La course au centre

panorama2Le Figaro de ce jour, le 8 mai, publie en page 14 du journal une tribune dont je suis l’auteur, intitulée: « la course au centre, séduisante et dangereuse à la fois ». La voici, pour en débattre:

Nous assistons peut-être en ce moment à un tournant de la vie politique française. L’abstention de 17 députés centristes et le vote favorable de trois d’entre eux sur le pacte de responsabilité présenté à l’Assemblée nationale par Manuel Valls le 29 avril dernier ne doit pas s’interpréter comme une simple péripétie de la vie politique, mais comme un événement révélateur d’une tendance profonde. Il est à rapprocher de la tendance qui s’exprime dans les sondages nationaux et qui semble plébisciter une évolution centriste. D’après l’enquête BVA du 28 avril, les deux partis centristes sont ceux qui bénéficient de la meilleure image auprès des Français: l’UDI avec 51% d’avis favorables et le MODEM avec 48%. La même tendance est frappante au niveau de la cote personnelle, avec la percée fulgurante du consensuel Alain Juppé, depuis plusieurs mois personnalité préférée des Français (56% d’opinions favorables) suivi de François Bayrou.

Le recentrage de l’opinion s’explique par les dernières évolutions politiques du pays. Nous sortons de la logique majorité/opposition pour entrer dans un climat plus unitaire. La gauche socialiste tend ostensiblement vers la sociale-démocratie gestionnaire, avec la nomination de Manuel Valls à Matignon et l’adoption du « pacte de responsabilité ». A droite, les sujets dits « clivants » sont de plus en plus délaissés: la réforme de l’Union européenne, l’intégration, les banlieues, la sécurité, la politique migratoire. Les tentatives de bousculer l’ordre idéologique – à l’image de l’ouvrage de Laurent Wauquiez, Europe, tout doit changer (Odile Jacob) – se heurtent à un tir de barrage.

Ce mouvement correspond au sentiment que les concepts de droite et de gauche n’ont plus grand sens dans un climat porté sur le consensuel: 73% des Français le pensent selon le sondage CEVIPOF de janvier 2014. Il pourrait être aussi le fruit d’une lassitude envers la violence du climat politique, les grandes polémiques, les scandales à répétition et les lynchages de personnalités.

Un retour au sources de la République semble alors en voie de se produire. La IIIe République était dominée par une vaste formation centrale – les Opportunistes, puis les Radicaux pendant près de quatre décennies – qui faisait et défaisait des coalition gouvernementale négociées entre les factions partisanes. Sous la IVe un phénomène comparable a dominé le fonctionnement de la vie politique, autour d’une alliance centrale instable, dite « troisième force » entre la SFIO, ancêtre du parti socialiste, le MRP et l’UDSR centristes. Ce n’est que sous la Ve République que la démocratie française s’est peu à peu organisée autour d’un logique nette et durable de clivage entre une majorité et une opposition.

Faut-il se réjouir sans réserve de cet apaisement, recentrage, décloisonnement apparent de la vie publique de notre pays?

Tout d’abord, l’opinion publique est un phénomène complexe, paradoxal et aléatoire. La quête d’unité et de consensus ne retire rien, en profondeur, à ses inquiétude et à ses priorités, exprimées par exemple à travers l’étude de CEVIPOF. Celle-ci souligne que pour 87% des Français « les politiques ne s’intéressent pas à ce que pensent les gens comme eux », la politique inspirant à « 36% de la méfiance et à 31% » du dégoût. Les sujets qui paraissent actuellement sacrifiés sur l’autel du consensus demeurent vivaces dans la conscience collective: ainsi 67% expriment une préoccupation sur l’immigration (CEVIPOF), 32% sur la sécurité (sondage Figaro du 9 décembre 2013). La défiance envers une Union européenne jugée bureaucratique et indifférente à leurs malheurs, notamment le chômage de masse, ne cesse de croitre: seuls 35% des Français portent sur elle un regard favorable (CEVIPOF).

Séduisante en surface, la perspective d’un recentrage durable de la vie politique comporte un véritable danger: celui d’aggraver la coupure entre « la France d’en haut et la France d’en bas « en donnant aux Français le sentiment que la classe politique ne traite pas les « sujets qui fâchent », se détourne de plus en plus de leurs souffrances ou de leurs inquiétudes. La course au centre, passant par une neutralisation des débats de société, reviendrait dès lors faire le jeu des courants extrémistes. Les forces républicaines n’offrant plus d’alternative dans un contexte aseptisé, dépolitisé, il resterait le seul recours aux mouvements protestataires.

