« Pourquoi le peuple français n’a-t-il plus confiance dans ses présidents? » (Figaro Vox)

Voici mon dernier article pour le Figaro Vox. Les événements politiques auxquels nous assistons depuis cet été (affaire Benalla, démission Hulot, effondrement de la confiance, etc.), sont dans la continuité d’une décomposition de la politique française qui remonte à plusieurs décennies et s’accélère depuis 2011. Elle est dominée par la disparition de l’esprit  public au profit de l’obsession narcissique et par l’effondrement de la confiance populaire dans la politique. La crise actuelle est dans la ligne de ce mouvement.  Mais nous sommes loin d’être au bout: le fond de l’abîme n’est pas encore atteint. Il faut s’attendre, demain, à de violentes secousses et à un chaos sans nom. Rien n’était plus affligeant que la vague de courtisanerie, d’obséquiosité et d’idolâtrie qui a suivi les élections de 2017. Mais l’excès inverse, c’est-à-dire la déferlante de haine et de moquerie qui lui succède n’est pas plus réjouissant. La logique du pire ne conduit à rien. Adoration et lynchage sont les deux faces de la même défaite du politique devant l’émotionnel. A mes yeux, (et sans vouloir paraître prétentieux), une seule attitude est valable: essayer de comprendre les causes du cataclysme en cours et réfléchir aux solutions de fond pour tenter d’en sortir.

Maxime TANDONNET

Figaro Vox, le 4 septembre 2018:

« Si je suis désavoué par une majorité d’entre vous, ma tâche deviendra évidemment impossible et j’en tirerai aussitôt les conséquences« . Cette déclaration du général de Gaulle à la veille du référendum de 1969 est emblématique de sa conception de la République, fondée sur le respect des Français. Chez lui, une impopularité présidentielle est inconcevable. La mission du chef de l’Etat repose exclusivement sur la confiance du peuple. Par le recours fréquent au référendum, le président de la République pose périodiquement la question de confiance à la Nation et il se retire si celle-ci est rompue. La Constitution de 1958 confie des prérogatives importantes au chef de l’Etat. Mais, selon un principe, qui est le socle de toute démocratie, ce pouvoir a une contrepartie: la responsabilité permanente devant le peuple.

Or, depuis 1970, il existe une constante: les présidents de la République sont toujours plus impopulaires les uns que les autres. L’institution présidentielle est prise dans l’engrenage d’une rupture toujours plus profonde avec la Nation. La chute est vertigineuse si l’on prend en compte la cote de confiance des chefs de l’Etat après un an de mandat: de Gaulle 69%, Pompidou 59%, VGE 59%, Mitterrand 57%, Chirac 42%, Sarkozy 33%(Kantar-tns-Sofres). Un sondage Ifop Paris-Match de septembre 2018 donne le président Macron encore plus impopulaire que son prédécesseur avec 31% de satisfaits (contre 32%) au même stade de leur mandat.

Les causes profondes de cette déchéance sont multiples. Depuis le tournant des années 1980, le politique échoue face aux grands problèmes de fond des Français: dette publique, déficits, violence et insécurité, chômage de masse, pauvreté, déclin industriel, maîtrise de la frontière, situation des banlieues, déclin de l’éducation nationale. Pour couvrir les échecs, les chefs de l’Etat modernes s’exposent dans une surcommunication. La médiatisation à outrance sert à masquer ou à faire oublier la défaite du politique sur le terrain de la réalité. Cependant, ce faux remède ne fait qu’aggraver le mal. Par cette surexposition, en prétendant incarner à eux seuls le pouvoir politique, dans une logique qui écrase le Parlement et le Gouvernement, les présidents se posent involontairement en boucs émissaires naturels de la Nation, incarnation de ses maux et de ses angoisses. Par le plus tragique des paradoxes, le chef de l’Etat, censé incarner le prestige national, finit par incarner de facto la déchirure, les souffrances et les angoisses de la Nation.

