Article 223-6 du code pénal

S’il me vient la faiblesse de raconter une anecdote, ce n’est sûrement pas pour parler de moi, mais en témoignage et au regard de ce qu’elle nous dit de la société et du monde actuel. Dimanche 14 avril, vers 17H15, le métro est bondé sur la ligne 8, Créteil, direction Balard. Quelques stations avant République (je ne sais plus exactement laquelle), un jeune homme d’une vingtaine d’années fait la manche et passe devant moi. A l’évidence alcoolisé mais il ne semble pas spécialement agressif. Classique. Le métro est coincé et ne redémarre pas. Soudain, des hurlements jaillissent de l’extérieur. Une voix d’homme appelle au secours. Je sors. Sur le quai, le garçon de tout à l’heure, le jeune mendiant, gît au sol. Six ou sept racailles, dont une fille, autour de lui le lynchent à coups de pied. Ils visent le visage et la tête. La bouche est en sang, le corps inerte, recroquevillé. Comme des requins rendus fous par l’odeur du sang, ils continuent à cogner à grands coups de pied, le ventre, le visage, la tête. Ce n’est absolument pas de la témérité ni même de l’audace. Je n’ai fait que me conformer à l’article 223-6 du code pénal sanctionnant la non assistance à personne en danger, quitte à détourner la fureur des tortionnaires contre moi. In fine, pour moi, plus de peur que de mal. Je ne me souviens plus précisément comment cela s’est terminé. Les tortionnaires se sont dispersés dans la masse et la victime, volatilisée. Mais que ce fut long! Pendant tout ce temps, on espère l’apparition d’une autorité, d’un uniforme. Rien, le vide, le néant, un vertigineux sentiment d’abandon et de solitude. Quant à la foule énorme, celle d’un métro bondé, 300, 400 personnes, elle voit, elle entend, elle regarde, passive, mais elle ne bouge pas. On le dit souvent, mais ce n’est pas un mythe: personne ne bouge, les gens sont pétrifiés par la peur et laissent faire. Et depuis, une question me trotte dans la tête: qu’est-ce qui est pire, la démence sanguinaire des bourreaux ou la lâcheté de la foule? Et tout cela, à l’image d’un pays qui s’effondre.  Le 14 avril, au fait, c’était ma fête, la saint Maxime.

Maxime TANDONNET

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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36 commentaires pour Article 223-6 du code pénal

  1. Georges dit :

    Observez les comportements actuels,copié-collé du passé (Média ,politique ,population ),ont-ils retenus les leçons d’un du passé?

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  2. jfsadys dit :

    « La seule chose qui permet au mal de triompher c’est l’inaction des gens de bien. » Edmund Burke. Il y a encore des gens de bien dans notre pays. Vous par exemple. 🙂

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    • jfsadys, belle formule!
      MT

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    • Anonyme dit :

      Burke écrivait ceci en parlant de la révolution française, et se moque dans son livre d’un certain gentilhomme, s’imaginant éclairé en la soutenant inconditionnellement, car il ne réalisait pas que c’est sa tête qui était potentiellement sur le billot.

      J’imagine donc bien ce qu’il aurait pu dire sur telle ou telle grande orientation politique contemporaine, et sur ses divers soutiens.

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  3. jfsadys dit :

    Des raisons d’espérer. (1)
    Vous avez réagi. Plusieurs commentaires sur votre blog montrent que des personnes devant une situation très difficile ont réagi ou ont essayé de réagir. Lorsque le dernier de nos enfants s’est engagé dans un régiment de parachutistes, une fois sa période de formation de base terminée nous avons été invités aux remises de diplômes. Ce jour-là il y avait trois régiments différents sur la place d’armes du camp de formation. Il y avait trois cents jeunes prêts à servir et ne demandant qu’à être utile. Il y a encore dans notre pays des raisons d’espérer.

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  4. Georges dit :

    Point de détail mais admettez qu’il s’agit de peau de chagrin ceux qui décédèrent de résister.Si j’admets une certaine exagération dans mon propos je le dois à la déportation d’un membre de la famille suite à une dénonciation d’un compatriote .

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    • Anonyme dit :

      Ceux qui décidèrent de résister ne furent pas une peau de chagrin, et la grande majorité de ceux qui ne firent rien étaient évidemment hostiles à l’occupant, ne serait-ce que parce qu’il les affamait.

      La Grande-Bretagne reconnait par exemple 17 000 helpers en France, c’est à dire personnes ayant pris un rôle actif dans une filière d’évasion de pilotes abattus au dessus de l’Europe (qui ont évacué 3 000 pilotes).
      Je trouve que c’est beaucoup vu la manière dont ce type d’action se déroulait par nécessité (chiffre trouvé dans l’atlas de la France pendant la seconde guerre mondiale, édité par le ministère de la défense et synthèse de travaux d’historiens).

      Le comportement individuel de tel ou tel ne permet pas de porter un jugement sur l’ensemble, ainsi le prêtre qui a dénoncé Germaine Tillion (et qui incitait les gens à résister pour ensuite les dénoncer, selon elle) ne permet pas de se prononcer sur l’action de l’ensemble du clergé. Pour cela il faut lire les livres de Sylvie Bernay, de Michèle Cointet et mieux encore revenir aux sources, les cahiers du témoignage chrétien par exemple. On y a d’ailleurs parfois des surprises de calendrier.

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