D’ailleurs, la plupart des démocraties modernes notamment les Etats-Unis et le Royaume-Uni, fonctionnent sur la base d’un face à face entre deux forces de gouvernement. La modernisation de la vie politique française passe sans doute par l’adoption de nouvelle régles du jeu entre majorité et opposition, assurant un débat d’idées apaisé, mais libre et sans tabou, un renouvellement des élites politiques et de la représentation populaire. La course au centre est une fausse bonne solution qui conduit le pays dans l’impasse.

Maxime TANDONNET

 

 

 

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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20 commentaires pour La course au centre

  1. Entièrement d’accord avec Annick.

    Cette tendance vers le centre est un essai de manipulation de l’opinion publique.

    Tout dans la France d’aujourd’hui indique l’émergence de tensions et de radicalisations de plus en plus fortes et irréconciliables, notamment sur les deux sujets majeurs de l’Europe et de l’immigration.

    Non mais franchement, Juppé populaire! vous y croyez un seul instant M. Tandonnet?

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    • theotimedesavoie, ce n’est pas incompatible, le centrisme et l’extrémisme vont souvent de pair, Robespierre et le Marais, les Opportunistes et le boulangisme, la République radicale et les ligues fascisantes, la montée du national-socialisme et la démocratie chrétienne, etc… MT

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  2. dissident dit :

    bonsoir,  » ludi et le modem meilleures cotes dans l opinion », cela ne veut pas dire grand chose, déjà, quand le sondage se fait par telephone, ce qui est la regle, ceux que vous appelez « extrémistes » ne répondent presque jamais, ensuite je me souviens dans les annees 90 du dernier siecle, c était l ecolo gauchisme qui avait la meilleure cote dans le sondage mensuel du figmag, ont ils un jour été au pouvoir ? auraient ils des deputes si le ps ne lui faisait pas des cadeaux électoraux? les sondages, donc mefions nous en, attendez le resultat des européennes et vous verrez si l udi modem rallient tant de monde que ca

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  3. Annick dit :

    Bonsoir Maxime,

    Il est à rapprocher de la tendance qui s’exprime dans les sondages nationaux et qui semble plébisciter une évolution centriste.

    Je ne crois pas un instant à la véracité de ces tendances sondagières, entièrement fabriquées par les média.
    C’est de l’intoxication, une tentative de faire pression sur l’opinion.
    Ce que j’entends, et vois autour de moi, n’a rien de tendance centriste.
    Soit l’on me dit qu’on va désormais s’abstenir de voter si rien ne change et rien n’émerge (c’est aussi mon cas), soit l’on me dit que l’on va mettre tout ça parterre, en votant extrêmes.
    Ce discours est unanime, y compris par des gens rencontrés par hasard, au marché ou ailleurs.

    Et, je suis bien d’accord, le Centre, c’est la mort assurée. Le gnangnan bien pensant que tout le monde vomit aujourd’hui.

    Bien à vous,

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    • Annick, je pense que la poussée centriste et extrémiste, au détriment des forces politiques traditionnelles, est somme toute assez logique dans le contexte!
      MT

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  4. anonyme dit :

    Bonjour,
    Une hypothèse pour expliquer ce retour en force- hypothèse invérifiable et non popérienne – le centre n’est-il pas dans l’esprit des médiocres, synonyme de modération, de compromis, de tolérance, n’est-il pas paré d’autant de vertus que la gauche (enfin, presque ! Il ne faut pas exagérer, disons, que le socialiste raisonnable, revenue de ses rêves éternelles, a de la sympathie pour le centre, qu’il appelle « la droite éclairée », en opposition à l’autre, l’obscurantiste) du coup le centre tient aussi le fouet idéologique de la Nation : qui est contre le centre, est susceptible d’être un extrémiste (de gauche au mieux, de droite, au pire), un populiste (expression à la mode, qui veut dire « t’es un idiot si tu doute des bienfaits de la fatale mondialisation, de la douce Europe, et de la gentille immigration ». Bref le centriste aujourd’hui c’est un bisounours armé d’une tronçonneuse, façon Jason… « Je tolère tout, sauf l’intolérance » telle est sa maxime… et du coup c’est une hypothèse très popérienne.

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  5. Bernard06 dit :

    Bonjour Maxime,
    Mr Hollande sait bien, lui, que c’est une partie du centre derrière Bayrou qui lui a permis de parvenir là où il est. Nous ne l’avons pas oublié non plus ; pas plus que nous n’avons oublié la, paradoxale mais bien réelle, responsabilité des contempteurs de ce qu’ils appellent l’UMPS.
    Imaginons un instant que ce Centre puisse se développer jusqu’à 51% des votants des présidentielles et jusqu’à une majorité absolue au Parlement. Quid alors d’une possibilité d’alternance ? Le confort absolu pour des « politiciens de rencontre » !

