Décès de Jean-Claude Gaudin ou la disparition d’une certaine idée de la politique ancrée sur le terrain et la réalité (pour le Figaro Vox)

« Marseille n’est pas de droite ou de gauche : c’est une ville populaire » disait Jean-Claude Gaudin de la deuxième ville de France par le nombre d’habitants. Cette phrase est un fidèle reflet de ce personnage qui fut pendant vingt-cinq ans maire de la cité phocéenne. Par-delà une pluie d’hommages qui a suivi l’annonce de son décès, son parcours en dit long sur une cause en perdition, celle la politique au sens le plus noble du terme, c’est-à-dire l’action au service de l’intérêt général.

Jean-Claude Gaudin illustre la définition même de l’homme politique au sens de la IIIe, de la IVe République ou la Ve à ses débuts, bref une créature du suffrage universel, une réussite issue de l’action de terrain plutôt que de l’abêtissement médiatique radio-télévision. Il est à l’inverse de nombreux dirigeants politiques actuels, fidèles représentants de la médiocratie qui doivent leur succès au goût de la communication, à quelque bon coup tordu et à la magie du réseau parisien ou de la politique spectacle, parfois en l’absence de toute expérience de l’administration d’une collectivité locale ou de l’exercice durable d’un véritable métier. 

Le prix à payer de cette dérive est la déconnexion, l’arrogance et la fuite dans l’esbroufe sur fond de chaos et de déclin. Et ce phénomène semble inscrit dans la durée à en juger par le parcours des trois ou quatre têtes de liste aux élections européennes de 2024, données favorites des sondages, comme sortis d’un chapeau de magicien, produits du népotisme, du militantisme ou d’une relative célébrité médiatique et ainsi projetés artificiellement au sommet sans le moindre mérite dans la conduite de la chose publique (ou privée). C’est ainsi qu’un pays s’effondre… 

Alors, Jean-Claude Gaudin a-t-il emporté dans la tombe la politique, au sens le plus noble du terme, et avec elle, la démocratie française pour reprendre le titre d’un livre cher au giscardien qu’il était ? Au moins, lui avait une expérience de la vie, de la réalité et d’autrui, à travers l’exercice d’un métier, celui de professeur d’histoire géographie pendant quinze ans. A l’inverse des politiciens-champignons d’aujourd’hui, il a gravi les échelons de la démocratie les uns après les autres, à commencer par son mandat de conseiller municipal de Marseille en 1965 – celui dont il était le plus fier, avant d’être élu député en 1978, maire en 1995 et sénateur. Il a bâti sa carrière sur l’expérience et le terrain, une action de long terme et non par la magie d’un reflet narcissique : voilà toute la différence…

Ainsi, l’ancien maire de Marseille incarnait la simplicité, la gouaille populaire à l’image de la ville qu’il aimait tant et à laquelle il a consacré sa vie. Nul ne l’imagine revendiquant une « autorité verticale » ou encore affichant la moindre morgue, fierté déplacée ou signe de mépris envers telle ou telle composante de la population. Lui-même issu d’un milieu populaire, était perçu comme un bon vivant à Marseille, personnage de Marcel Pagnol, un homme d’échange et de contacts, parfaitement accessible, amateur de bonne chère et à l’écoute des autres, une sorte d’anti-sectaire, qui parlait avec tout le monde et n’a jamais porté d’exclusive envers quiconque par-delà les origines, les idéologies ou les milieux sociaux.

L’un des derniers hommes politiques au sens noble du terme ? La question n’est pas de l’encenser ni de prononcer envers lui une sorte de dithyrambe sans nuances. Certes, on ne se maintient pas à ce niveau de responsabilités sans arrangements qui lui ont été parfois reprochés, des défaillances ou des ennuis judiciaires qui ont terni sa fin de carrière. Mais au-delà, Jean-Claude Gaudin ne cherchait pas à tout prix la lumière médiatique et n’était pas obsédé par « sa trace dans l’histoire ». Sa carrière ministérielle fut brève, à l’aménagement du territoire pendant deux ans sous le gouvernement Juppé de 1995 à 1997 : il ne semble pas avoir été obnubilé par la quête d’une reconnaissance nationale.

