Législatives, entre jubilation et chaos (pour Atlantico avec M. Sébastien Laye)

Les législatives ont débouché sur une situation inédite où le « cercle de la raison » qu’à pu incarner le macronisme s’est retrouvé majoritaire mais loin d’avoir une majorité.  Les Français viennent-ils de mettre un coup d’arrêt au phénomène de dépolitisation massive observé ces dernières années ?

Il est certain que le résultat des législatives est une énorme surprise. La plupart des experts s’attendaient, comme lors de toutes les élections législatives suivant une présidentielle depuis 1981, à un vote de routine et de simple confirmation des présidentielles dans l’indifférence et la résignation absolue du pays. Or, ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Un véritable séisme politique vient de se produire. Les élections législatives de 2022, par rapport à toutes celles qui se sont déroulées dans le passé, ont pris un sens politique. Les électeurs ont voulu sanctionner le président de la République et tout ce qu’il incarne. Auparavant, les élections présidentielles avaient été neutralisées : au prix d’un spectaculaire matraquage médiatique, d’une succession de tragédies (Covid19, Ukraine), et de l’absence de tout débat lors de la campagne, les Français ont eu le sentiment que cette élection présidentielle leur avait été volée. Ils se sont rattrapés lors des législatives en utilisant cette occasion pour sanctionner le pouvoir. Cela dit, il ne faut sans doute pas exagérer l’effet « retour à la politique » : avec 54% d’abstentionnisme, ce serait bien présomptueux !


La prétention à la résolution des problèmes par l’expertise technocratique dépolitisée et l’évacuation du débat des problèmes liés à la mondialisation, de la financiarisation du capitalisme ou de l’immigration, par exemple, ont-elles fini par lasser les Français ?

Sans aucun doute ! Et à ce sujet, le scandale McKinsey a probablement marqué les esprits des électeurs. Le vote des législatives peut s’interpréter comme une revanche des Gilets Jaunes. Il faut bien voir que les vainqueurs de ce scrutin sont les mouvements dits « antisystème », la NUPES de Jean-Luc Mélenchon et le RN de Marine le Pen. Le premier notamment a appelé à désobéir à l’Europe, donc aux directives et règlements de Bruxelles. Les socialistes et les écologistes, ralliés à la NUPES se sont placés sous l’aile du tribun Jean-Luc Mélenchon. En d’autres termes, ce résultat reconstitue la victoire du « non » au référendum de 2005 sur la Constitution européenne. Il faut y voir un succès du « populisme » contre les élites dirigeantes politiques, financières, médiatiques. L’effet de soufflet a été particulièrement puissant du fait de la personnalité du président récemment réélu. A tort ou à raison, son personnage incarne aux yeux de nombreux français, l’arrogance et la déconnexion des élites dirigeantes. Cet effet d’incarnation est particulièrement mobilisateur pour les courants protestataires.

Dans quelle mesure le moment est similaire à ce qu’ont connu l’Italie avec la coalition mouvement cinq étoiles/Salvini ou les États-Unis avec l’élection de Trump ou le Royaume-Uni avec le Brexit ?

Dans tous ces mouvements (cinq étoiles/Salvini, élection de Trump ou Brexit) se retrouve en effet la contestation du « Système » ou de « l’Establishment » bref des élites politiques, économiques, financières ou médiatiques ainsi que le rejet de la mondialisation. La fracture démocratique ou le sentiment d’une rupture entre la bourgeoisie dominante et le peuple frappé par l’exclusion le chômage, l’insécurité ou l’immigration, parfois la misère, est un phénomène qui touche l’ensemble du monde occidental. Il s’exprime de manières différentes d’un pays à l’autre. Il me paraît évident que le résultat des législatives françaises de 2022 est de la même nature, relève du même réflexe antiélitisme et anti-mondialisation, même si ses deux bénéficiaires, la NUPES et le RN, paraissent opposés, l’un insistant sur la condamnation du capitalisme international et l’autre sur l’immigration.

 Aucun de ces pays n’a véritablement réussi à transformer ces moments de rupture en nouvelle offre politique adaptée au monde du XXIe siècle. La France est-elle mieux armée que les autres pour réussir quelque chose de ce point de vue… ?

