retourner à l’age de pierre…
      Bien à vous.

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  9. michel43 dit :

    il y a tant de belle paroles ,de part et d » autres ,,tout le monde a des solutions ,,,sauf que lr pouvoir c « est Macron et ses 400 députes ,jusqu’à » a2022 ,donc attendons le vote des Européennes ,,,,après nous verrons

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  10. Un enseignement de bonne qualité pourrait (il ne le fait plus) transmettre un savoir utilitariste de base. Maitriser les mathématiques, le langage et avoir un stock de connaissances suffisantes (et la capacité à rechercher soi-même les autres) relève de l’utilitarisme. En revanche le développement de l’esprit critique tout comme la lutte contre la crétinisation ne peut pas reposer uniquement sur l’enseignement public. J’imagine mal que l’on puisse forger les traits essentiels d’un individu en guère plus de 1000 heures par an. L’action familiale est indispensable pour développer cela. Et accessoirement une utilisation intelligente des loisirs qui doivent être actifs (sports, associations…) et non abrutissants (télévision…).

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  11. Infraniouzes dit :

    Le professeur René Chiche a raison d’appeler un chat un chat. Oui, l’EN ne forme pas des élites mais des individus « moyens », mais fortement pourvus en diplômes inutiles, qui vont se heurter à l’impitoyable mur de la réalité au moment de leur entrée dans le monde du travail. Le vrai celui-là, où les employeurs, détestés par les dinosaures de l‘éducation qui n’y connaissent rien, produisent, au milieu d’une concurrence impitoyable, des richesses indispensables à l’humanité. Pendant ce temps on crée quantités de modules de formations qui ne débouchent sur aucune embauche simplement parce que les postes à pourvoir se comptent sur les doigts d’une main. Pour mettre fin à cet amateurisme il faudrait recourir à une étude de marché (marketing) qui donnerait la direction à prendre pour coller aux besoins. Horreur absolue; on risquerait de copier l’affreux monde capitaliste. Qu’importe: on aura bouffé le budget alloué à la formation et c’est l’essentiel. Et l’an prochain on pourra recevoir la même somme. Ce grand échalas de Lemaire ferait mieux de se préoccuper de ce gaspillage des deniers publics plutôt que de tenir des propos abscons sur les radios ou tweeter qui n’ont qu’un objectif: celui de le faire rêver à son destin présidentiel et le mettre en tête dans la course à l’Elysée. Vous parlez d’ego, Maxime. En voilà un bel exemple.

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