La question des droits de l’homme en Arabie saoudite

La France a récemment reçu un prince héritier saoudien. Eternel et insoluble débat: politique des réalités ou idéalisme? Dans le premier cas, les intérêts nationaux et les rapports de force doivent seuls être pris en compte dans la vie internationale. Dans le second, les considérations humanitaires doivent l’emporter sur les intérêts matériels ou géostratégiques. L’homme d’Etat responsable, en charge de la destinée de son pays, est contraint de privilégier l’intérêt de l’Etat sur les idéaux humanitaires. Cependant, cette logique trouve ses limites: le réalisme ne doit pas se confondre avec le cynisme. Entretenir des échanges commerciaux et un dialogue minimal, avec un pays qui bafoue les droits de l’homme, peut être inévitable. On n’est pas pour autant obligé ni d’honorer ses dirigeants, ni de passer sous silence les  faits qui s’y déroulent. Le deux poids deux mesures est inacceptable: on ne peut pas, pour des faits aussi condamnables, tantôt brandir les sanctions envers les uns, tantôt fermer les yeux sur les autres pour des intérêts matériels, notamment pétroliers. Le dernier rapport d’Amnesty International – résumé ci-dessous – est en tout cas accablant. Parlons-en ici, puisque le sujet ne semble intéresser personne.

Discrimination – la minorité chiite

Les membres de la minorité chiite faisaient toujours l’objet de discriminations en raison de leurs convictions religieuses. Ces discriminations limitaient leur droit à la liberté d’expression religieuse ainsi que leur accès à la justice, et restreignaient arbitrairement un certain nombre d’autres droits, dont le droit d’occuper un emploi et de bénéficier de services publics. Cette année encore, des militants chiites ont été arrêtés, emprisonnés et, dans certains cas, condamnés à mort à l’issue de procès inéquitables. Quatre hommes chiites condamnés à mort pour des infractions liées à des mouvements de protestation ont été exécutés en juillet. Entre mai et août, les forces de sécurité ont commencé à évacuer le quartier d’Al Masoura de la ville d’Al Awamiyah (province de l’Est), dont la population est majoritairement chiite, afin de procéder à des travaux de réaménagement urbain. Des affrontements armés ont éclaté entre les forces de sécurité et des hommes armés qui refusaient de quitter les lieux. Des armes lourdes ont été utilisées et des tirs d’artillerie sont intervenus, faisant des dizaines de morts et de blessés parmi la population et de graves dégâts matériels dans la ville. Les autorités ont accusé ces hommes d’avoir mené des « activités terroristes » et d’autres infractions pénales, et ont affirmé qu’ils seraient punis. Selon des riverains, les autorités ont empêché les ambulances et les services de secours médical d’accéder au quartier, et de nombreuses familles restées sur place se sont trouvées à court de nourriture, d’eau, de traitements médicaux et d’autres produits de première nécessité. Des dizaines de personnes, dont des militants, auraient été arrêtées et placées en détention durant cette opération. En juillet, les familles de 15 hommes chiites accusés d’espionnage au profit de l’Iran et condamnés à mort à l’issue d’un procès collectif contraire aux normes d’équité les plus élémentaires ont appris que la juridiction d’appel du Tribunal pénal spécial avait confirmé leur peine. En décembre, certaines ont été informées que la Cour suprême avait validé les condamnations, exposant ces hommes à un risque d’exécution imminente. Le Tribunal pénal spécial a continué de juger des militants chiites pour leur participation présumée aux manifestations de 2011 et de 2012. La peine capitale a cette année encore été utilisée contre des opposants politiques. Au moins 38 hommes chiites risquaient toujours d’être exécutés. Quatre d’entre eux avaient été condamnés à mort pour leur participation à des manifestations en 2012 alors qu’ils étaient âgés de moins de 18 ans.

Torture et autres mauvais traitements

La torture et les mauvais traitements en détention restaient monnaie courante. Cette année encore, des tribunaux ont prononcé, ou confirmé, des peines capitales sur la base d’« aveux » obtenus avant le procès et rétractés par la suite. Les agents des forces de sécurité continuaient de se livrer à des actes de torture et d’autres mauvais traitements sur des détenus, en toute impunité. En juillet, les familles de 14 hommes condamnés à mort pour des chefs liés à des manifestations ont appris par téléphone que les sentences avaient été confirmées. Selon les documents de procédure, les 14 hommes ont été maintenus en détention provisoire prolongée et ont affirmé qu’on les avait soumis à des actes de torture et à d’autres mauvais traitements pendant leurs interrogatoires dans le but de leur extorquer des « aveux ». Le Tribunal pénal spécial s’est semble-t-il appuyé principalement sur ces « aveux » pour prononcer son verdict, et n’a pas cherché à en savoir plus sur leurs allégations faisant état de torture.

