Histoire: le chaos intérieur

La France a connu plusieurs situations de grand chaos intérieur au XXe et au XXIe siècles. Les caractéristiques sont les mêmes: la violence et la barbarie se répandent dans la rue, les forces de l’ordre sont débordées, la peur et la panique s’emparent des dirigeants politiques. L’Etat donne le sentiment de s’effondrer et de plus rien maîtriser. Cinq viennent spontanément à l’esprit.

Le 6 février 1934 est le résultat d’une crise profonde de la démocratie dans les années 1930. La France est meurtrie par la grande dépression. Hitler est au pouvoir en Allemagne depuis plus d’un an et renaît la hantise de la guerre. La classe politique est gravement discréditée par l’un des pires scandales de l’histoire contemporaine: l’affaire Stavisky: un escroc ayant bénéficié de complicités de plusieurs dirigeants politiques et de la justice, retrouvé « suicidé ». Le limogeage du préfet de police, Jean Chiappe, soutenu par la droite nationaliste, provoque un rassemblement place de la Concorde. La manifestation dégénère en émeute. La foule tente de bousculer les forces de l’ordre pour atteindre le palais Bourbon. Une fusillade fait 16 morts. La France est aux portes de la guerre civile.

Novembre-décembre 1947: la France des débuts de la guerre froide sombre dans un chaos sans nom. Le parti communiste, alors très puissant et la CGT organisent un blocage des houillères et des émeutes violentes qui paralysent la reconstruction tandis que  l’instabilité ministérielle bat son plein et l’Etat est désemparé face à ces phénomènes.

Mai 1958: la guerre d’Algérie fait rage. Les gouvernements s’enchaînent dans une instabilité absolue. Les émeutes et les attentats plongent la France dans le chaos. Le 13 mai, des militaires annoncent avoir pris le pouvoir à Alger. Le pays sombre dans un chaos dont nul n’a la moindre de de l’issue possible. Là encore, la guerre civile paraît tout proche.

Mai 1968: dès mars 1968, la révolte des étudiants embrase peu à peu le pays. Sa cause profonde est le rejet de la personne du général de Gaulle et de la France traditionnelle, dite bourgeoise et ses valeurs. Après des semaines d’émeutes d’une rare violence, notamment à Paris, marquées par des barricades, occupations, destructions de biens publics et privés, la classe ouvrière rejoint le mouvement et le pays entre dans une logique grève générale symbolisée par la pénurie d’essence qui prive les Français de leur outil de travail et d’un symbole de liberté: la voiture.

28 octobre 2005, la mort de deux jeunes gens qui tentaient d’échapper à un contrôle policier dans une cité sensible parisienne déclenche une émeute généralisée aux banlieues des agglomérations urbaines. Chaque nuit, pendant trois semaines, des violences opposent les jeunes aux forces de l’ordre, des milliers de véhicules sont incendiés et des bâtiments publics saccagés. Les blessés et les arrestations se comptent par centaines.

Chaque crise est différente, dans ses causes et dans ses manifestations. L’actuelle de novembre décembre 2018 exprime l’exaspération des milieux populaires qui se sentent méprisés, à la fois par les paroles et par les actes d’un pouvoir politique. Le chaos actuel a sans doute la particularité, contrairement aux autres mouvements, de bénéficier d’un net soutien du pays.

Comment en sort-on? Quelle issue, quelle solution politique? A chaque fois, les réponses diffèrent. En février 1934, on en sort par la constitution d’un emblématique gouvernement d’union nationale autour du populaire ancien président de la République, Gaston Doumergue, qui apaise les esprits. En 1947, l’issue est dans l’affrontement et la répression, orchestrés par le ministre de l’Intérieur – socialiste – Jules Moch avec le soutien implacable du chef de l’Etat Vincent Auriol. En mai 1958, le salut vient du recours à l‘homme providentiel Charles de Gaulle. En 1968, la réponse politique qui sort le pays des troubles est la dissolution de l’Assemblée nationale sur l’insistance du Premier ministre Georges Pompidou. En novembre 2005, la proclamation de l’Etat d’urgence fait figure de mesure emblématique qui coïncide avec la fin du mouvement.

