Lecture: Les cent derniers jours d’Hitler – chronique de l’apocalypse, Jean Lopez, Perrin, 2015

Voici un grand livre passionnant, ensorcelant, 300 pages en grand format riches de multiples illustrations qui se lit d’une traite en quelques heures tant il vous prend à la gorge. Prouesse de l’historien, fruit d’un impressionnant travail de recherche et de synthèse, il reconstitue, heure par heure, les derniers jours de la chute d’Hitler et de l’Allemagne hitlérienne depuis le 15 janvier au 30 avril 1945.

Cette approche chronologique conduit le lecteur dans un balancement permanent entre le récit d’une apocalypse militaire et humaine et la vie quotidienne dans le bunker de la chancellerie allemande où le Führer – entouré d’Eva Braun, des dignitaires nazis et de ses secrétaires – vit ses derniers jours. Ce livre fait irrésistiblement penser au film la Chute (2004), l’incroyable chef d’œuvre d’Oliver Hirschbiegel.

Il fait le récit du naufrage de l’humanité dans le paroxysme de la barbarie. Heure par heure, le lecteur est submergé par le niveau d’abomination et de terreur où a sombré l’Europe. Pour fuir l’avance de l’Armée rouge, les SS exterminent leurs prisonniers de guerre ou opposants politiques, les blessés dans les hôpitaux, au lance-flamme. Les Juifs survivants des camps de concentration sont emmenés dans des « marches de la mort », affamés, dans leur tenue concentrationnaire par moins 16°. Presque tous meurent en chemin.

Mais cette folie vengeresse et meurtrière ne se limite pas aux SS. Le 19 février, des habitants d’un village de Saxe découvrent une jeune juive squelettique, terrifiée, en tenue rayée échappée d’une marche de la mort: « A la lumière de leur lampes de poche, cinq enfants et adolescents martyrisent longuement la jeune fille à coups de nerf de bœuf et de gourdin, avant de jeter son cadavre dans un ruisseau. » Pendant ce temps, les villes allemandes s’embrasent une à une sous les bombardements alliés qui déclenchent des vagues de feu où périssent des milliers de civils. L’armée rouge dans sa progression se livre à des massacres de vengeance: deux millions de femmes sont violées avant, bien souvent, d’être liquidées avec leurs enfants.

La vie dans le bunker souterrain est dominée par une sorte de routine meurtrière et de naufrage dans la déconnexion. Les derniers jours du Führer se ressemblent étrangement: il se couche à 4 heures, se réveille dans l’après midi. A 56 ans, il souffre de la maladie de Parkinson. Il ne tient que par les piqures de produits dopants du docteur Morrel. Les points de situation se succèdent autour des généraux. De violentes disputes l’opposent au général Guderian, le vainqueur de la France dont les armées sur le flanc Est sont en cours d’effondrement. Hitler boit du thé, joue avec ses chiens, regarde des films, se livre à d’interminables monologues nocturnes que subissent ses secrétaires.

Himmler, chef de la SS, de la Gestapo et de l’administration des camps de la mort tente de le persuader d’entrer en négociations avec les alliés de l’Ouest pour établir un front commun contre l’Union soviétique – une utopie évidemment grotesque. Hitler ne veut pas en entendre parler et envisage plutôt une entente avec Staline – pour lequel il ne cache pas son admiration – mais seulement après une victoire décisive contre l’Armée rouge. Il refuse d’admettre que la Wehrmacht est en lambeau et l’aviation allemande totalement anéantie:

« 9H30: réveillé par Linge, Hitler se précipite, non rasé – fait exceptionnel chez lui – dans la salle de réunion. « D’où viennent ces tirs? » Le général Burdorf annonce que Berlin est sous le feu des batteries lourdes. ‘Les Russes sont donc si près? » répond hitler. Un peu plus tard il exige du général Koller, chef d’état-major de la Luftwaffe, que ses avions attaquent les canons soviétiques. Devant l’impuissance de l’aviateur qui ne peut plus rien faire décoller, Hitler hurle au téléphone: « Alors il faut pendre sur le champ toute la direction de la Luftwaffe! »

Goebbels au contraire l’encourage dans ses illusions et une logique de suicide collectif. Les ordres sont de massacrer les soldats par régiments entiers et les civils donnant le moindre de signe de faiblesse. Les habitants de maisons qui arborent un drapeau blanc sont anéantis pour l’exemple femmes et enfants inclus. Des ordres sont donnés pour détruire systématiquement les infrastructures et les équipements vitaux risquant de tomber sous la coupe de l’ennemi à l’est comme à l’Ouest. L’entourage du Führer l’encourage à fuir Berlin pour se réfugier dans son nid d’aigle de Berchtesgaden dans la perspective d’organiser une résistance dans les Alpes… Lui refuse, s’obstine à vouloir diriger la bataille de Berlin contre l’armée rouge – alors que la Wehrmacht se désintègre – s’accroche à l’idée totalement absurde que le front allié va se briser et un miracle se produire.