La question de la responsabilité présidentielle face à la Nation, au coeur de la République gaullienne, est annihilée, comme incongrue. Au contraire, les occupants de l’Elysée se placent dans une posture de rupture avec le peuple. Ils se persuadent de leur vocation à diriger le pays sans le soutien de la population, en ne comptant que sur eux-mêmes (voire une coterie de courtisans). Tel est le paroxysme en politique de la société narcissique et nihiliste décrite par Gilles Lipovetsky dans l’Ere du vide.

Cette erreur fondamentale est une source des malheurs politiques de la France contemporaine. Aucune démocratie ne peut être gouvernée sans la confiance durable de la Nation. Le général de Gaulle a sorti la France de la guerre d’Algérie, son plus grand défi depuis 1945, en s’appuyant sur la confiance du pays. Oui, la France est gouvernable, oui elle est réformable, mais sous réserve de la confiance du peuple en ses dirigeants. Le principe de l’autorité verticale, du haut vers le bas, l’autocratie, est absurde et illusoire dans le monde moderne. Il est inutile d’édicter des normes si la confiance n’est pas au rendez-vous, à tous les niveaux pour relayer les choix de société et les faire vivre.

Un président de la République sans la confiance populaire, qui est la courroie de transmission entre l’Elysée et le monde des réalités, est condamné à l’isolement et à l’impuissance. La confiance du peuple permet seule de légitimer l’action publique et de surmonter les intérêts particuliers et les obstacles intermédiaires. Il n’existe pas d’autorité, en démocratie, ni de réforme possible, en dehors de la confiance populaire. Comment peut renaître la confiance? Autour de valeurs comme la vérité, la modestie (contraire de la vanité stérile), l’action authentique, l’intérêt général, les responsabilités partagées avec le Premier ministre, les ministres et le parlement, la simplicité, le respect, l’honnêteté, la sincérité, l’écoute, la vision de l’avenir, la volonté unique de servir la France.

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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14 commentaires pour « Pourquoi le peuple français n’a-t-il plus confiance dans ses présidents? » (Figaro Vox)

  1. Janus dit :

    Au début de la IIIe république, il y avait un journal satyrique qui s’appelait « L’assiette au beurre » et qui présentait sous le mode ironique ou polémique toutes les turpitudes des élus et hommes de l’Etat de cette époque. Le canard enchainé n’en est que sa pâle copie et orienté sur une seule partie de ces pseudo démocrates. Les français n’ont plus confiance dans leurs président de la ripoublique parce que ceux-ci sont au mieux les représentants d’intérêts particuliers, au pire des corrompus et en général des minables. Je ne ferai pas la liste effrayante des pitres qui se sont succédé depuis Pompidou, mais tous, à un chef ou à un autre et pour certains à tous les titres, rentrent dans les catégories énoncées plus haut. Comment avoir confiance ou respect pour de pareils personnages ?
    Je regrette que les français n’aient plus rien dans le ventre et j’en viens à souhaiter la remise en vigueur des théories contre la tyrannie (car il s’agit bien du nom de notre régime actuel) qui fleurissaient aux temps des guerres de religion. Et que les belles âmes ne me fassent pas reproche de souhaiter violences et guerre civile : Nous y sommes déjà !

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  2. Georges dit :

    Pas qu’en France mes amis .

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  3. Citoyen dit :

    « Pourquoi le peuple français n’a-t-il plus confiance dans ses présidents? » …..
    Euh, ………. parce qu’ils ne sont plus dignes de confiance ! …
    J’ai tout bon ?…

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  4. Colibri dit :

    Dans la méfiance qui s’est installée dans notre pays à l’égard des présidents il y a peut-être aussi le sentiment que la République n’est pas un système politique qui permet de régler les problèmes en temps de graves crises. Oui? Non?

