Analyse politique (Atlantico)

Voici ma dernière contribution, demandée hier soir par le site Atlantico, relative à la situation politique française.

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1/ Alain Juppé a retrouvé Edouard Philippe à Bordeaux, l’occasion pour l’un et l’autre de signifier leur amitié et filiation politique malgré le choix de Philippe de travailler avec Emmanuel Macron. On a reproché à Virginie Calmez d’être incohérente quand elle s’est tournée vers Laurent Wauquiez plutôt que Mael de Calan, mais qui l’est le plus entre elle qui a choisi sa famille politique et lui qui s’est tourné vers un partenaire plus proche idéologiquement en apparence ? 

La politique moderne ne peut pas se limiter aux affinités idéologiques. On voit bien que les calculs de carrière l’emportent souvent sur les convictions. Mme Virginie Calmez parie sur la réussite de Laurent Wauquiez, comme M. Philippe parie sur la réussite de la présidence Macron. La situation politique est très compliquée pour « la droite » qui de fait aujourd’hui est scindée en trois : les constructifs, qui ont rallié le pouvoir LREM, les chiraquiens non-ralliés, tels M. Juppé ou Mme Pécresse, et les «droitiers », sarkozystes, avec Laurent Wauquiez. Entre les premiers et les seconds, la différence idéologique est faible ou nulle, et question ne tient qu’à une affaire de stratégie politique et de rapport à l’expérience Macron. Si les chiraquiens, non ralliés à LREM, basculent du côté des constructifs, c’en est fini des Républicains et le pouvoir LREM en sortira beaucoup renforcé sur le plan politique. C’est pourquoi cette rencontre est en effet hautement stratégique…

2/ Alain Juppé, énarque comme Emmanuel Macron, était-il un macroniste qui s’ignorait, un macroniste avant l’heure ? 

Il est certain que tous les deux sont proches du point de vue idéologique. Ils sont unis par un attachement viscéral à l’Union européenne, au sens des institutions et des politiques bruxelloises, ils sont favorables à une Europe multiculturelle. Franchement, bien malin est celui qui pourrait dire ce qui les différencie du point de vue des idées et du discours idéologique. Il est vraisemblable que le mouvement LREM pourrait se retrouver dans le concept « d’identité heureuse » qui était la marque des juppéistes pendant la campagne. Jusqu’aux primaires de novembre 2016, Alain Juppé était donné grand favori de l’élection présidentielle sur une ligne de modération. Un puissant courant de  l’opinion le soutenait. Il n’a pas pu gagner les primaires en raison d’un système qui favorise les prises de positions les plus radicales. Mais ce courant qui le donnait grand favori depuis des années, s’est reporté sur M. Macron et lui a donné la victoire. La logique des idées joue en faveur de leur rapprochement. Si l’on s’en tient à cette logique des idées, la vie politique française devrait se recomposer en cinq pôles : une extrême gauche antisystème puissante ; une gauche socialiste et européiste; une large formation centrale macroniste, formée de socialistes reconvertis, de centristes et des chiraquiens ; une droite républicaine et gaulliste ; une extrême droite nationaliste. Les fractures entre ces cinq pôles sont profondes. C’est le plus puissant et le plus capable de séduire dans les autres pôles qui à l’avenir gagnera les prochaines échéances électorales, dans l’optique de pouvoirs qui seront condamnés à être minoritaires dans l’opinion.

3/ Derrière le juppéisme il y a le chiraquisme. Que reste-t-il de l’ancien président dans notre paysage politique ? Peut-on parler d’héritage paradoxal ?

Oui, je pense que le chiraquisme est très présent dans la vie politique française d’aujourd’hui, tout au moins le chiraquisme présidentiel, celui qui a prévalu à partir de 1995. Il est dominé par une ligne centriste, européiste et multiculturaliste. Les valeurs de l’ère Chirac, dans la continuité d’ailleurs de l’ère Mitterrand, se retrouvent quasi intactes dans la politique actuelle. Le chiraquisme est un centrisme, une volonté de se conformer à l’air du temps, à l’idéologie médiatique dominante sans la heurter de plein fouet.  Héritage paradoxal, sans doute, dans la mesure où la présidence Chirac qui devait incarner le retour d’une droite gaulliste au pouvoir, s’est révélée être tout autre chose et plutôt une  poursuite des présidences Mitterrand. Le sarkozysme fut une tentative de se démarquer du chiraquisme à travers le thème de la « rupture », notamment en mettant en avant l’identité nationale, les questions d’immigration et de sécurité. Laurent Wauquiez est tenté de reprendre ce positionnement. D’ailleurs, il n’a pas vraiment le choix. Si un courant républicain distinct du pôle central LREM veut continuer à exister dans l’avenir, il lui faut impérativement prendre appui sur des sujets qui préoccupent l’opinion publique autour de la nation et de son histoire, de la sécurité, des frontières. Mais la voie est étroite car dès lors, on se heurte à l’idéologie médiatique dominante et donc, on s’expose au lynchage, à la diabolisation ou pire, au boycott. L’avenir du courant républicain et gaullien dépend donc de son aptitude à prendre le risque de la nation contre l’idéologie dominante dans les élites médiatiques. Le pari est bien loin d’être gagné d’avance…

 

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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14 commentaires pour Analyse politique (Atlantico)

  1. Trouilhat Pierre dit :

    Il me semble que dans toute cette histoire on discute trop des calculs des « permanents de la politique » qui raisonnent en « apparatchiks » et oublient qu’ils doivent répondre aux adhérents. Juppé n’a pas perdu du fait d’un système mais d’une ligne, et les LR’s auraient eu leurs 100 députés s’ils n’avaient pas abandonné le programme Fillon, qui « knock down avant la cloche  » n’a perdu que de 490’000 voix, ne l’oublions pas. Juppé était unanimement et notoirement détesté depuis des décennies dans le socle de l’électorat LR et chez beaucoup d’élus. Qui pouvait croire qu’il était neuf? Macron a été élu à l’arraché par l’électorat de Hollande de 2012, bobos, banquiers, communautaristes, cadres prostrés par al mondialisation; puis ensuite le ventre mou centriste terrorisé par le spectre médiatique FN=Nazi. Le LR a tout à gagner à « perdre » Constructifs et « Chiraquiens », et même Pécresse qui n’a pas le « mental » pour un haut poste. Le reste ne sera que tactique, les média eux sont un problème. Mais leurs commanditaires peuvent aussi lâcher Macron pour insuffisance de résultats! C’est comme ça dans leur monde, n’est-ce pas?