Toute son histoire le montre en pragmatique, inaccessible au narcissisme ébouriffant qui empoisonne aujourd’hui la vie publique. Il était le travailleur ou l’artisan d’une cause d’intérêt général : la modernisation de Marseille. Là aussi, il a connu l’échec et les critiques, tandis que l’état actuel de la cité phocéenne, sur le plan de la sécurité notamment ne permet pas de tirer un bilan uniformément favorable de son administration de la ville. Pour autant, son action a transformé la cité phocéenne sur de nombreux aspects à l’image du quartier de la Joliette et bien d’autres choses.

Sa disparition est emblématique de la fin des grands notables locaux d’influence nationale, à l’image aussi de Jacques Chaban Delmas à Bordeaux, ou de Raymond Barre à Lyon… Qui connaît le nom des maires de ces grandes villes françaises aujourd’hui, à l’exception de leurs habitants, et encore ? … Elle reflète la mort d’une conception de la politique ancrée sur le terrain au profit d’une sorte de grand-Guignol éthéré et d’une fracture croissante entre les gesticulations nationales et la réalité de terrain, ou les passions populaires.

Ce glissement de la vie publique nationale dans les limbes et le spectacle narcissique, au détriment de la réalité et du bien commun n’est-il pas, en partie, le résultat d’une interdiction trop rigoureuse du cumul des mandats ? La suppression des notables réunissant sur leur nom le mandat de député ou de sénateur et des responsabilités locales de haut niveau, par exemple les députés ou sénateurs maires et qui furent si longtemps des piliers de la démocratie française, à l’image de Jean-Claude Gaudin, a sans doute une part de responsabilité dans l’aggravation de la fracture démocratique – cette grande séparation entre le peuple et sa classe dirigeante.

MT

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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12 commentaires pour Décès de Jean-Claude Gaudin ou la disparition d’une certaine idée de la politique ancrée sur le terrain et la réalité (pour le Figaro Vox)

  1. Boukarine dit :

    Au fond votre panégyrique de Gaudin, en creux , montre tout ce qu’était ce personnage douteux et dont les réussites à Marseille sont tout aussi douteuses… Un petit professeur d’histoire géographie (ce domaine de l’enseignement n’est pas le plus prestigieux ni le plus difficile et ne prépare en rien à l’administration d’une ville comme Marseille, tout au plus au village de trifouillis les gonesses…), un potentat local médiocre, aimablement corrompu et plus grande gueule que bâtisseur. La ville s’effondre au propre comme au figuré grâce à 20 ans de clientélisme, de demi-mesures et de corruptions. La drogue est l’activité économique principale de ce port qu’aucun des élus locaux n’a réussi à libérer de l’emprise mortelle des dockers de la CGT qui, avec les douanes, favorisent les trafics les plus rentables. Bref, Marseille est une catastrophe et Gaudin en a été un des acteurs majeurs. Quant au reste , sa personnalité, ses mœurs douteuses et ses combines, il reste à son créateur d’en juger…

    Vous auriez pu vous économiser votre plume, le personnage, fut-il haut en couleurs, ne méritait pas un tel billet : Il est emblématique de la dérive des élites des lors que la statue du commandeur De Gaulle a disparue et les UDF ont été roi dans ce domaine…

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    • Pheldge dit :

      disons que Gaudin rappelle Pasqua, et les deux avec leur accent évoquaient la Provence de Pagnol, que ceux de notre génération – j’ai quasiment l’âge de MT- ont lu avec bonheur dans leur lointaine jeunesse. Et MT insiste bien sur la triste comparaison entre cette génération, ces hommes qui faisaient de la politique « avé les mains », et les insipides dir-cab actuels.

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    • Boukarine dit :

      @Phledge. Ce que vous dites n’est pas rassurant et ce bon La fontaine est toujours d’actualité : « Gardez-vous leur dit-il de juger les gens sur la mine »… Gaudin avec sa gouaille provençale a séduit son électorat, mais n’a rien fait pour améliorer la vie de cet électorat sauf celle des petits copains. Il est vrai qu’un Cincinatus à Marseille n’a aucune chance de séduire et donc d’être élu. Les hommes font leur malheur avec constance et maestria et je me demande chaque jour comment on peut consacrer sa vie a faire évoluer cette tourbe !

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  2. Pheldge dit :

    « une réussite issue de l’action de terrain », je ne sais pas si ça peut s’appliquer de la même façon à Raymond Barre, qui fut professeur d’université puis VP de la commission européenne de 1967 à 1973 avant d’être nommé PM en 76 à 52 ans, parfait inconnu du public. Son premier mandat, celui de député date de 1978, j’ai toujours eu le sentiment qu’il s’était lancé un peu contraint et forcé, parce qu’il était le PM, et donc chef de la majorité, et qu’il avait un devoir d’exemplarité.