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  6. michel43 dit :

    MOI….j »attend tranquillement,le résultat des Européennes… et on va voir un Front national;tres HAUT ,peu étre devant la liste UMP..se serais FORMIDABLE et OUI.;; COPE devra démissioner… quand a l »UDI ou MODEN Franchement…JE SOURIS…

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  7. pierrehuet dit :

    Hélas oui, repliement de ce microcosme sur lui même: l’orage gronde, on se serre les coudes. Cela n’empêchera pas les chutes d’arbres sous la bourrasque.

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  8. Catalyne dit :

    Bonjour, Maxime
    J’ai une autre lecture de ce soi-disant recentrage de l’opinion publique.
    En 2012, après l’élection présidentielle, la classe politico-médiatique devait trouver un opposant PS-compatible, un leader UMP qui ferait consensus sur les idées humanistes même si le programme économique est un tantinet divergent. Un digne représentant de l’UMPS tant décrié par le FN.
    Fillon était l’homme parfait : il allait gagner haut la main la présidence de l’UMP, n’était pas contaminé par les idées « nauséabondes » de Sarkozy qu’il a d’ailleurs très vite dézingué dans tous les médias et, cerise sur le gâteau, envisageait la Présidentielle de 2017.
    Fillon, ancien Premier Ministre d’un quinquennat alors honni par les Français avait peu de chances de faire de l’ombre au vainqueur du 6 mai qui se représenterait en 2017. Il suffirait, en cas de trop forte popularité de Fillon, de reprendre ses interventions pendant le quinquennat, de lui balancer quelques peaux de bananes, pour le décrédibiliser. Vous remarquerez d’ailleurs que jamais le nom de l’ancien Premier Ministre n’est cité dans une supposée  » affaire » qui menace Nicolas Sarkozy, même pas l’arbitrage Tapie, ou une de ses ministres comme NKM et l’écotaxe.
    Fillon, le chevalier blanc tournant le dos à NS, serait l’opposant privilégié. Le soutien de la presse pendant son duel avec Copé devait anéantir celui-ci, jugé trop droitier.
    Patatras ! La phrase malheureuse ! « Entre le PS et le FN, je voterai pour le moins sectaire ».
    Pour la bien-pensance, adieu Fillon (ce sectaire incompétent, dixit Moscovici qui s’y connaît).
    Vite, il fallait le remplacer en trouvant un autre humaniste, bien-pensant, tout comme il faut. Ni une ni deux, voilà Juppé promu personnalité préférée des Français suivi de Bayrou !
    Le Sage (repris de justice quand même) est prometteur, selon toute la classe médiatique. Songez qu’il a refusé un spectacle de Dieudonné dans sa ville, – au mépris de la liberté d’expression, faisant fi de la justice qui doit seule sanctionner les dérapages -, qu’il a soutenu Bayrou à Pau, Bayrou qui avait appelé à voter Hollande !
    C’est sûr, cet homme est PS-compatible. Alors il surfe dans les sondages, comme Bayrou. A qui veulent-ils faire croire cela ? A cette France provinciale qui regarde le microcosme parisien afficher ses certitudes et ses obsessions, qui se gausse de la manipulation outrancière des politiques et des médias, qui sait elle où sont ses priorités ?
    Je souhaite bien du courage à toute cette clique. Le réveil sera dur.

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    • catalyne, l’ascension dans les sondages de Juppé, je la sentais venir depuis longtemps: quête du sage, de l’immobile, de la tranquillité, retour du chiraquisme…
      Assez logique, les Français sont les Français…
      MT

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  9. willy dit :

    Bonjour Maxime,

    « Faut-il se réjouir sans réserve de cet apaisement, recentrage, décloisonnement apparent de la vie publique de notre pays? »
    Certes pas> cela prouve juste ques les frqncqis sont las des politiques et que le nivellement par la base a fait son oeuvre.

    Bien a vous

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  10. Ribus dit :

    « L’abstention de 17 députés centristes et le vote favorable de trois d’entre eux… »C’est toute la stratégie politique de Hollande qui est là à mon avis. Je pense qu’il va essayer de limiter la casse comme il pourra avec la gauche de la gauche sachant qu’à l’élection présidentielle, ils reviendront vers lui.

    D’un autre côté, il tente de rallier le plus de centristes possible à sa cause pour diminuer d’autant la « surface électorale » de Sarkozy en cas de retour et sachant qu’une partie des centristes haïssent ce même Sarkozy.

    Ce n’est donc que des calculs politiciens mais le néant pour affronter les vraies questions de la France qui sont avant tout identitaires. Là aussi, le but est de ne plus en parler et de noyer le poisson.

    C’est quand lamentable de voir ce genre de petites manoeuvres alors que nos djihadistes sont en train de gagner leurs galons en Syrie avant de revenir en France pour sans doute continuer leur guerre de religion sur notre sol.

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