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  2. cyril dit :

    bonjour Maxime, bonjour à tous
    à mon sens, à droite, il semble que Mme PECRESSE soit la plus cohérente et constante dans l’exposé de ses idées, il s’agit d’une femme de convictions.
    Cyril

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  3. Timéli dit :

    Depuis que Juppé a perdu la primaire de la Droite, en novembre 2016, il se démarque des autres leaders du parti LR et ne s’affirme pas comme un rassembleur. C’est un homme du passé. Mérite-t-il qu’on s’intéresse encore à lui au plan national ? J’en doute… Place à la nouveauté et au renouveau !

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  4. Colibri dit :

    Peut-être que c’est trop dur pour devenir président de la république. C’est un long parcours du combattant pour y parvenir, semé de pièges, de trahisons, de coups tordus, de crocs en jambes. Il faut sans doute beaucoup de résistance, avoir le cuir dur, une santé de fer, de l’énergie à revendre. Une fois élu l’heureux élu n’en peut plus et il se laisse aller à l’ivresse du but atteint et il n’a plus assez d’énergie pour aller plus loin. Peut-être… Après tout je ne sais pas je ne me suis jamais présenté. 🙂

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  5. Sganarelle dit :

    « Se conformer à l’air du temps » n’est-ce pas le credo de l’homme politique? Peut-on vraiment parler d’´opinions arrêtées et de lignes suivies lorsque les circonstances sont capables de tout chambouler? Le Chirac de Marie-France Garraud n’est pas celui qu’il est devenu et Mitterrand vivait à droite .. In fine la France s’est toujours gouvernée au centre.
    Il semble de plus en plus difficile d’appartenir à un parti et de suivre un chef susceptible d’évoluer qui modifie l’esprit de sa campagne lorsqu’il arrive au pouvoir. Pour séduire chaque président en quête de réélection fait la politique de l’autre avec les resultats qu’on sait et pour essayer de contenter tout le monde il ménage sans succès la chévre et le chou. .. Un peu de droite et  » en même temps  » un peu de gauche, et personne n’est content.
    La France a besoin de mesures sévères et drastiques , mais qui a dit qu’elle ne se gouvernait pas dans la rue?

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  6. Citoyen dit :

    Pour ajouter une note cocasse au « chiraquisme » cher Maxime, je vous propose de visionner une petite séquence de Chirac, quand il était encore quelque chose … ici :

    C’est ce même Chirac qui, en 2003, faisait pousser les machines à sous sur le bord des routes … Étonnant, non ?

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  7. Gérard Bayon dit :

    Bonjour à toutes et à tous,
    Personnellement je ne sais pas ce qu’est le Chiraquisme, cela doit être un abracadabrantesque méli-mélo de mégalomanie, d’arrivisme, de traitrise, de magouillage et d’apathie.
    Si F. Hollande reste à ce jour le pire Président de la Vème République, J. Chirac le talonne.
    N’est-ce pas lui qui en ouvrant délibérément une crise majeure avec VGE en 1976 puis en le trahissant lors d’un célèbre dîner chez E. Cresson en 1981, a largement participé à amener la gauche au pouvoir ? Je n’oublie pas non plus ses relations souvent conflictuelles avec P. Séguin alors que ce dernier avait largement contribué à son élection en 1995 pour finalement n’obtenir qu’un hochet en guise de remerciements.
    Comment passer sous silence la politique économique et sociale de J. Chirac en 1995 à l’opposé de ses engagements de campagne puis la dissolution absurde et inexplicable de l’Assemblée Nationale en 1997 qui aboutit une nouvelle fois à la victoire de la gauche ?
    Son seul fait d’arme après sa triste élection sans gloire contre J.M. Le Pen en 2002, restera son opposition à la guerre contre l’Irak en 2003 puis nous avons eu droit à son long « silence radio » jusqu’en mai 2007.
    Alors que l’on arrête de me parler de Chiraquisme qui n’est pour moi qu’un mauvais succédané d’une vraie droite Républicaine et sociale.

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  8. Colibri dit :

    Beaucoup de critiques ont été dites, écrites sur Jacques Chirac. Personnellement ce que j’ai surtout retenu de lui c’est qu’il n’a pas engagé la France dans la deuxième guerre du Golfe.

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  9. Mildred dit :

    Monsieur Tandonnet,
    Au vu des questions d’Atlantico, je me demande si Jean-Sébastien Ferjou – dont les idées qu’il défend sont très souvent en phase avec les miennes – ne se serait pas laissé aller à vous monter un gros bateau ? Car qui, en France, à part vous, s’intéresse encore à monsieur Juppé, qu’il soit macroniste avant l’heure ou chiraquiste après l’heure ?

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  10. Citoyen dit :

    Je ne vois pas très bien ce que vous appelez le chiraquisme cher MT. Chirac a connu son apogée en 86/88, après il n’était plus que l’ombre de lui-même …

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