Droits des femmes

Malgré les réformes promises par le gouvernement, les femmes et les filles restaient en butte à la discrimination en droit et en pratique. Les femmes devaient toujours obtenir l’autorisation d’un tuteur – leur père, leur mari, un frère ou un fils – pour s’inscrire dans un établissement d’enseignement supérieur, chercher un emploi, se rendre à l’étranger ou se marier. Après avoir fui Al Qassim, où elle subissait des violences dans son environnement familial, Maryam al Otaibi, une militante âgée de 29 ans qui avait participé activement à la mobilisation en vue de l’abolition du système de tutelle masculine, a été arrêtée et placée en détention à Riyadh, la capitale, le 19 avril. Elle a été interrogée après que son père (qui est son tuteur légal) eut déposé plainte contre elle pour fugue. Elle a été remise en liberté sous caution le 30 juillet. L’affaire suivait son cours devant la justice à la fin de l’année, et Maryam al Otaibi risquait d’être de nouveau placée en détention. À son arrivée à l’aéroport de Dammam le 4 juin, Loujain al Hathloul, une défenseure des droits humains de premier plan qui avait été arrêtée pour s’être opposée à l’interdiction de conduire, a été une nouvelle fois interpellée et placée en détention. Elle a été libérée quatre jours plus tard après avoir été interrogée sur ses activités militantes.

Peine de mort

Les tribunaux ont prononcé cette année encore des sentences capitales pour toute une série de crimes, y compris des infractions à la législation sur les stupéfiants ou des comportements qui ne devraient pas constituer des infractions selon les normes internationales, comme la « sorcellerie » ou l’« adultère ». Ces condamnations ont souvent été prononcées à l’issue de procès iniques par des tribunaux qui n’ont pas ordonné d’enquêtes sérieuses sur les allégations des accusés qui se plaignaient que leurs « aveux » avaient été obtenus sous la contrainte, notamment la torture. Dans bien des cas, les autorités n’ont pas prévenu les familles que leur proche allait être exécuté ou ne les ont pas informées qu’il venait de l’être. Le 11 juillet, Yussuf Ali al Mushaikhass, père de deux enfants, a été exécuté en même temps que trois autres hommes pour des infractions à la législation antiterroriste liées à leur participation à des manifestations antigouvernementales survenues dans la province de l’Est en 2011 et 2012. Sa famille n’a appris son exécution qu’après coup, par une annonce des autorités diffusée à la télévision. Le tribunal semble avoir largement fondé la condamnation sur des « aveux » qui, selon Yussuf al Mushaikhass, lui avaient été arrachés sous la torture et d’autres mauvais traitements. Said al Saiari a été exécuté le 13 septembre. Alors qu’il avait conclu qu’il n’existait pas d’éléments suffisants pour le condamner, le tribunal général de Najran avait prononcé la peine capitale contre lui en 2013. Il s’était fié aux déclarations sous serment du père de la victime qui, bien que non présent sur la scène du crime, était persuadé que Said al Saiari était responsable de la mort de son fils.

L’Arabie saoudite a exécuté 153 personnes en 2016, selon un décompte élaboré par l’AFP à partir d’annonces officielles. Le royaume ultraconservateur, régi par une version rigoriste de la charia, la loi islamique, est l’un des pays ayant le plus recours à la peine capitale, appliquée dans des affaires de terrorisme, de meurtre, de viol, de vol à main armée et de trafic de drogue. Le 2 janvier, 47 personnes avaient été exécutées en une seule journée pour « terrorisme », notamment le dignitaire et opposant chiite saoudien Nimr al-Nimr, dont la mise à mort a provoqué une crise avec l’Iran. En 2015, 153 personnes avaient également été exécutées en Arabie saoudite, selon un décompte de l’AFP, un niveau alors inégalé depuis 20 ans dans le royaume.

 

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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18 commentaires pour La question des droits de l’homme en Arabie saoudite

  1. michel. fremondiere dit :

    priver
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  2. Georges dit :

    Les saoudiens nous tiennent par les c……. avec leur foutu pétrole .

