Guerre d’Ukraine, n’ayons pas trop peur (réflexion sur la parole présidentielle)

Hier, les propos du président français ont marqué les esprits à l’issue de sa rencontre avec les chefs de partis politiques: « Nous n’aurons aucune limite dans le soutien à l’Ukraine ». Il était difficile de cogner plus fort. Aucune limite, si les mots ont un sens, implique la possibilité de l’envoi de l’armée français au combat (même seule puisque les USA, l’Allemagne, etc. ont exclu toute intervention), d’une mobilisation générale, des bombardements français de la Russie, et même de l’usage par la France de l’arme nucléaire. J’ai bien dit, si les mots ont un sens: aucune limite. Cette déclaration reprenait en beaucoup plus musclé les mots présidentiels de l’avant-veille sur l’envoi de troupes françaises en Ukraine, non à exclure, qui avait déjà déclenché un formidable tollé en France et dans le monde occidental. Il va de soi que la Russie disposant de 20 fois plus d’ogives nucléaires que notre pays (6000/300), un tel recours aux bombardements voire au nucléaire par la France – aucune limite – signifierait, en quelques minutes, l’anéantissement de notre pays et la vitrification de ses 60 millions d’habitants. Les responsables politiques ont tous réagi au propos présidentiel par le même mot: « irresponsabilité ». En vérité, la rhétorique élyséenne ne doit pas nous inquiéter exagérément. La politique, dans tous les domaines, se caractérise par le découplage entre le réel et le virtuel. Peu à peu, le virtuel, ou le spectacle, le théâtre, le Grand-Guignol, écrase la réalité et s’y substitue. Quand le chef de l’Etat fait ces déclarations, il n’en pense sûrement pas un traître mot. En parole, M. Macron n’a effectivement aucune limite. Mais face au réel, son tempérament le porte plutôt à la prudence sinon à la pusillanimité. Voyez comme il n’a jamais pris le risque de dissoudre l’Assemblée nationale chaotique, une décision à peu près 1000 fois moins grave que celle d’engager l’armée française contre la Russie. D’ailleurs, toute l’histoire montre qu’un dirigeant qui a des intentions offensives ne les formule jamais au grand jour: il prépare son coup en secret. La parole explosive est souvent un mode de compensation d’une fragilité, le masque du désarroi ou de l’indécision. Ces paroles aucune limite sont en parfaite contradiction avec nombre de déclarations, quasi simultanées, selon lesquelles notre pays n’est pas cobelligérant et ne le sera jamais. Cependant, dans le monde virtuel des politiciens au pouvoir, les contradictions n’ont pas d’importance. Alors pourquoi ces déclarations tempétueuses? Les raisons sont de 4 ordres: 1) A la veille des Européennes, ériger le parti présidentiel en défenseur de l’Ukraine contre tous les autres, prétendus « Munichois »; 2) Entretenir l’écran de fumée qui recouvre l’état épouvantable de notre pays (financier, économique, scolaire, sécuritaire, social, etc.) et les échecs du pouvoir actuel; 3) comme pendant la crise sanitaire (« nous sommes en guerre ») maintenir le pays sous la pression de la peur qui annihile la protestation; 4) le tempérament du chef de l’Etat qui le pousse à s’afficher au premier rang – en attendant l’apothéose des JO de Paris. Alors évidemment, ces paroles ne font pas peur aux dirigeants russes tant elles manifestent un désarroi et une indécision, une sorte de chaos mental de leurs adversaires ou ennemis et elles aboutissent à l’effet exactement inverse en leur montrant la fragilité et la division du monde occidental. Et ils ne peuvent qu’en profiter…

NB: ce matin, M. Lecornu: « Il n’est pas question d’envoyer des troupes au sol ». Pour qui nous prennent-ils?

MT

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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84 commentaires pour Guerre d’Ukraine, n’ayons pas trop peur (réflexion sur la parole présidentielle)

  1. lambrays dit :

    Je n’ai pas voulu cela a dit Guillaume II en 1917. Comme M. Poutine s’est enfermé dans une situation qui reste délicate, en partant d’une vision obsidionale de la Russie qui lui a donné le prétexte d’une intervention militaire visant la reconstitution de la Grande Russie, M. Macron s’enferme dans une posture qui fait de la Russie un agresseur contre la France aussi certain qu’illusoire. A force de clamer haut et fort que l’on n’abandonnera jamais l’Ukraine et que la Russie doit perdre, on pourrait imaginer devoir repousser une invasion de l’Ukraine par une Russie fatiguée qui n’aurait d’autre choix que d’user de l’arme atomique. Lorsque l’on a deux cinglés à la manoeuvre, on ne sait jamais ce qui peut en sortir. Heureusement que Papa Scholz refuse toujours d’aller sur le Front de l’Est.

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