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  3. lugardon dit :

    « Plus l’effondrement d’un empire est proche plus ses lois sont folles ».

    Cicéron

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  4. Monique dit :

    Bonjour Maxime Tandonnet, toutes et tous,

    Les voici nos vrais politiques que vous nommez à qui l’on pense avec nostalgie, ceux du RPR fidèles à leurs convictions qui ne se sont jamais reniés. JC Gaudin aimait sa ville avec passion, l’amour de ce que l’on défend voilà ce qui manque aux nouveaux hommes politiques, il est une icone à lui tout seul, il a tout subi, tout supporté, fallait il qu’il les aime, les Marseillais et « sa bonne ville de Marseille », c’était presque du Pagnol.

    On ne peut pas s’accrocher à cette nostalgie de ces politiques qui n’existent plus et je doute qu’ils reviennent un jour quand on a un président qui n’aime ni la France, ni les Français, la France vous savez c’est ce pays en faillite (Fillon l’avait annoncé à l’époque) qui n’a pas d’histoire propre. Je passerai sur la page « des sales colonisateurs » qui sont devenus aujourd’hui « les sales blancs ».

    Ce qu’est devenu Marseille ? c’est aussi cela les nouveaux politiques, la nouvelle justice, les nouveaux ministres et députés. Marseille n’est plus en France, Marseille est conquise, Marseille est ville ouverte. Avec la disparition de JC Gaudin, vous parlez ici d’une ville étrangère haut lieu des bandes, des rixes, des dealers, des trafics en tout genre, vous parlez d’une ville où l’on reçoit une balle perdue de sa fenêtre, d’une ville où la violence et le crime font la loi.

    Je me souviens très bien de ces grands maires certains continuent et font un travail formidable comme F. Baroin, JF Copé, JL Borloo et d’autres, mais ces Français d’avant existent ils encore aussi ? non ! on se bat contre des moulins à paroles et à vent, alors si on peut trouver un moyen de leur barrer la route, on doit le faire, c’est ce que dirait aussi JC Gaudin ou un P. Séguin.

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  5. lugardon dit :

    « De même que le feu n’éteint pas le feu et qu’il est impossible de sécher l’eau avec de l’eau, nous ne pouvons pas éliminer la violence par la violence. »

    Léon Tolstoï

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    • Pheldge dit :

      il n’est pas question d’opposer la violence à la violence, mais de faire respecter l’ordre et d’appliquer la loi, qui est une des principales raisons de l’existence de l’état, et non la promotion du wokisme et des LGBT, ce que beaucoup semblent avoir oublié …

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    • Monique dit :

      Bonjour lugardon « nous ne pouvons pas éliminer la violence par la violence » c’est très beau, c’est aussi le principe de tout chrétien qui doit tendre l’autre joue pour le camouflet et je me demande si nous sommes dans une société où de tels préceptes sont possibles ? cordialement

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    • lugardon dit :

      Bonjour Pheldge, quand j’ai reçu hier cette pensée de Tolstoï sur ma page Facebook je n’ai pas pensé au wokisme et aux LGBT. J’ai pensé à la violence en Nouvelle Calédonie, à la violence au Moyen Orient, en Ukraine, en RDC.

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    • lugardon dit :

      Bonjour Monique, j’ai demandé à Google quelle était la religion de Tostoï.

      Voici la réponse que j’ai obtenu:

      « Plus que Dieu et le Christ, c’est un principe d’unité pour guider son existence qu’il recherche. Considérant que l’Église a trahi la doctrine chrétienne, Tolstoï entreprend de rédiger son propre Évangile. Il y présente Jésus comme un simple homme du peuple dont la doctrine doit être crue parce que fondée en raison.« 

      Personnellement je ne suis pas par nature primaire quelqu’un qui tend l’autre joue quand il est frappé.

      Mais la vie m’a appris aussi que parfois il faut chercher la désescalade de la violence plutôt que l’escalade.

      Mais je sais qu’hélas parfois la violence est légitime.

      Ce que je n’aime pas du tout c’est la violence faite aux civils dans les conflits auxquels nous assistons en direct live sur nos écrans de télé, d’ordi, de téléphone portable.

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  6. Gil dit :

    bonjour Maxime

    Depuis combien de temps ne rend on pas hommage à qq de propre ? Je veux dire qq qui n’a pas de casserole aux fesses ?

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