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  3. michel43 dit :

    parce que la FRANCE ,donneur de leçons au monde entier , n » a rien a se reprocher ? elle participe a des guerres dans le monde entiers ,et raye de la carte la LIBYE , troisième producteur mondiale d » armes ,nous les vendons a QUI ? MACRON devrait se méfier de cette individu,,,vu l’état de la FRANCE depuis qu’il la dirige se sont NOUS qui devions nous méfier de ce président ,qui se prend pour un ROI ,aucun pays au monde est parfait ,voyez le silence des bobos humanitaire sur la CHINE , avec des exécutions pars centaines ,voyez les USA ,qui on fait le blocus de CUBA ,pour RIEN ,mais interviens partout dans le monde ,donc , continuons a recevoir tout le monde ,disons ce que nous avons a dire ,et signons des accords commerciaux ,et la vie continue ,a chacun ses problèmes ,en FRANCE ,nous en avons pas mal , en ce moment

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  4. Colibri dit :

    Premières notes de lecture du livre commencé hier soir: notre époque « en matière sociale et politique, c’est bien sûr au premier chef l’effondrement des dictatures communistes qui retient l’attention. Arrivée au pouvoir de Gorbatchev et fin de l’union soviétique, chute de Ceausescu, déclins des partis communistes français et italien, mea culpa antistalinien de beaucoup d’intellectuels et « nouvelle philosophie », tout ceci fait que le paysage mondial a totalement changé ». (Bernard Hort, pages17/18 du livre « Le Courage d’être » de Paul Tillich.

    Notre époque a-t-elle perdu le sens du collectif remplacé par l’exaltation de la réussite individuelle?

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  5. Mildred dit :

    Monsieur Tandonnet,
    « Insoluble débat » écrivez-vous . Et en même temps, ne dit-on pas couramment que les principes doivent êtres suffisamment solides pour permettre de s’y asseoir dessus ?

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  6. Smith dit :

    Le deux poids deux mesures est effectivement inacceptable mais sérieusement ? Le droit des femmes ? la Peine de mort ? Ce sont des problèmes de politique intérieure d’un pays qui possède sa propre histoire, une anthropologie différente, et qui appartient à une autre civilisation que la nôtre.

    Le but des relations internationales c’est justement… les relations internationales. Les problèmes majeurs avec l’Arabie Saoudite, c’est la guerre au Yemen, ses relations extrêmement tendues avec l’Iran, etc.

    Il ne faut donc pas avoir une vision naïve des droits de l’homme comme les humanitaires (Amnesty International en tête) et déconnectée de toutes les réalités historiques et anthropologiques. Au nom même d’une perversion dans l’interprétation des droits de l’homme nous sommes en train de tuer l’Europe à petit feu… cf. Les droits de l’homme contre le peuple, Harouel.

    Nos humanistes qui ont un coeur capable de battre pour la terre entière devraient pourtant savoir que le meilleur moyen de propager leurs valeurs serait d’être un modèle à imiter comme ce fut le cas autrefois, mais une civilisation décadente qui est en train de se suicider ne peut plus imposer ses normes. Personne n’a envie d’imiter des gens qui défendent des principes engendrant leur propre suicide.

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  8. Infraniouzes dit :

    Cet éternel déchirement moral nous vient de Tonton et sa clique droit-de-l’hommiste et n’est pas le meilleur de son héritage. On n’a pas à se mêler de ce qui se passe chez les autres, du moins, officiellement. Surtout quand on laisse se répandre dans nos banlieues le poison salafiste, financé, on le murmure, par ces mêmes pays à qui on veut faire la morale. La morale c’est une chose, les affaires une autre. Pensons à préserver nos relations avec le Qatar. Cette contorsion intellectuelle ne mènera qu’à des désillusions. Si on suit les principes moraux de la gauche bien pensante, on ne devrait même pas prononcer le nom d’Arabie Saoudite, pays qui pratique la peine de mort à l’envi. Il ne faut pas se fier à Amnesty international qui a la fâcheuse tendance à souffler sur les braise partout où ça fera parler d’elle. On a mieux à faire.

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  9. Colibri dit :

    En intervenant en Afghanistan, en Yougoslavie, en Irak, en Libye nous avons montré l’exemple à d’autres pays. Eux aussi à leur tour se lancent dans des guerres incertaines et ils semblent être indifférents à ce que nous pouvons en penser. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale les guerres « modernes » ont toutes un point commun: les principales victimes en sont… les civils. 😦

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  10. Annick Danjou dit :

    « Emmanuel Macron et le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane ont dîné en privé au Louvre » et après cela on voudrait nous faire croire que tout va bien chez nous!!! en tout cas il y en a qui en profite pendant que la France est en colère et se soulève.

