Prendre conscience du désastre d’un système (pour Atlantico)

1-Dans le contexte de la démission de Nicolas Hulot de son poste ministériel, l’éventualité de la nomination de Daniel Cohn-Bendit pour le remplacer a été étudiée par l’exécutif. Dans quelle mesure cette hypothèse peut-elle démontrer, une nouvelle fois, l’importance prise par le marketing politique au détriment du politique lui même ? 

Oui, nous sommes en plein dans la politique moderne. Il faut se souvenir d’une phrase clé prononcée par le président Macron: « Je ne suis que l’émanation du goût du peuple français pour le romanesque ». Aujourd’hui, la politique médiatisée prétend avant tout offrir un spectacle aux Français, avec ses héros et ses monstres, ses batailles, ses victoires et ses échecs, la litanie des sondages quotidiens… L’intérêt général n’est que secondaire dans ce schéma. Le but principal est de sublimer l’image d’un personnage et tendre vers le Graal suprême qui serait la réélection en 2022. Le fond du problème est que, dans les milieux dirigeants, nul ne croit plus vraiment dans le politique en tant que service du bien commun. La politique est devenue avant tout une affaire de postures, de messages et de symboles. Le roman qui s’écrit aujourd’hui est celui du « bien » post frontières, qu’incarne l’équipe au pouvoir en France, contre le mal nationaliste qui renaît à travers le Brexit, Salvini et Orban, le « populisme » sous toutes ses formes. L’idée de nommer ministre M. Cohn Bendit était bien dans la logique de ce message: ce dernier incarne le souvenir de mai 1968 et les valeurs de l’époque, en particulier le dépassement de l’Etat nation comme source de l’autorité politique.

2-Qu’est ce que la République a à perdre d’une telle situation ou l’enracinement territorial des élus, le temps long d’une carrière, formant une forme de « creuset politique », perd de son importance au profit du tout marketing ? Comment le fond est-il finalement en train de céder à la forme ? 

Des notions comme l’intérêt général, le bien commun, la res publica, la chose publique sont passées au second rang de la vie politico-médiatique. Le débat d’idées a disparu. L’essentiel est dans l’apparence, la perception qu’ont les électeurs de la situation générale et l’image qu’ils se font de leurs dirigeants. L’image l’emporte sur tout le reste. Un homme est élu président de la République sur son image télévisuelle. Cette image gagnante s’impose comme l’acte de naissance et le principe originel d’un quinquennat. Sa sauvegarde ou sa promotion devient le but en soi de la vie politique qui glisse dans le culte de la personnalité. Le danger de ce fonctionnement est la fuite permanente dans un monde virtuel. L’objectif est de valoriser une image, par la communication et les manipulations, et non pas d’améliorer la réalité qui dans ce schéma, n’a qu’une importance secondaire. De fait, les relais naturels entre le monde politique et la nation s’effacent dans la lumière aveuglante élyséenne: Premier ministre, ministres, députés et sénateurs. Le gouvernement qui est par définition la courroie de transmission entre le pouvoir d’Etat et le monde réel est quasiment annihilé. Le parlement, qui doit servir de relais permanent entre l’Etat et la France profonde est réduit à néant et entièrement dépendant de l’Elysée. Le peuple lui-même se sent en rupture complète avec le système politique: 87% des Français estiment que les politiques ne tiennent aucun compte de leur point de vue (CEVIPOF 2018).

3- En quoi l’importance prise par le marketing, par l’image, peut-elle cacher en termes de concentration du pouvoir ? Ne s’agit-il pas de la leçon de la démission de Nicolas Hulot ? 

