Lecture: Mémoires de Joseph Fouché, duc d’Otrante et ministre de la police générale, Jean de Bonnot éditeur, 1967

Les Mémoires de Fouché en 500 pages remarquablement illustrées et 13 chapitres sont un précieux document d’une rare actualité. Le premier des politiciens modernes? Peut-être, mais avec le style littéraire et surtout, l’intelligence et la vision en plus. Les Empires ne sont point exempts de cette loi commune qui assujettit tout sur la terre au changement et à la décomposition. Ou encore: Elles sont incurables, les plaies de l’ambition. En dépit de toute ma raison, je me sens encore poursuivi malgré moi par les illusions du pouvoir et les fantômes de la vanité. Qui imagine une telle lucidité chez nos petits cancres d’aujourd’hui?

L’homme touche à la perfection du cynisme et d’ailleurs ne s’en cache pas. D’un trait de plume, il occulte de ses Mémoires son passé révolutionnaire. Qu’on ne me rende personnellement responsable ni de la Révolution, ni de ses écarts, ni même de sa dictature! Dans une logique de table rase, Fouché ne dit pas un mot de sa proximité avec Robespierre, de son rôle clé à la Convention, de sa participation active à la Terreur et aux massacres de Lyon… Il fut ensuite l’un des principaux acteurs du 10 Thermidor et de la chute de l’Incorruptible. Ministre de la police sous le directoire, homme des combinaisons, il fut l’un des organisateurs du coup d’Etat du 18 Brumaire qui porte Bonaparte au pouvoir.

Par la suite, ses Mémoires se présentent comme un fabuleux témoignage sur les coulisses du Consulat et de l’Empire. Ministre de la police générale (distincte de l’Intérieur), il s’impose comme l’un des hommes de confiance de Napoléon, chargé notamment de la mission cruciale de déjouer les attentats jacobins et royalistes fomentés contre l’Empereur.

Aucune contradiction, aucun reniement ne l’arrête. Ce massacreur des années 1793-1795 n’a de cesse que de chercher les honneurs et les privilèges – duc d’Otrante. Il se présente comme l’un des principaux conseillers de l’Empereur, par exemple farouche partisan de son divorce avec Joséphine. Face à Napoléon, il se donne le rôle d’un modérateur, un Cassandre, le mettant en garde en interne contre une politique exagérément répressive et en externe contre ses ambitions espagnoles et surtout, l’invasion de la Russie qui seront fatales à l’Empire.

Les grâces et les disgrâces – quand Napoléon apprend qu’il a pris contact avec l’ennemi anglais – s’enchaînent, donnant lieu à de savoureux dialogues: Le 2 juin, étant à Saint-Cloud, l’empereur me demanda en plein Conseil ce que M. Ouvrard (proche de Fouché) était allé faire en Angleterre. Connaître de ma part, lui dis-je, les dispositions du nouveau ministère, relativement à la paix, d’après les vues que j’ai eu l’honneur de soumettre à votre Majesté avant son mariage – Ainsi, reprend l’Empereur, vous faites la guerre et la paix sans ma participation! Il sortit et donna l’ordre à Savary d’aller arrêter monsieur Ouvrard et de le conduire à Vincennes. En même temps, je reçus la défense de communiquer avec le prisonnier.

Son aptitude au retournement de veste est impressionnante. Lors de la première abdication en 1814, cet ancien conventionnel ayant voté la mort de Louis XVI soutient activement le retour de Louis XVIII. Puis, lors des Cent Jours (retour de l’exil à l’île d’Elbe), il redevient le ministre de la police, le bras droit de Napoléon voire son homme de confiance… Mais après Waterloo, impliqué dans les trahisons de Murat, roi de Naples et de Bernadotte, roi de Suède ces deux maréchaux d’Empire qui doivent tout à Napoléon mais qui ont pris le parti de la coalition européenne destinée à le renverser, il redevient, avec son complice et adversaire, Talleyrand, l’un des principaux partisans du retour sur le trône de Louis XVIII.