Ce n’est qu’à la veille de son suicide avec Eva Braun qu’il semble réaliser que tout est fini: « Croyez-vous mon Führer que le national-socialisme reviendra? lui demande une secrétaire. « Non, il est mort. Peut-être dans un siècle réapparaîtra une idée semblable qui déferlera sur le monde avec la force d’une religion. Mais l’Allemagne est perdue. Elle n’était pas assez mûre, pas assez forte pour cette tâche ». Il avait du mal à porter sa cuillère tremblante à sa bouche. »

De cette plongée en apnée dans les heures les plus sombres et les plus sanglantes de l’histoire se dégage l’impression que la raison de l’humanité est fragile et rien n’autorise à penser qu’un tel déchaînement de démence collective sous d’autres formes et dans d’autres circonstances ne se reproduira jamais, plongeant le monde dans l’apocalypse. Cet immense traumatisme explique beaucoup de choses de l’Europe et du monde actuel. Mais la mémoire s’efface peu à peu de génération en génération et l’oubli complet à l’horizon de quelques décennies ouvrira la voie de nouveaux abîmes.

Maxime TANDONNET

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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21 commentaires pour Lecture: Les cent derniers jours d’Hitler – chronique de l’apocalypse, Jean Lopez, Perrin, 2015

  1. cyril dit :

    les gens s’engueulent pour une place de parking (hier devant l’école), la nature humaine est irrécupérable

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  2. Zonzon dit :

    Et les cent derniers jours des princes Souhmis c’est pour quand ?

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  3. Annick Danjou dit :

    « Mais la mémoire s’efface peu à peu de génération en génération et l’oubli complet à l’horizon de quelques décennies ouvrira la voie de nouveaux abîmes. »

    Conclusion prémonitoire, nous sommes en train de plonger dans de nouveaux abîmes qui nous anéantiront et nous y allons bon train.

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  4. geneadrey dit :

    bonjour,
    votre conclusion est pessimiste, mais le pire n’est pas impossible. Le combustible s’amasse, il suffirait d’une étincelle pour mettre le feu aux poudres, ou d’un cinglé charismatique pour entraîner le monde dans un nouveau chaos. Parmi les enfants des Hommes, il y a des Abel et des Caïns. J’ai parfois l’impression que les musulmans qui vivent avec nous, la grande majorité de façon normale, sont sur le point d’être vus par certains comme des européens voyaient les juifs il y a cent ans. C’est très dangereux. Ayant vécu dans divers pays, certains à majorité musulmane, d’autres très mélangés, j’en ai conclu que les rivalités ordinaires entre humains, généralement bénignes, pouvaient dégénérer en conflits ouverts alimentés par la religion ou la politique, Gardons espoir toutefois, car il existe encore des Hommes de bonne volonté.

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  5. Gribouille dit :

     » Les Juifs survivants des camps de concentration sont emmenés dans des « marches de la mort », affamés, dans leur tenue concentrationnaire par moins 16°. Presque tous meurent en chemin. « 

    Eh bien pas seulement, cela a aussi été le cas de Brigitte Friang par exemple, qui le raconte dans Regarde toi qui meurs.
    Elle explique aussi avoir constaté une différence de comportement entre les civils allemands et tchèques, les déplacements de concentrationnaires de toute nature n’ayant bien sûr pas pu en être ignoré.

    « Cet immense traumatisme explique beaucoup de choses de l’Europe et du monde actuel. Mais la mémoire s’efface peu à peu de génération en génération et l’oubli complet à l’horizon de quelques décennies ouvrira la voie de nouveaux abîmes. « 

    Un oubli complet, ou une mémoire sélective ?

    Les historiens du futur considéreront peut-être qu’avoir, dans la sphère occidentale, ramené ce conflit au génocide des Juifs et d’autres minorités par les Allemands est ce qui aura ouvert la porte à ces « nouveaux abîmes ».

    En tout cas, vu l’utilisation récurrente dans les médias à des fins argumentatives, ce n’est pas l’oubli qui semble menacer.

