Lecture: Simenon – biographie- Pierre Assouline, Julliard 1991

Voici un grand classique de la biographie d’écrivains, paru il a plus de trente ans, une longue biographie de près de 800 pages denses, mais qui garde toute sa fraîcheur et son intérêt, à condition sans doute d’avoir au moins parcouru l’œuvre de Simenon.

Né à Liège au début du XXe siècle, cet homme de nationalité belge semble ne pas avoir eu une enfance heureuse, déchirée entre un père qu’il adorait, décédé dans la quarantaine et une mère qui le méprisait, au profit de son frère cadet, Christian. Il quitte le foyer de ses parents à 16 ans et l’école, pour travailler comme journaliste dans une feuille de chou marquée à droite: la Gazette de Liège. Puis il s’installe à Paris, se marie avec une femme plus âgée que lui, exerce différents petits boulots au service d’écrivains et écrit des romans sous divers pseudonymes, dont « Sim ».

Une première reconnaissance intervient dans les années 1930, publié d’abord par Fayard, sous son nom de Georges Simenon. Son personnage fétiche de Maigret, commissaire de police au quai des Orfèvres, nait sous sa plume à cette période. Simenon est un auteur extrêmement prolixe, qui publie cinq à six romans chaque année. Il est parrainé par André Gide qui voit en lui l’un des premiers romanciers en langue française. Son style? Le plus dépouillé possible, ne pas faire de « littérature » , des phrases brèves et simples, des mots de tous les jours, des récits courts, lisibles en deux heures, aussi peu d’adverbes et d’adjectifs que possible… Il se partage entre les « romans durs » (sans le personnage de Maigret), et les Maigret. Il s’intéresse avant tout à la psychologie de personnages paumés et sans avenir, des gens du peuple. Ses Maigret sont « alimentaires », ils se vendent à des dizaines de milliers d’exemplaires, la véritable source de son succès, mais il les considère paradoxalement comme un sous-produit de son œuvre qu’il ne veut surtout pas réduire au terme de « polar ».

Il faut dire que son succès fulgurant date surtout des années de l’Occupation où les cinéastes s’emparent de son œuvre – avec le soutien parfois les encouragements des autorités allemandes. Simenon vit alors dans un château de la campagne vendéenne. Sa philosophie personnelle consiste en la stricte neutralité, pour ne pas dire l’indifférence ou l’égoïsme. Replié sur son œuvre, il s’efforce de fuir l’histoire. A la Libération, il est donc inquiété par la justice et les comités d’épuration dès lors que c’est avec l’accord des autorités d’occupation qu’il a continué à publier et s’est engagé dans l’activité cinématographique. D’autres n’ont évidemment pas fait moins sous l’Occupation tels Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, mais eux sont étiquetés progressistes alors que lui passe pour conservateur… Cela fait toute la différence.

Dès lors il choisit l’exil aux Etats-Unis où il séjourne pendant une dizaine d’années, se remarie avec Denyse, une canadienne jolie et brillante de 25 ans qui lui sert d’assistante et à laquelle il est uni par une authentique passion amoureuse. Les éditeurs français se le disputent – Gallimard, Presse de la Cité. Ses Maigret triomphent, en livres comme en films. Simenon amasse une fortune qu’il gère en homme d’affaires avisé et intraitable avec l’aide de Denyse. Son passage en Belgique, en 1952, lui vaut un immense triomphe et des foules qui s’amassent pour l’acclamer dans la rue.

La force de Simenon? une littérature populaire, destinée au peuple – ce qui ne signifie évidemment pas vulgaire – et une identification à un héros, Maigret, qui lui ressemble beaucoup avec sa pipe. Ses faiblesses? l’égoïsme, l’alcool et une frénésie érotique empreinte de vanité qui lui fait prétendre avoir connu 10 000 femmes, dont 8000 prostituées.