Mais ce qui sidère dans cette suite de retournements de veste, c’est l’explication qu’il leur donne au nom de son intérêt personnel: Cependant, quel parti devait prendre, en de telles conjectures, un homme d’Etat auquel il n’est point permis de rester sans ressources? Voici celui auquel je m’arrêtai! Voilà qui a le mérite de la franchise. Mais cette attitude a beaucoup déplu à certains de ses contemporains, dont Carnot, ex ministre de la guerre de Napoléon, indigné par ce dernier retournement de veste, dans sa réponse à Fouché qui lui conseille l’exil: Traître, où veux tu que j’aille? – Imbécile, où tu voudras! Délicieux…

MT

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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15 commentaires pour Lecture: Mémoires de Joseph Fouché, duc d’Otrante et ministre de la police générale, Jean de Bonnot éditeur, 1967

  1. Je ne suis pas un habitué du site causeur mais parfois je reçois des liens de ce site. En voici un reçu ce matin qui « mélange » histoire présente et passé:

    https://www.causeur.fr/droite-tordue-russie-ukraine-239748/?fbclid=IwAR0uAIp9mCsECkVJJyG6LlvdXJiPC5ipTrcmvSrozosUCuMO-A92qlZPX5E/

    Voici ce que dit Wikipédia de « Causeur »:

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Causeur

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  2. charlymesdoun dit :

    Fouché a été un de ces êtres malfaisants qui ont su s’attirer les grâces d’un puissant, ici Napoléon; il méritait la guillotine autant, sinon plus que Robespierre; je me rappelle d’une connaissance lors de mon jeune temps qui était absolument, peut-être pas haie, mais pas aimée par ses et mes relations mais qui était l’ami d’un médecin dont tout le monde se demandait pourquoi il fréquentait cet infréquentable; les relations humaines sont ainsi faites.

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  3. Gribouille dit :

    Oui : ce n’est pas Fouché qui se serait laissé embarquer dans une politique migratoire absurde, pour se démarquer du supposé crime de Vichy.

    Il envoie donc vertement promener Carnot, commentateur qui se scandalise du cynisme des hommes politiques.

    Dans la famille Carnot, j’ai toujours préféré le thermodynamicien, qui a laissé son nom à un diagramme permettant d’étudier les moteurs.

    Et, parlant de moteurs, il est naturel de rappeler que Dassault n’existerait pas, si un bureau d’étude n’avait été maintenu, du fait de Vichy, et dans le cadre de la collaboration à la production de matériel militaire.

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  4. Sganarelle dit :

    Le personnage de Fouché est attirant comme tous les voyous qui réussissent, on a des exemples contemporains , la race n’est pas prête de s’éteindre.

    Je n’ai pas eu pendant ces vacances les mêmes intellectuelles lectures, en fait j’ai parcouru avec bonheur les dessins du regretté Jacques Faizant et j’ai trouvé aussi bien des similitudes et prémonitions avec notre époque actuelle. Depuis le Figaro sous Giscard on mesure le temps passé et les progrès de notre décadence, le style d’une certaine douceur de vivre et l’humour percutant et toujours «  gentil ».
    On devrait plus souvent revoir les œuvres de nos dessinateurs, ils sont le reflet exact de notre société disparue ..et puis on passe un bon moment.

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  5. Monique dit :

    Bonjour Maxime Tandonnet, toutes et tous,
    Encore un traître dont on dit qu’à défaut d’être génial (comme Talleyrand) était un génie de l’intrigue. Il a été un politicien des plus habiles de son temps et cela demande quand même une certaine intelligence, surtout pour rester en vie !
    Mme de Rémusat a dit : « Il affichait une franchise qui pouvait bien être le dernier degré de la ruse ne cherchant guère à se justifier que pat le mépris d’une certaine morale ou l’insouciance d’une certaine approbation ».
    Connaissant les passions des hommes, il sut les utiliser au mieux de son ambition politique et on ne peux s’empêcher de chercher, aujourd’hui parmi la brochette de nos élites, qui peut lui ressembler ou s’en approcher ! je lis qu’il suscitait la méfiance des hommes qu’ils servit et trahit parce qu’ils ne pouvaient se séparer de lui. Il doit beaucoup à Barras notamment le poste de ministre plénipotentiaire à Milan et ambassadeur à La Haye et c’est encore Barras qui le nomme ministre de la police en 1799. Il fut un remarquable organisateur en mettant en place un service de rensignements efficace (ça nous rappelle une époque plus récente !)
    Je n’ai pas les mémoires de Fouché mais j’ai celles de Talleyrand chez le même éditeur. Un autre personnage fascinant, un traitre génial et d’une intelligence redoutable, lui dont Napoléon disait « qu’il était de la m…. dans des bas de soie »
    J’aime beaucoup cette époque de l’histoire, la Révolution française ne peut pas laisser ni ignorant ni indifférent. Hier, sur CNews, la question était posée : « fallait il guillotiner Louis XVI une étrange question quand on sait que l’élimination de la famille royale est une énorme tache sur l’histoire de France. La Révolution française et son suppôt du diable Fouquier Tinville, louée, adulée, modèle de nos politiques restera une partie sanguinaire, injuste, féroce, barbare du peuple français.