Il est difficile de distinguer la part qui revient, dans l’achèvement d’une crise, à l’épuisement naturel des troubles et à l’impact d’une décision politique. De fait, l’expérience montre que dans les situation de chaos, les gestes d’apaisement, les signaux d’ouverture et de compréhension ne suffisent pas à ramener le calme. Parfois, ils ne font que les attiser. En cas d’effondrement du principe d’autorité, une fois déclenché le chaos, le retour à l’ordre est une tâche infiniment complexe. Seule une décision emblématique puissante, marquant  les esprits en profondeur, peut en venir à bout. Quelle peut-elle être dans la crise présente: un changement de gouvernement? Une dissolution de l’Assemblée nationale? Un référendum sur les résultats duquel le chef de l’Etat engagerait sa responsabilité? Il est certain que plus le temps passe, plus la situation s’envenime, plus le niveau de gravité de la réponse nécessaire s’élève.

Maxime TANDONNET

 

 

 

 

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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8 commentaires pour Histoire: le chaos intérieur

  1. Mildred dit :

    Monsieur Tandonnet,
    Permettez-moi un petit addendum à votre « chaos intérieur ».
    Le 6 février 34, les forces de l’ordre ont tiré sur les manifestants faisant, au moins, 14 morts et 62 blessés par balle.
    Le 29 novembre 1947, 30 mille grévistes, mineurs, cheminots et autres manifestent à Saint-Etienne. Les manifestants montent sur les automitrailleuses que les officiers ont refusé de faire tirer sur eux. On compte 100 blessés.
    Et voilà que Le Figaro se demande aujourd’hui : « Gilets jaunes : faut-il mobiliser l’armée pour protéger les sites sensibles ? »
    Les mauvais esprits diront que la réponse est dans la question.

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  3. Gerard Bayon dit :

    Bonjour à toutes et à tous,
    On voit et on entend bien que toutes les solutions proposées et améliorées au fil des heures et de l’inquiétude grandissante de nos gouvernants ne suffisent pas à calmer la fronde. C’est trop tard. Le gouvernement a voulu jouer la montre, il a perdu et le Président s’enferme dans un silence incompréhensible à la veille de grandes manifestations devenues difficilement contrôlables.
    Pour ce qui me concerne, la seule solution qui me paraitrait répondre à l’urgence du chaos actuel est dans un premier temps la dissolution de l’Assemblée Nationale déconsidérée par une grande majorité des Français et qui ne les représente absolument pas.
    Le changement de gouvernement qui s’en suivrait amènerait une cohabitation dont les partis extrémistes seraient vraisemblablement les grands vainqueurs et l’on peut d’ores et déjà penser qu’elle ne survivrait que quelques mois en raison des solutions iconoclastes et imbéciles déjà proposées par ces extrémistes.
    Que pourrait alors faire E. Macron ? Il n’aurait pas d’autre choix que de quitter le pouvoir, mais nous tournons en rond : qui pour le remplacer ?

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  4. François Martin dit :

    Merci pour cet utile rappel qui met bien la situation en perspective. Je trouve le Gouvernement bien irresponsable d’évoquer le risque d’une guerre civile, car il ne s’agit pas de cela. Le pays n’est pas divisé en deux camps entre lesquels chacun devrait choisir; il souffre de trente ans de laisser aller, de réformes jamais abouties, de dégénérescence de l’esprit public, de perte du sens du bien commun, et d’une idéologie délétère pour laquelle les notions de peuple, de nation, d’Etat n’ont plus de sens. Ce qu’il faut faire? surtout pas changer de Gouvernement, ni dissoudre le Parlement, encore moins réclamer la démission d’un chef de l’Etat qui, bien qu’élu dans des conditions inédites et détestables, reste légitime. Vous le faites remarquer à juste titre: il n’y a pas d’alternative crédible, pour l’instant. Il faudra la préparer pour 2022, en remettant tout à plat.
    Dans l’immédiat il faut une réponse déterminée au déferlement de la violence. De la répression: si ce qui se passe est inacceptable, il ne faut pas l’accepter. L’opinion, versatile, ne soutiendra pas longtemps un mouvement qui aura perdu son âme et sombré dans la violence et l’anarchie. Les gilets jaunes ne veulent pas de cela non plus. Il y a quelques centaines, ou quelques milliers peut-être, de casseurs professionnels aguerris aux méthodes de l’extrême gauche: ils doivent être maîtrisés et punis.
    Sur le fond, et pour éviter un chaos en 2022 qui, pour le coup, pourrait se transformer en une vraie guerre civile si les partis extrémistes prenaient le pouvoir, il faut enfin faire les réformes profondes dont le pays a besoin. Libérer l’économie (une vraie réforme du droit du travail, suppression des 35H, entre autres); en même temps, redonner force au service public (par exemple, mettre fin au système absurde qui a démantelé la SNCF avec au moins deux résultats calamiteux: la suppression des petites lignes « non rentables » remplacées par des autocars, et la disparition du fret ferroviaire, remplacé par des camions; dans les deux cas, bonjour le bilan écologique, au passage); investir massivement là où l’Etat a soit un monopole, soit une capacité de levier: infrastructures, centrales nucléaires (oui! pas des éoliennes!), éducation, enseignement supérieur, recherche, etc.; revoir de fond en comble la fiscalité (si on veut plus de recettes fiscales, pour réduire le déficit et la dette, il ne faut pas augmenter les impôts ou en créer de nouveaux, il faut en baisser le taux) ; mettre fin aux gabegies publiques les plus évidentes (transferts sociaux contre-productifs pour l’emploi et la croissance, organismes publics inutiles, millefeuille territorial aggravé par la calamiteuse réforme des régions); assurer la sûreté, la sécurité et le respect des lois de la République sur tout le territoire, refuser le communautarisme islamique; et la liste est longue.
    Bref, et comme il me semble l’avoir écrit dans un commentaire il y a plusieurs années, si on veut éviter une révolte, il faut une révolution. C’était le titre du livre de Macron. Il serait temps de s’y mettre. Sinon en effet, ce sera le chaos.

