Obscurantisme

autodafe[1]La scène, authentique, se déroule dans un établissement universitaire parisien, devant un parterre d’une centaine d’étudiants de niveau bac+5. J’interroge mon auditoire de juristes plutôt brillants : qui connaît l’année du début de la Seconde République ? En tout et pour tout, je n’ai eu qu’une demi-bonne réponse… Certes, je ne m’adressais pas à un public d’historiens, mais j’étais quand même désagréablement surpris… Ceux qui me connaissent  un peu, à travers mes billets, savent à quel point la prétention et l’élitisme me font horreur. « Pour être plus savants, ils n’en sont pas moins ineptes » a écrit Montaigne (Les Essais, tome III, 7). Cependant, il existe une base de connaissance, de repères, une culture générale de l’histoire politique, sociale, littéraire, qui est le fondement de notre personnalité politique, de notre liberté de pensée et de conscience. Comment se défendre des courants multiples et des vents nocturnes en l’absence d’un ancrage intellectuel minimum dans l’histoire?  Comment rester nous même et apprendre à résister aux pressions diverses, à la bêtise, la méchanceté, le mensonge, la démagogie, la haine, si nous ne savons pas qui nous sommes? Ainsi, Jean Guéhenno expliquait  à ses élèves de Khâgne Henri IV, sous l’Occupation, que son métier était de leur enseigner la France, la pensée française, « c’est-à-dire une chose aussi solide que les Alpes ou les Pyrénées, qu’il ne dépend de rien ni de personne que la France soit autre chose que ce qu’elle est, qu’on ne peut heureusement pas changer son histoire, que Montaigne, Voltaire, Michelet, Hugo, Renan, la gardent… »[1] . Le recul de la connaissance solide entraîne celui de l’esprit critique et crée les conditions d’une société soumise à toutes les pressions parfois délirantes, les modes idéologiques, les airs du temps y compris les plus sournois et nocifs. Mais au fond, consciemment ou inconsciemment, ne serait-ce pas l’objectif recherché par notre époque ?

Maxime TANDONNET


[1] Journal des années noires – Editions Gallimard

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
Cet article a été publié dans Uncategorized. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

14 commentaires pour Obscurantisme

  1. UneVoix dit :

    Plus que de faire le constat, la grande question c’est : Est-ce que l’éducation nationale sert « in fine » a produire du bétail ? Est-ce fait exprès ? Et surtout, comment renverser la vapeur ? Ha pardon: « Mé komen renver-C se mach-1, mek?! Lol mdr »

    Il y a bien une cause contemporaine: la télé, certes. Mais cela ne peut pas être la seule responsable. Quand bien même je pense que la France se réveille par petit bout (en tout cas ne croit plus les discours). Je suis certain que l’on repartira du ras des pâquerettes. Il faudra ramer. Pauvres profs’. Remarque, peut être y aura-t-il plus de postes a pourvoir.

    « L’éducation populaire monsieur, ils n’en ont pas voulu! » (Christiane Faure). Mais qui donc n’en a pas voulu ? C’est a se demander si nos aïeux sont sorti victorieux de la guerre. Est-t-elle finie ?

    J’aime

  2. drazig dit :

    Pour Stéphane B, à propos de Dreyfus, permettez-moi de rappeler le mot de Clemenceau qui voulait la condamnation à mort du capitaine, au lieu « du jardin de Candide d’une vie paisible toutes aux joies de la culture du cocotier » (l’île du diable).
    Plus près de nous, Pierre Nord alias le colonel André Brouillard du Deuxième Bureau voyait l’affaire Dreyfus elle-même comme une regrettable suite d’un montage « intoxicatoire ».

    J’aime

    • Drazig, au début de l’affaire (1895), les défenseurs du capitaine Dreyfus n’était qu’une infime poignée, son frère, sa femme, 2 hommes politiques, un officier (Picquart), contre le courant de haine, incluant la gauche, Jaurès et Clemenceau, déchaîné contre un innocent. Même Jaurès, père du socialisme réclamait la peine de mort! Ah, quand la masse se déchaîne et se met à lyncher un homme solitaire, on découvre l’humanité dans toute son horreur.
      Maxime

      J’aime

  3. Bonjour à tous, avec mes excuses pour une absence liée à mon implication dans les prochaines élections. Comme je l’ai écrit dans mes derniers billets, j’ai décidé d’agir au lieu de subir !

    Pour votre billet, je vais faire court comme l’a été cette seconde république. L’enseignement n’offre plus une chose aussi solide que les alpes, le socialisme pourtant issu de la montagne ne souhaite plus voir une société critique, mais docile et qui croit maîtriser un champ de connaissance. De plus afin de lisser les différences la polémique du genre entre de plein fouet dans l’univers de nos enfants.

    J’ai eu dernièrement une conversation avec des professeurs du privé qui se battent encore pour donner une connaissance complète des sujets devant être abordés au lycée, ils savent que le niveau se fait de nos jours par le bas. Les obligations de résultats au Bac impliquent certains arrangements avec les notes finales pour obtenir les scores voulus.