La fin est tragique. A partir du milieu des années 1950, il s’installe en Suisse mais se déchire avec Denyse dans le contexte d’un couple dévasté par l’alcoolisme. Sa fille Marie-Jo, qui lui voue une passion excessive, incestueuse, se suicide en 1978. Simenon écrit ses Mémoires où il reprend les écrits de sa fille, mais accumule les procès avec Denyse tout en refusant de divorcer pour des raisons pécuniaires. Une célèbre émission d’Apostrophes lui est consacrée où il s’égare dans des confidences intimes à propos de sa fille. La clé de son fabuleux succès: une littérature sans la moindre prétention, non engagée, d’où la politique et l’idéologie, le « message » ou les leçons de morale sont résolument absents, presque hors du temps et de l’histoire, destinée à l’évasion (ce qui fit son succès dans les années 1940-1944), où il raconte des personnages de la vie quotidienne en prise avec les déceptions de la vie… Une telle littérature existe-t-elle toujours?

MT

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
Cet article a été publié dans Uncategorized. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

9 commentaires pour Lecture: Simenon – biographie- Pierre Assouline, Julliard 1991

  1. francefougere dit :

    Pour les lecteurs curieux aimant Simenon, un écrivain anglais, Allan Massie, a publié il y a quelques années, une  » trilogie bordelaise » très réussie aux Editions de Fallois. Il s’est inspiré par admiration envers Simenon, du Commissaire Maigret pour composer un personnage de commissaire avec des différences, car il est marié, a des enfants qui lui donnent des soucis, étant donné la période de l’Occupation. Donc, trois volumes différents,  » été … printemps… hiver ».

    J’aime

  2. francefougere dit :

    Bonjour, lugardon, il vous reste à lire Georges Bernanos, dont certains romans se rapprochent de ceux de Simenon « Un mauvais rêve  » par exemple.

    J’aime

  3. francefougere dit :

    Contrairement à ce que vous écrivez, il y a une  » morale  » chez Simenon, ne serait-ce que dans son ex-libris :  » Comprendre et ne pas juger « .

    Lorsque le commissaire Maigret déclare dans  » Maigret à New-York  » :  » Le milieu, c’est celui des gens qui ne respectent pas la vie humaine « , c’est une constatation qui donne à réfléchir. Il sait rendre, lui, une vraie justice,car il est humain, à l’opposé des juges qui n’ont pas le beau rôle dans ses romans.

    Dans  » Pedigree », il se compare à Alexandre Dumas faisant ses débuts à Paris.

    Mon roman préféré :  » La fuite du M. Monde « .

    Et son style n’est pas si simple.

    En réalité, André Gide était envieux de Georges Simenon, et il a tenté d’écrire un roman policier, une erreur.

    J’ajoute que Simenon avait une grande culture et qu’il était modeste. Il lui est rendu justice à ce sujet dans les  » Cahiers  » publiés par la Société des Amis de Georges Simenon.

    Le drame – un des drames de sa vie – fut la mort de sa fille.

    Toutes les rééditions sont des succès.

    J’aime

  4. nicolasbonnal dit :

    « D’autres n’ont évidemment pas fait moins sous l’Occupation tels Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, mais eux sont étiquetés progressistes alors que lui passe pour conservateur… Cela fait toute la différence. » Ouf !

    Ce qui est envoûtant chez lui c’est cette sensation de prostration postmoderne, qui annonce le grand cinéma postmoderne : Sofia Coppola, Jim Jarmusch, Alexander Payne, les frères Coen : nous sommes parce que nous ne sommes pas (ou plus).

    Extraordinaire Cécile (Maurice Tourneur, 1944) est morte ici :

    https://ok.ru/video/3623487015514

    J’aime

  5. Monique dit :

    Bonjour Maxime Tandonnet, toutes et tous,

    Il faut garder seulement le souvenir de l’homme à la pipe qui a banalisé le roman policier en le plaçant dans la vie de tous les jours, dans le terroir, les traditions familiales, les secrets de famille, des gens âpres qui étaient la France profonde de cette époque…. qui se souvient qu’au nom de la bien pensance, on a voulu supprimer la pipe de Maigret comme celle de Jacques Tati d’ailleurs ? quelle époque imbécile !