Une erreur fondamentale est de parler de concentration du pouvoir ou de l’autorité. En réalité, il vaudrait mieux parler de concentration de l’impuissance. Toute l’attention médiatique converge vers l’Elysée. Plus rien n’existe (ou presque) que l’image élyséenne dans la vie publique, médiatique, journalistique française. L’Elysée veut s’occuper de tout, rendre les arbitrages, prendre les décisions dans les plus infimes détails, et toujours attirer à lui la lumière des caméras qui d’ailleurs, s’en donnent à coeur joie: il est tellement plus facile d’adorer ou de lyncher que de réfléchir au fond des sujets! Cependant, isolé dans sa tour d’ivoire, ayant aboli de fait les véritables sources d’autorité gouvernementale, le Premier ministre, les ministres, et amputé des relais sur le terrain que seraient des parlementaires puissants et respectés, l’Elysée ne maîtrise plus rien et les difficultés s’accumulent. Dès lors, l’institution présidentielle conçue pour rayonner de son prestige devient au contraire le bouc émissaire de tous les échecs, les frustrations, les déceptions. Comme vous le dites, la démission de M. Hulot, suivie d’une nouvelle chute de la cote de confiance du chef de l’Etat, est emblématique de cette logique infernale. C’est pourquoi de mandat en mandat, les présidents de la République sont toujours plus impopulaires les uns que les autres… Mais attention! Cela ne tient pas uniquement à la personnalité de l’actuel président. Bien sûr, cette dérive atteint aujourd’hui son paroxysme. Mais elle est en cours depuis des années. Or, la prise de conscience de la déraison qui s’est emparée du système est totalement absente. Les opposants au président Macron, sans exception, n’ont qu’une idée en tête: prendre sa place pour faire exactement comme lui. Tant qu’une lueur de clairvoyance ne viendra pas éclairer le monde politique sur la débâcle de la démocratie française, rien ne sera possible…

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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12 commentaires pour Prendre conscience du désastre d’un système (pour Atlantico)

  1. Bonjour, je viens de re bloguer votre dernière réflexion. Une question pourtant: votre parfaite clairvoyance de la situation pourrait -elle s’exprimer et permettre d’engager les réformes indispensables…si vous étirez aux manettes? Le poids de la haute fonction publique n’est-elle pas un frein à toute évolution?
    Cordialement. Marc Fievet

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  2. Georges dit :

    Auparavant ce fut la campagne publicitaire électorale .

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  3. Mildred dit :

    Monsieur Tandonnet,
    A quoi peut bien servir d’avoir la lucidité, si on n’a d’autre solution que de ratiociner au fil des mois et des années ?

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    • Mildred, je vous comprends, mais si des sites ou journaux lus par des millions de personnes me sollicitent chaque semaine pour mes ratiocinations, c’est sûrement qu’elles intéressent d’autres personnes que vous. Enfin, je ne vois pas d’autre hypothèse…
      MT

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  4. Sganarelle dit :

    Monsieur Tandonnet la prise de conscience que vous appelez de vos vœux n’existera que lorsque tout le monde ou presque sera touché par la ou les retombées de « la déraison qui s’est emparé du systëme »
    Je le vois tous les jours ayant autour de moi un large panel de différentes couches de la société . Ceux qui sont en haut de la cordée sont hors sol et n’habitent pas le même pays ..mais dès l’instant que la machine se grippe dans leur quotidien alors ils prennent conscience des réalités.

    Ce sont maintenant les enfants de mai 68 qui sont aux manettes .
    Quant un président est assez ignorant de l’Histoire pour dire que les gaulois n’aiment pas le changement il oublie le cataclysme dans les valeurs fondamentales de la société subi par les anciens et qui est le fondement de la société actuelle .
    Nous sommes malades de mai 68 et nous payons nos valeurs chamboulées sans discernement et remplacées par le vide.

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  5. Gérard Bayon dit :

    Bonjour à toutes et à tous,
    Depuis la fin des années 90, nous vivons de plus en plus, bon gré mal gré, dans un monde virtuel et l’on ne voit d’ailleurs pas pourquoi les politiciens et la politique échapperaient à cette nouvelle manière de vivre qui touche tous les secteurs de notre société. Celles et ceux qui refusent ou ne réussissent pas à s’intégrer dans ce « nouveau monde » y compris à s’adapter à la vitesse des changements en sont inexorablement écartés et ne risquent pas de pouvoir espérer s’y raccrocher, ils sont définitivement perdus pour la société qui n’a plus aucune commisération ni même envie d’entraide pour eux.
    L’idée d’une nomination de D. Cohn Bendit au ministère de l’écologie ne répondait à mon avis qu’à la seule préoccupation de remplacer un homme médiatique par un autre tout aussi médiatique mais pour d’autres raisons et peut-être même avec l’arrière-pensée de séduire cette partie de la population rétive maintenant retraitée sans doute nostalgique des évènements et du contexte de mai 1968.
    Une chose est maintenant confirmée, la concentration de tous les pouvoirs à l’Elysée a fait long feu et les 3 derniers Présidents se sont retrouvés et se retrouve un an après leur élection devant la même défiance de l’opinion publique sans que cela ne les affecte ni ne modifie leur comportement. Faut-il être égocentrique, isolé, sourd et aveugle à ce point pour ne pas prendre conscience de cette situation qui ne fera qu’empirer au point de ne pas vouloir changer son style de gouvernance par ce que l’on est certain de détenir seul la vérité ? Les échecs de N. Sarkozy et de F. Hollande pour les mêmes raisons ne servent même pas d’exemple à ce genre de personnage hors sol, fat et arrogant.
    Le drame est bien celui que vous exposez à la fin de votre article. Tous les opposants au Président ne rêvent que de prendre sa place pour se comporter de la même manière et gouverner en autocrate ou en maharadja. Que sont devenus la clairvoyance, la lucidité, le flair de certains de nos anciens plus brillants politiciens ? Ceux du « nouveau monde » les ont perdus et de plus ils ont également ratiboisé au fil du temps le sens de l’honneur, de la générosité, de l’abnégation, de l’humanité, de l’altruisme qui ennoblissaient nos grands hommes.
    Laissons les eux aussi tomber dans les oubliettes de l’Histoire, la catastrophe annoncée et maintenant proche ne nous permet même pas d’anticiper puisque nous ne voyons pas encore poindre le personnage exceptionnel qui nous sauvera et préservera peut-être le monde de la folie du moment.