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  5. Infraniouzes dit :

    Et si pour une fois ils tenaient les promesses déversées à flots lors des dernières consultations électorales. Chiche ? Difficile, j’en vois déjà qui s’évanouissent ou tombent en syncope. Non, plus un pas en arrière, comme le mot d’ordre de Staline à Stalingrad lui qui ne comptait pas les morts. Je crois avoir compris que quand on est élu, même pour un minuscule mandat, on entre entre religion. Petit curé ou moinillon, il faut gravir les marches une à une en respectant la hiérarchie et le dogme. Seul le guide suprême (ou le Pape) peut changer quelque chose à l’existant. Les autres sont invités à prier s’ils veulent que les choses changent.

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  6. Jvp dit :

    Bonjour M Tandonnet,

    Fidèle lecteur de vos analyses que je partage, je vous invite à ré-étudier la révolution de 1848, qui est probablement la meilleure comparaison historique de la crise actuelle. La Monarchie de Juillet, synthèse voulue entre la monarchie de droit divin et la république constitutionnelle, ressemble à la synthèse gauche droite de LREM. La monopolisation des medias par les bobos n’est pas non plus sans rappeler le suffrage censitaire.

    Bref.

    A relire donc le passé pour comprendre le présent et imaginer l’avenir, on peut donc imaginer après la chute du président, qui n’a pas d’enfants, comme Louis Philippe après la perte de son fils, une période de chaos, probablement d’extrême gauche. Les ‘Ateliers nationaux’ de la IIe République ont fait faillite en quelques mois, aussi surement que LFI mènera la France au défaut de paiement en deux ans tout au plus.

    Alors pourrait émerger un homme fort, emportant la mise de manière fulgurante, comme Louis Napoléon Bonaparte.

    Bien à vous,

    Jvp

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  7. PenArBed dit :

    Et nous n’en avons pas encore fin avec Macron. Les médiocres sont d’ailleurs déjà en campagne électorale pour les européennes.
    Comment peut-on suivre notre  »1er de cordée »
    Le 17 avril 2018 le président Macron s’exprime devant le Parlement européen :
    «Il faut entendre la colère des peuples d’Europe aujourd’hui, certains nous disent avec aplomb que les peuples ne veulent plus de l’Europe. Ce n’est pas le peuple qui a abandonné l’idée européenne c’est la trahison des clercs».
    Dans son discours  »Initiative pour l’Europe » du 26 septembre 2017 à la Sorbonne, il nous dit :
    «Nous n’avons pas les mêmes cultures, parlementaires, historiques, politiques ni les mêmes sensibilités. Et nous ne changerons pas cela en un jour»,
    mais nous dit également en bon fédéraliste supranational, comme si, il y avait «un seul peuple européen» :
    «Je défends, pour 2019, des listes transnationales qui permettront aux Européens de voter pour un projet cohérent et commun. (…) Et je souhaite qu’aux élections suivantes, le vrai pas en avant puisse être que la moitié du Parlement européen soit élue sur ces listes transnationales».
    L’Histoire nous montre que bien souvent ce sont des circonstances et des hommes d’État qui ont sérieusement changé les choses. Patientons

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