    Pour moi des mots reviennent à la surface béhaviorisme, mais là habitué un individu à ne pas chercher à apprendre par des stimuli débilitants, il ne cherchera pas à savoir. Peut être dans un jour proche, la révolution française sera confondue avec celle de la terre, garantissant la vie du suzerain.
    Supprimé l’apprentissage d’un mot pour qu’il disparaisse et avec lui la facilité d’accès au signifié véhiculé par le signifiant, tel est le but ultime ; empêcher les repères de la connaissance pour que le citoyen docile ne finisse que par croire en la vérité de la nomenklatura bien pensante.

    J’aime

  4. Duff dit :

    Cher Maxime,

    Encore un vaste débat pour la droite car ce n’est même pas le PS qui a rogné l’enseignement de l’histoire ou introduit la théorie du genre dans les manuels scolaires… Après le passage de Peillon et sa laïcité socialiste, il va y avoir un gros chantier…

    Cordialement

    J’aime

  5. HUIBAN dit :

    M. Tandonnet,

    Je ne suis pas surpris par votre désagréable constat. La culture générale, qui fonde en partie notre identité, est malmenée, y compris au sein de notre enseignement supérieur. Ce dernier s’est trop axé, ces dernières décennies, sur des connaissances techniques au détriment de ce terreau de connaissances générales déjà fragilisé dans le secondaire. Double erreur ! Non seulement ces connaissances techniques subissent généralement une obsolescence rapide, mais elles ont souvent un « rendement » affaibli, car pas toujours appliquées avec discernement faute de cette culture générale. Cette dernière nous permet de prendre plus facilement du recul en interprétant les signaux faibles de notre environnement, signaux qui préfigurent les mouvements de fonds, c’est-à-dire sur un temps long bien loin de l’écume médiatique du moment… En conséquence, les compétences techniques rapidement obsolètes (moins de 5 ans) devraient être majoritairement l’apanage de la formation professionnelle continue.
    Ce recul culturel, couplé au déclin de ce premier maillon de socialisation que constitue la maîtrise de la langue, pourrait hélas entraîner un recul « civilisationnel ». Premier indice : les violences corporelles, qui diminuent parallèlement au développement de la civilité, augmentent à nouveau depuis plusieurs années (le nombre de condamnations pour coups et blessures volontaires a doublé entre 1996 et 2010). La barbarie naît avec le barbarisme… (pour aller plus loin sur ces questions, je recommande Thérèse Delpech, « L’ensauvagement : le retour de la barbarie au XXIe siècle » chez Grasset).

    Respectueusement,

    Patrice HUIBAN.

    J’aime

  6. Mich dit :

    Totalement d’accord avec vous cher Maxime!
    En terme de culture générale essentielle, je rajouterai un petit quelque chose: le terme de ‘franc’ et donc de ‘français’ vient de l’allemand ‘Frei’ qui signifie ‘libre’ (et qui a donné ‘free’ en anglais).
    90% des français ne le savent pas, mais être français c’est être libre.

    J’aime

  7. Michel Berr dit :

    Je ne peux rien ajouter, ni à l’article même ni au commentaire ! Il est bon, de temps en temps, de constater que certains en France parviennent, encore, à penser seuls, sans formatage et là, d’un coup, énoncent des vérités… historiques.

    J’aime

  8. Stéphane B dit :

    Bonjour Maxime, bonjour à tous,

    Ce billet me fait sourire, notamment au regard des prises de position de certaines personnes ou de manifestations, lorsque j’entends des gens de gauche, qui sont très médiatiques, dénoncer la Droite de la seconde guerre mondiale, traiter un parti de fachos, … , alors que l(histoire montre et démontre que c’est leurs ancêtres rouges qui ont donné les pouvoirs au fascisme. Que justement leurs ancêtres rouges ont empêché la Droite de faire ce qu’elle voulait pour combattre et que ce n’est qu’au prix d’une formidable manipulation dont le Général s’est rendu complice qu’ils sont passé pour des héros. C’est identique pour l’affaire Dreyfus. Les anti Dreyfusards étaient de gauche (à l’exception de quelques érudits comme Clémenceau, Zola ou Jaurès)

    Et il y en a encore tant mais je présume que je ne vous apprends rien. Toutefois, je pense que ces points devraient être rappelés plus souvent, notamment par les nos hommes politiques ou lors des débats qu’il conviendrait d’extirper du politiquement correct pour les mettre sur la véracité correcte

    J’aime

    • Stephane B, mon sentiment personnel est qu’il ne faut pas exploiter l’histoire à des fins idéologiques ou partisane, ce n’est pas tellement une affaire droite gauche, à chaque époque, dans chaque situation sensible, il y a une infime poignée de vrais voyous et de héros dans un camp comme un autre et une grande masse suiviste… Et puis ensuite, il y a ceux qui trafiquent l’histoire pour se donner le beau rôle et diaboliser l’adversaire! D’où l’importance de l’enseigner!
      Maxime

      J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.