Ah non, la France n’est pas mieux armée pour réussir quelque chose de ce point de vue. En comparaison avec Cinq étoiles ou Trump, la situation en France des mouvements antisystème relève à ce stade de la cause perdue. Les deux premiers, en Italie et aux Etats-Unis ont eu leur chance au pouvoir, qu’ils n’ont pas réussi à saisir durablement. En revanche, en France, les mouvements dits « populistes », ne tiennent rien de précis. Ils sont profondément divisés par des haines aussi idéologiques qu’instinctives, entre la NUPES et le RN. La NUPES elle-même n’est qu’une alliance de circonstance entre des mouvements très disparates qui commencent déjà à se déchirer. Et que proposent-ils en dehors d’un catalogue de mesures ultra-démagogiques ? Leur triomphe aux législatives est illusoire. Il est purement négatif destiné à priver le chef de l’Etat et l’équipe au pouvoir de leur capacité à mener certaines réformes comme celle, annoncée, des retraites. Mais de ce scrutin ne ressort rien de positif, ou constructif. Le chaos de la société française, l’archipel français, la fragmentation du pays, la montée des haines, de l’extrémisme et de la violence viennent d’entrer en masse à l’Assemblée nationale, par réaction contre la morgue et la déconnexion des élites. En soi, c’est une bonne chose que les tensions qui déchirent la société s’expriment au grand jour au Parlement. Mais pour l’instant, rien ne laisse espérer que tout ceci puisse déboucher sur une esquisse de redressement du pays.

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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46 commentaires pour Législatives, entre jubilation et chaos (pour Atlantico avec M. Sébastien Laye)

  1. patricecharoulet dit :

    Les députés LR

    Les deux députés LR actuels les plus connus avaient participé à la primaire de la droite : Eric Ciotti et Philippe Jupin. D’autres sont connus de beaucoup d’observateurs politiques : Olivier Marleix
    (nouveau président du groupe LR au Palais-Bourbon), Annie Genevard, numéro trois du parti, Aurélien Pradié, Philippe Gosselin, Marc Le Fur.
    Mais sont aussi députés LR : Nicolas Ray, Fabrice Brun, Vincent Descoeur, Jean-Yves Bory, Dino
    Cinieri, Emmanuelle Anthoine, Yannick Neuder, Isabelle Valentin, Jean -Pierre Vigier, Alexandre
    Vincendet, Nathalie Serre, Alexandre Portier, Emilie Bonnivard, Vincent Rolland, Virigine Duby-
    Muller, Christelle Petex-Levet, Hubert Brigand, Marie-Christine Dalloz, Justine Gruet, Josiane
    Corneloup, Ian Boucard, Jean-Luc Bourgeaux, Nicolas Forissier, Valérie Bazin-Malgras, Thibault
    Bazin, Fabien Di Filippo, Vincent Seitlinger, Raphaël Schellenberger, Jean-Jacques Gaultier, Julien
    Dive, Victor Habert-Dassault, Pierre Vatin, Maxime Minot, Pierre-Henri Dumont, Emmanuel
    Maquet, Jean-Louis Thiériot, Isabelle Perigault, Michel Herbillon, Anne-Laure Blin, Christelle
    d’Intorni, Eric Pauget, Alexandra Martin, Michèle Tabarot.
    Dans tous les débats TV ou radio qui ont suivi les législatives on n’entend parler que de Mme Le Pen, MM. Mélenchon et Macron. Or, il me semble que ces députés LR ne doivent pas être négligés : ils vont avoir, à mon humble avis, un poids décisif.

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    • Patrice Charoulet, « il me semble que ces députés LR ne doivent pas être négligés : ils vont avoir, à mon humble avis, un poids décisif », je le pense aussi, à condition de garder le cap!
      MT

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  2. cyril dit :

    Macron , 2e quinquennat : c’est parti, Macron est notre Giscard d’Estaing, un libéral sur les questions économiques et sociales, un seigneur qui sait ce qui est bon pour la piétaille, la révolution de 1789 n’a fait que substituer la bourgeoisie à l’aristocratie, 2022 à 2027, le bon vieux système capitaliste va perdurer

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    • Citoyen dit :

       » le bon vieux système capitaliste va perdurer  » ???…… Curieux !…
      Et donc ? …. Il faudrait le remplacer par un système communiste ?…
      Et du coup ça irait mieux ??

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