Statistiques de la fécondité en France, par Michèle Tribalat

Mme Michèle Tribalat, démographe à l’INED, a bien voulu m’adresser l’article ci-dessous publié sur son site personnel et je suis certain qu’elle ne verra aucun inconvénient à sa reproduction partielle ici. La démographie, en particulier la variable fécondité, est sans doute le paramètre le plus essentiel pour notre avenir de long terme et elle est aussi un sujet de plus en plus tabou, donnant lieu à toutes les manipulations et trucages, étouffé par la dictature de l’immédiat, de l’émotionnel et des polémiques quotidiennes. La baisse de la fécondité en France serait, depuis 2010, plus forte que ne le laisse entendre l’INSEE. Retour sur une question fondamentale.

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L’Insee vient de publier un article sur l’évolution récente de la fécondité en France :

Baisse de la fécondité en France : tous les âges et tous les niveaux de revenus sont concernés, Isabelle Robert-Bobée et Sabrina Volant, INSEE FOCUS, N°136, 13/12/18, //insee.fr/fr/statistiques/3675496

L’article commence ainsi : « La fécondité diminue légèrement en France depuis 2015 ».

J’ai un petit désaccord avec l’Insee là-dessus.

En effet, pour soutenir ce résultat, l’Insee s’appuie sur les données France entière dont la série est discontinue puisqu’elle intègre Mayotte à partir de 2014. Mayotte, c’est tout petit, mais les femmes y ont eu 5,01 enfants en moyenne en 2016. Avec ou sans Mayotte, le différentiel est d’un peu plus d’un enfant pour cent femmes. L’introduction de Mayotte en 2014 génère donc un petit gain de fécondité qui a conduit à interpréter l’évolution 2006-2014 comme fluctuant autour de 2,00 enfants par femme. 2,00 enfants par femme, c’est la moyenne calculée sur les 9 années allant de 2006 à 2014.

L’examen de l’évolution de l’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF)[1] pour la France métropolitaine et pour la France hors Mayotte[2], donc à champ constant, amène à voir les choses un peu différemment. L’idée d’une stabilité de la fécondité de 2006 à 2013 tient moins bien la route, surtout si on resitue la période sur les vingt dernières années. Alors, on voit que l’ICF a plutôt augmenté, même si c’est avec des fluctuations jusqu’à atteindre 2,03 enfants par femme en France et 2,02 en France métropolitaine en 2010, point le plus haut sur vingt ans. Ensuite il diminue, doucement d’abord de 2010 à 2013-2014, où il atteint un plateau, pour reprendre une baisse plus abrupte jusqu’en 2017. Cette année-là, l’indicateur conjoncturel de fécondité est descendu à 1,85 enfant par femme en France métropolitaine. Depuis 2010, l’ICF en France métropolitaine a perdu 0,17 point, ce que je ne qualifierai pas de « légère » baisse. On ne comprend d’ailleurs pas très bien pourquoi, dans sa publication, l’Insee s’est arrêté en 2016, année pour laquelle l’estimation est aussi provisoire qu’en 2017, année déjà disponible par ailleurs sur le site de l’Insee.

Les femmes ont leurs enfants de plus en plus tard et, avec l’âge, le rattrapage tardif est moins facile. C’est l’évolution des taux de fécondité après 30 ans qui explique la courbe ascendante de l’ICF jusqu’en 2010. Ensuite, cette tendance persiste pour les 35-39 ans jusqu’en 2014, alors que la fécondité des femmes âgées de 25-29 ans baisse dès 2010, plus nettement encore à partir de 2014 et que celle des moins de 25 ans baisse aussi, plus sensiblement à partir de 2012. En 2017, si l’on excepte les 40-50 ans, les taux sont à la baisse à tous les âges (graphique ci-dessous).

Évolution des taux de fécondité (pour cent femmes) par groupe d’âges de 1998 à 2017 en France métropolitaine. Données provisoires de 2015 à 2017. Source : Insee.

Immigrées/ Natives

L’ICF en France est calculé en additionnant les taux rapportant le nombre de naissances par âge de la mère enregistrées à l’état civil au nombre de femmes à chaque âge. Ce n’est pas faisable pour les immigrées. La distinction nécessaire à leur repérage n’existe pas à l’état civil. Un substitut possible aurait été de calculer un ICF pour les femmes nées à l’étranger, distinction figurant dans l’état civil. Mais ce n’est pas la solution retenue par l’Insee qui a mobilisé les campagnes de collecte des enquêtes annuelles de recensement. Ainsi, celle de 2005 peut donner une idée des naissances en 2004 et ainsi de suite. L’Insee donne la série de l’ICF calculé pour les années 2012 à 2016 à partir des collectes de 2013 à 2017. L’ICF tourne autour de 2,7 enfants par femme pour ces cinq années. Puisque l’Insee a consenti à donner une série, ce qu’il répugne à faire généralement considérant que les enquêtes annuelles de recensements ne sont comparables que tous les cinq ans à partir de l’addition de cinq campagnes[3], pourquoi ne pas avoir commencé avec l’année 2004, première campagne du nouveau recensement ?