    J’aime beaucoup Simenon mais la nouvelle société lui préfère les romans noirs et dans ce style, ils sont nombreux.

    Pour répondre à la question, ni Simenon, ni Tati n’auraient de place aujourd’hui, je crois, mais je me pose aussi une autre question, « aujourd’hui pourrait-il il y avoir une affaire Dominici ? » .

    J’aime

    • francefougere dit :

      Bonjour Monique, Georges Simenon a vécu dans plusieurs pays, et même sur une péniche. Ses romans se situent aux Etats-Unis, dans des pays exotiques. A la fin de chaque roman, il indique le lieu et la date. On voyage avec lui !

      J’aime

  6. H. dit :

    Bonjour Maxime,

    « Simenon vit alors dans un château de la campagne vendéenne. » : il se trouve que je passe très régulièrement dans une des bourgades vendéennes où Simenon a vécu durant la guerre. Ca m’amuse toujours de penser que cette grande maison que je vois depuis la route principale l’a abrité. Il y fréquentait la population et certains noms de ses amis me sont familiers.

    Je dois avouer que Maigret ne m’a jamais trop intéressé en temps que lecteur. J’ai cependant apprécié et apprécie encore la série Tv avec Bruno Cremer. Ce dernier donnait une vraie stature à ce personnage. Gabin a également prêté sa silhouette au célèbre commissaire avec le talent qu’on lui connaît. Quant aux épisodes où jouait Jean Richard, ils sont bien trop connotés années 60-70 et sont moins agréables à regarder. Chose peut-être moins connue, l’acteur britannique Rowan Atkinson, alias Mister Bean, a prêté ses traits au célèbre commissaire et les quelques épisodes que j’ai pu voir en font un Maigret extrêmement convainquant et plaisant.

    J’ai lu cette biographie il y a de cela quelques années et elle m’a permis de jeter un découvrir un auteur qui, je crois, est le plus prolifique de la littérature française. J’ai pour habitude de dire que les bons romans policiers donnent avant tout une représentation en creux de la société dans laquelle ils se situent. Maigret en est un parfait exemple et son auteur y dépeint sans complaisance une société pas très sympathique où les méchants sont indifféremment des puissants ou des modestes animés principalement par une grande hypocrisie et un amour immodéré pour l’argent. Toujours d’histoire à base d’héritage, de fortunes captées ou de faillite comme dans « L’affaire Saint-Fiacre ».

    Merci de nous donner là un excellent conseil de lecture. Bonne journée.

    J’aime

  7. lugardon dit :

    Je vais étaler mon auto satisfaction personnelle et manquer totalement d’humilité :

    J’ai lu les mémoires de De Gaulle. Cela m’a pris trois mois pour le faire.

    J’ai lu tous les romans de François Mauriac . Cela m’a pris trois ans.

    J’ai lu tous les romans de Simenon. Et je les ai donnés à ma fille aînée.

    J’ai beaucoup aimé Simenon pour la description des âmes humaines.

    J’aime beaucoup aussi Henri Troyat.

    « Moi , je dis que, comme on sait déclarer la guerre, il faut savoir déclarer la paix! »

    Henry Troyat dans « La grive, les semaines et les moissons », collection livre de poche, page 26, édition 1973.

    Aimé par 1 personne

    • Monique dit :

      Bonjour lugardon, je partage votre goût pour Henri Troyat, » Le Sac et la Cendre », « les Semailles et les Moissons », « Etrangers sur la terre », et aussi pour la France des années 60, la série des Eygletières, tous dans la collection poche. C’était de la vraie littérature, à la portée de toutes les bourses, la culture chez les Français ordinaires, à lire dans le métro, l’autobus, comme les Maigret, rien à voir avec la littérature « des gares ». C’était une époque où on lisait beaucoup, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ! bonne journée.

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.