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  6. Xavier .de Fürst dit :

    Cher Maxime, le seul fait d’envisager la nomination à un poste ministériel de cet individu démontre l’absence de morale au niveau de la sphére politicomédiatique; il y a quelques jours le Premier Ministre à l’AN s’est réjoui de l’abandon au profit du droit de la vertu républicaine.
    La morale comme la vertu sont fort génantes dans le mode de conduite du pays qui privilégie l’interet Individuel, les intérêts des minorités capricieuses. L’absence de vertu et de morale est fort commode dans la conduite technocratique et exclusivement budgétaire de notre pays.
    Comment nos dirigeants peuvent ils élaborer un vrai programme pour l’interet des français et de la France sans vertu et sans morale? Car, pour ce qui me concerne,un programme pour la France ce n’est pas la succession de budgets plus ou moins sincéres mais la présentation claire de ce que nous voulons pour nous à court terme et pour nos enfants à plus long terme.L’eugénisme, la marchandisation des enfants, la mort comme moyen de confort sont ils réellement l’ambition de nos concitoyens ou plutôt le lâche abandon de nos politiques et de leurs journalistes face à des minorités aussi exigeantes qu ‘elles sont complexées et déprimées.
    L’écologie est une autre affaire.

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  7. Infraniouzes dit :

    L’idée même qu’on ait pu envisager la nomination de Cohn-Bendit à un poste ministériel me lève le cœur. Mais sait-on qui est ce minable ? Un opportuniste habile qui a profité des événement de mai 68 pour faire son tour de piste. Dans une France heureuse et assoupie une poignée de trublions désireux de passer la nuit avec leurs copines à Nanterre ont fait des pieds et des mains pour cela. Un président d’université assez malhabile ferme l’université et soulève la colère des étudiants activistes pendant que la masse des indécis regarde avec indifférence. Les esprits s’échauffent. Et puis un soir, les petits « factieux » sont invités à la TV. Ils font leur numéro devant des journalistes médusés qui n’osent les remettre à leur place car en ce temps, à la télévision gaullienne, il fallait du style et de la tenue. Les guignols ont triomphé devant une France médusée et amusée. Le Cohn-Bendit était, en ce temps, le Coluche d’après, mais en beaucoup moins drôle.
    La suite est connue: apparition des violents, des subversifs et cerise sur le gâteau, des syndicats et des partis de gauche qui s’y croyaient déjà. Et Cohn-Bendit toujours le héros. La France gaullienne, pas du tout fasciste mais profondément républicaine, a hésité; mais le Général s’est ressaisi et a remis les pendules à l’heure.
    Qu’aujourd’hui Cohn-Bendit soit toujours vu en héros me sidère et me révolte. Mais beaucoup de gens n’ont pas connu le caillon dans lequel était la France alors…

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    • Infraniouze, mais au-delà de l’écoeurement individuel, l’idée de cet échange avec Atlantico est de prendre de la hauteur, et de voir ce que signifie au niveau de l’idéologie, de l’évolution de la politique française, cette idée de nommer M. DCB; vous voyez ce que je veux dire? Je n’y ai en aucun cas répondu pour monter un punching ball supplémentaire ou un défouloir contre lui (ils prolifèrent sur les réseaux sociaux), mais pour réfléchir à la faillite du modèle politique français dans l’espoir d’éveiller une lueur de prise de conscience. MT

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