Par ailleurs, je suis étonnée qu’à partir des campagnes de recensement on retombe, pour l’ensemble de la France hors Mayotte, pile sur les données calculées à partir de l’état civil et publiées par ailleurs pour la France, mais y compris Mayotte (tableau ci-dessous).

Capture d’écran de Focus Insee N° 136.

La relative stabilité de la fécondité des immigrées et la baisse de celle des natives se traduisent mécaniquement par une participation progressivement plus importante des immigrées à l’indicateur conjoncturel de fécondité.

Reste que le faible impact des femmes immigrées sur la fécondité suscite toujours beaucoup d’incrédulité. Ces femmes sont plus jeunes et ont plus d’enfants. C’est vrai, mais l’indicateur conjoncturel de fécondité a pour fonction de réduire les effets de la structure par âge, puisqu’il est une addition des taux de fécondité par âge.

Dans une publication précédente consacrée à l’apport démographique, en 2011, de l’immigration étrangère depuis 1960, j’avais estimé l’effet sur l’ICF en 2010 de cet apport démographique à 0,14 enfant (soit 7 %), alors que, sans cette immigration, c’est 27 % des naissances qui auraient manqué (//www.erudit.org/fr/revues/cqd/2015-v44-n2-cqd02448/1035952ar/).

Si, par construction, la contribution des immigrées à l’indicateur conjoncturel de fécondité est relativement faible, tel n’est pas le cas de leur contribution aux naissances sur lesquelles les effets d’âge et de surfécondité jouent à plein.

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[1] L’indicateur conjoncturel de fécondité est la somme des taux de fécondité par âge.

[2] J’ai évalué l’écart entre France entière et France hors Mayotte en 2016 à partir de la moyenne pondérée (par le nombre de femmes en âge d’avoir des enfants âgées de 15-49 ans) des ICF des régions avec ou sans Mayotte. Cela n’a pas été facile de trouver les données adéquates sur le site de l’Insee et j’ai dû passer par Google pour les dénicher. La médiocrité du site de l’Insee est une publicité indirecte pour Google.

[3] Les données de recensement officielles sont celles tirées de l’addition de cinq campagnes. 2006 additionne ainsi les campagnes de 2004 à 2008. L’Insee recommande de ne comparer les données de 2006 qu’avec celles de 2011 puis celles de 2017 quand on les aura (pas avant 2020).

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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9 commentaires pour Statistiques de la fécondité en France, par Michèle Tribalat

  1. Georges dit :

    L’ONU a trouvé LA solution,une signature à Marrakech.

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  2. michel43 dit :

    avec des millions de chômeurs ,les femmes seule pour les élever ,peu de crèches ,peu de logement , les femmes hésites ,,,,,elles on raison

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  3. Gerard Bayon dit :

    Bonjour à toutes et à tous,
    Il y a maintenant bien longtemps que les statistiques annuelles relatives à la fécondité montrent que les femmes Françaises retardent de plus en plus l’arrivée du 1er enfant et que les « grandes familles » sont de plus en plus rares. Nous en connaissons tous les principales raisons : les études plus longues pour les jeunes, le souhait de « profiter » de sa jeunesse, le phénomène « Tanguy », le chômage, la crainte de la pauvreté quelquefois liée à la peur d’une rupture du couple, la religion, l’éducation, l’immobilier, le terrorisme, etc.
    Les chiffres de cette étude montrent ainsi que le taux de renouvellement de notre population même en y intégrant l’immigration actuelle continue de baisser alors qu’il conviendrait de se rapprocher de 2,10 enfants/femme pour assurer seulement le renouvellement.
    Ces statistiques plaident malheureusement en faveur d’une augmentation de l’immigration…souhaitons simplement qu’elle ne soit pas comme aujourd’hui subie mais contrôlée.
    Mais là, je sais que nos gouvernants ne l’entendent pas ainsi et je redoute le pire pour mon pays dans les décennies qui viennent.

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    • Pascal dit :

      La rupture intervenue dans la natalité en 2010 – 2013 reflète bien plutôt les mesures politiques prises par les différents gouvernements.

      Perte des avantages pour les femmes fonctionnaires mères de familles nombreuses (Sarkozy) ; baisse des allocations familiales pour les familles aisées (Hollande) par exemple.

      Le fait qu’il faut absolument arrêter d’avoir recours à l’immigration, subie ou « contrôlée », montre donc que ces mesures, et les partis qui les soutenaient, étaient à côté de la plaque. Ce que la plupart des Français ont, à présent, bien compris.

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    • G Bayon, vous pouvez, redouter le pire!
      MT

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    • Colibri dit :

      J’ai pas compris pourquoi la religion est citée dans les raisons du retard du premier enfant?

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  4. Mildred dit :

    A noter que c’est peut-être la première fois dans l’histoire qu’on explique que faire moins d’enfants permet de réduire l’empreinte carbone !

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  6. mangezcochons dit :

    La société oblige les femmes à penser la maternité tardivement rien d étonnant mais merci pour cet article

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