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  5. Colibri dit :

    Maxime Tandonnet vous n’êtes pas seul à penser ce que vous pensez, à exprimer ce que vous exprimez. Voir lien suivant: http://www.lavie.fr//debats/edito/le-solaire-et-le-solitaire-04-09-2018-92568_429.php

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  6. Maréchal dit :

    Char Maxime ..
    De Rugy, 3,88% à la primaire socialiste, avec comme seul argument « l’écologie punitive » ministre, Ferrand, sans aucune éthique au perchoir ..
    Je souhaite dès lors présenter la candidature de ma femme de ménage à la Présidence de la République ..
    Pour être plus sérieux, je reste persuadé que c’est monsieur Macron qui bouleverse la donne ..
    Les responsables politiques que nous connaissons et qui semblent dans l’ombre sont désemparés face à une situation nouvelle et n’ont même plus la possibilité de défendre les intérêts du pays à l’Assemblée. Le Député de ma circonscription me disait il y a peu:  » Ils ont tous les pouvoirs » ..
    Aucun chef de file dans l’opposition à ce jour. Laurent Wauquiez brille par son absence ..

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    • Maréchal, et M. Larcher n’est-il pas en train de prendre du galon? On peut rire de son physique et de son âge, il n’empêche qu’il donne une image de sagesse dans le bazar ambiant…
      MT

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  7. Pierre dit :

    N’est-ce pas aussi que la république gaulienne est un costume sur mesure taillé trop grand pour les successeurs du Général?

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  8. Gérard Bayon dit :

    Bonjour à toutes et à tous,
    Vous mettez à juste titre en avant la sur-communication et la surexposition médiatique des Présidents de la République parmi les causes de la déchéance Elyséenne. Soit, mais les Français élisent leur Président de la République qui a donc des comptes à leur rendre sur ses actions et celles de son gouvernement. La myriade de médias concurrents exagère délibérément cette demande et ils n’ont de cesse de rechercher quotidiennement et insidieusement les paroles et les réflexions du Président et de ses proches collaborateurs sur tout et n’importe quoi pourvu qu’ils trouvent la moindre information même sans intérêt. L’exercice du pouvoir suprême devrait s’entourer de silence, de réflexions et de décisions et non pas de déplacements quasi quotidiens coûteux et inutiles destinés soi-disant à rester proche des Français mais de fait réservés uniquement à satisfaire l’égo du monarque. La proximité avec les électeurs c’est le travail des députés et des sénateurs voire de temps en temps des ministres mais pas du Président de la République. La parole publique d’un chef d’Etat devrait être non point rare mais réservée, mesurée et uniquement destinée à expliquer et commenter les grands projets et les grandes décisions mises en œuvre et non pas de faire le point sur l’actualité du jour ou sur le coût de la garde-robe de son épouse. De la hauteur de vue, le sens de l’honneur de la patrie, l’abnégation, l’altruisme : voilà ce qui manque à nos Présidents et à celles et ceux qui y prétendent et qui tombent tous dans le piège de la communication outrancière au seul bénéfice de leur seule et minable gloriole.
    Pour obtenir la confiance d’un peuple, il convient prioritairement et nécessairement d’en être digne et sur ce point on ne peut pas dire que nos politiciens qu’ils soient de gauche, de droite ou d’ailleurs, lorsqu’ils arrivent aux marches du pouvoir soient des modèles de vertu et de probité. Tous ont un passé politique ou privé, souvent les deux, entaché de trahisons, de compromissions, de bassesses, de lâcheté…qui, aujourd’hui plus qu’hier, est vite déformé et révélé aux Français qui attendent un personnage dont la moralité est censée être bien au-dessus de la leur, d’où la déception et le rejet rapide. Ce manque de confiance est devenu plus que criant dans notre société qui constate jour après jour que, ce qu’elle considérait comme ses « élites » qu’elles soient politiques, religieuses, médiatiques etc. ne sont en fait que des personnages falots ou grotesques d’où la déception et l’abstentionnisme grandissant qui ne cessera que lorsqu’une femme ou un homme respectable, probe, honnête et estimable se présentera à elle. Mais le Général de Gaulle et Madame Weil sont morts…il nous faut donc encore attendre et supporter ceux qui nous ont berné.

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  9. Annick Danjou dit :

    Un déplacement d’Édouard Philippe dans les Hautes-Alpes estimé à 150.000 euros.
    Après les 350 000 euros pour son retour d’Asie.
    Comment pouvons-nous encore avoir confiance dans nos présidents et ministres?

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