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  6. Citoyen dit :

     » Cependant, quel parti devait prendre, en de telles conjectures, un homme d’Etat auquel il n’est point permis de rester sans ressources?  »
    Très intéressant !…
    On croirait voir De Funes dans « La Folie des grandeurs »…. « Je ne sais rien faire d’autre »…
    Et c’est d’autant plus intéressant, qu’aujourd’hui, des comme ça on en manque pas. Il y a pléthore, dans les carriéristes de la politique …

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  7. Gerard Bayon dit :

    Bonjour à toutes et à tous,

    « La trahison implique la responsabilité de quelque chose, le contrôle de quelque chose, l’influence sur quelque chose, la connaissance de quelque chose. La trahison dans notre temps est une preuve de génie. Pourquoi, je veux savoir, les traîtres ne sont pas décorés ? » Saint Exupéry
    Nos politiciens ont répondu depuis à cette question, il suffit de lire le journal officiel les jours de promotion à l’ordre de la légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite.

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    • cgn002 dit :

      Saint Ex visionnaire du monde qui allait lui succéder…
      Il avait parfaitement compris la mécanique psy du prédateur chasseur trompeur que nous portons au plus profond de notre inconscient…
      Notre époque ne contrôle plus ses instincts profonds, elle les libére…

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  8. there dit :

    « Qui imagine une telle lucidité chez nos petits cancres d’aujourd’hui?  » Comment le pourraient-ils alors que rien ne vient les décentrer de leur propre personne, comment alors qu’ils ont évacué toute forme de transcendance ? Comment en effet alors qu’ils sont plantés ad nauseam devant le miroir magique de la reine de blanche neige que sont les médias mainstream ? Mais cette lucidité dont semble faire preuve Fouché n’est peut être arrivée que sur le tard , à l’heure du bilan quand la faucheuse rode , nos vaniteux n’en sont pas à ce stade de leur petite histoire .

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  9. Johannes dit :

    On en est où dans le débat sur l’authenticité de ce texte apparu dès sa publication ?

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    • Je l’ignore, mais à la lecture, le document semble parfaitement authentique, à l’image du personnage, et d’ailleurs, qui serait assez dément pour pondre un tel pavé de 500 pages sans y avoir d’intérêt personnel?

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    • Johannes dit :

      Eurêka ! J’ai trouvé la réponse :

      1820 : mort de Fouché en exil (il a été banni comme régicide)

      1824 : publication posthume à Paris. Les enfants de Fouché portent plainte : ils estiment qu’il s’agit d’un faux qui diffame le souvenir de leur père. Le tribunal leur donne raison. Les éditeurs sont condamnés. (Ça je le savais déjà.)

      Mais les historiens actuels sont d’un avis plus nuancé : Fouché aurait participé directement à la conception de ses Mémoires mais délégué (jusqu’à quel point ?) une partie de la tâche à des collaborateurs : Pierre Jullian et surtout Alphonse de Beauchamp (polygraphe qui ne vit que de sa plume). Fouché meurt et laisse l’oeuvre inachevée. Les collaborateurs terminent l’oeuvre et la publient.

      voir : Damien Zanone : Écrire son temps. Les mémoires en France de 1815 à 1848, PUL (= Lyon), 2006.

      https://books.openedition.org/pul/11924?lang=fr

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