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  11. Aldo dit :

    MT a raison d ‘ évoquer cette question concernant l ‘ Arabie Saoudite , mais n ‘ oublions pas que nous même sommes champions de donneurs de leçons de droits de l homme au monde entier , tout en trouvant normal de bloquer des facs , de créer des zones de non droits cités à risques en banlieues , de squatters illégalement des zones ( NDDL …) , de détruire des centres villes par des antifas impunis , de relâcher des délinquants , des criminels ( Cantat au bout de 4ans ) en méprisant les victimes , de ne pas appliquer des peines de justice , de propager la haine sur internet , de laisser s instaurer un islamisme conquérant dans toutes nos institutions etc etc

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  12. Sganarelle dit :

    Comme toujours on est plein de bons sentiments et  » en même temps » on a besoin de vendre nos armes .
     » Baise la main que tu ne peux mordre » dit un proverbe arabe.
    Valable aussi bien d’un côté que de l’autre mais nous endormir avec l’ouverture du jeune prince à l’Occident c’est un supplément de com inutile puisque ce sont des Sunnites et qu’ils sont le ciment de la guerre actuelle contre les Chiites plus modérés. Pour se mêler de ce qui se passe dans les autres pays il faut avoir les moyens de ses ambitions , de même pour infliger sa propre conception du bonheur chez les autres il faudrait commencer par faire son propre ménage. Tout le monde n’est pas fait pour le lelaxisme démocratique,

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  13. Gérard Bayon dit :

    Bonjour à toutes et à tous,
    Rien de plus normal en effet que le chef de l’Etat et ses ministres aient des relations et reçoivent tous leurs homologues à partir du moment où les intérêts nationaux, commerciaux, sécuritaires, stratégiques ou culturels sont les principaux sujets évoqués, mais l’on ne doit pas oublier d’aborder les considérations humanitaires notamment et surtout lorsqu’elles sont divergentes et contraires aux droits de l’homme. La franchise n’a jamais nui aux relations à la condition de ne pas se montrer arrogant ou donneur de leçons. La souveraineté des Etats doit rester la règle lors de ces rencontres.
    En revanche, je ne supporte pas que sous des prétextes fallacieux ou pour vendre des armes qui se retourneront contre des innocents, nos dirigeants dépassent le strict cadre d’une réception officielle avec les égards dus au rang de leurs invités, pour céder à leurs caprices ou leur remettre la plus haute décoration de la République devenue sur leur poitrine «la légion de déshonneur ».
    Le prince héritier Mohammed Ben Salman est un réformateur à deux visages, d »un côté un jeune homme qui apporte un peu plus de libertés dans son pays, notamment aux femmes, et qui veut développer le tourisme dans son pays, de l’autre un ambitieux, frustre et impulsif qui lance une intervention militaire contre les milices houthistes du Yémen, perçues à Riyad comme le cheval de Troie de Téhéran,
    E. Macron devra redoubler de prudence avec cet individu lorsqu’il remplacera prochainement son père. Nos relations privilégiées avec son ennemi : le Qatar qui lance également des réformes progressistes, ne manqueront pas de nous apporter quelques préjudices dans un premier temps probablement commerciaux.
    Personnellement je n’ai à ce jour, aucune confiance dans ce personnage arriviste pour le moins ambigu.

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  14. Un esprit éclairé et humaniste est forcément profondément désolé par les atteintes aux droits de l’homme dans certains pays mais il faut néanmoins rester rationnels, ce genre de situation ne se règle pas par des sanctions internationales et des interventions militaires. Partout où l’on procède ainsi on ne fait qu’aggraver les choses localement voire semer le chaos dans des régions entières. Il faut se rendre à l’évidence, les peuples doivent suivre leur propre voie pour aboutir à un niveau de civilisation satisfaisant. La bonne stratégie et de dire clairement aux régimes coupables que l’on désapprouve leur action mais que l’on ne lèvera pas le petit doigt pour les mettre dans ce que nous considérons comme le droit chemin. En revanche il faut leur faire comprendre que la foudre la plus extrême leur est promise s’ils deviennent agressifs envers leurs voisins. C’est là que doit être la vraie ligne rouge. Il est vraisemblable que les dictateurs les plus infâmes pourraient comprendre ce message et peut être même s’adoucir en interne s’ils craignaient moins que leur pouvoir soit menacé de l’extérieur.
    Quand au commerce (hormis celui des armes qui est une abomination), c’est une erreur de le bloquer car c’est justement par le commerce que la civilisation se propage.

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