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  6. artofuss dit :

    Hors sujet , mais pas entièrement: les déclarations d’Emmanuel Macron au magazine « Zadig » sur un ton de visionnaire …un peu illuminé, avec des phrases aussi étonnantes que « la Seine-Saint-Denis est une Californie où seule manque la mer », ou encore « nous sortons d’un Moyen âge pour entrer dans une Renaissance », et aussi « Nous allons vers la réinvention d’une civilisation », lié bien sûr au sempiternel « Toutes les immigrations africaines sont une chance pour la France », tout cela a éveillé depuis hier , chez moi en tous cas, un réel sentiment de malaise ….

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    • Anonyme dit :

      toute immigration Africaine,,,,est une chance pour le RN et donc ,Mme LE,PEN,,,,,,,michel43

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    • Annick Danjou dit :

      Malaise est un mot trop faible il me semble, car nous sommes nombreux à éprouver ce que vous dénoncez. Il est vrai que lorsqu’on connaît la Californie on ne peut s’empêcher de penser à la Seine St Denis. Moi qui ai vécu à St Denis et à Stains, je préfère prendre un billet d’avion pour la Californie qu’un billet de train pour St Denis mais ça c’est mon choix. D’ailleurs la Renaissance on la trouve aussi en Seine St Denis grâce aux naissances, c’est vraiment la renaissance et la transformation de notre civilisation en une nouvelle et très sombre civilisation!!! En ce qui me concerne, j’enrage, car je me sens dépossédée de ce qui faisait la beauté et l’attrait de notre pays et de notre civilisation sans qu’on m’ait jamais demandé mon avis.

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  7. catherine Lauber dit :

    Oui, hélas ! Vous avez raison,  » la mémoire s’efface peu à peu de génération en génération et l’oubli complet à l’horizon de quelques décennies ouvrira la voie de nouveaux abîmes. » Cette mémoire, que certains veulent garder vive, s’efface d’autant plus qu’elle n’en a que si peu été « informée » (au sens littéral). Et elle s’effacera d’autant plus que lève, autour de nous, tant de voix d’extrêmistes de tous bords -négationistes (FN ), ou fondamentalistes islamisques-, qui sont dans le déni le plus absolu. En en-tête du livre Mein Kampf, traduit en Français par les Nouvelles Editions Latines en 1934, figure une si sage recommandation du Maréchal Lyautey « Tout Français doit lire ce livre »…Et pourtant si peu de Français l’avaient lu, l’ont lu…Ceux qui « ne veulent pas savoir » sont déjà au bord de ce néant qui risque tant de « déferler sur le monde avec la force d’une religion. »

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  8. Sganarelle dit :

    Je ne crois pas au camp des saints à cause de ce que j’ai vu de mes propres yeux en provenance de chaque côté des antagonistes en guerre et qui m’a laissé un goût amer définitif en ce qui concerne la nature humaine. Toutes les horreurs et inventions sadiques sont le fruit de l’imagination des individus jetés dans une tuerie collective où l’autre est l’ennemi à abattre si on veut rester en vie et il n’y a pas de nation qui n’ait pas sa part d’atrocités. On parle d’Hitler mais peu de Staline qui maquillait ses crimes en représailles SS.. de quoi brouiller les cartes des historiens futurs.

    Les guerres sont des abominations où les passions humaines se déchaînent et toujours à la fin malheur aux vaincus. Et cela ne demande qu’à se reproduire si on en juge par les faits-divers sanglants en temps de paix qui n’ont parfois rien à envier avec ceux commis autrefois avec l’excuse du champ de bataille.
    L’homme s’ennuie dans le bonheur tranquille.

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  9. Anonyme dit :

    la mémoire s » efface peut a peut ,,,et OUI ,,,surtout chez nos jeunes , triste , tout cela , mais nous avons tant de soucis , chômage ,immigrations ,drogue , et tout le reste ? michel43

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  10. Ping : Lecture: Les cent derniers jours d’Hitler – chronique de l’apocalypse, Jean Lopez, Perrin, 2015 – Qui m'aime me suive…

  11. (2) Suite de mon commentaire d’hier, une nouvelle guerre de Trente ans?

    La toile de fond de la guerre de Trente Ans est celle d’une querelle religieuse entre calvinistes, luthériens et catholiques. Mais aussi d’une crise économique liée à des problèmes monétaires et au déclin de la Méditerranée au profit des routes atlantiques. Enfin, la constitution en Europe d’États monarchiques de plus en plus centralisés (France, Espagne) et l’apparition de nouvelles sociétés (bourgeoisie marchande) provoquent une crise politique et sociale. Le Moyen-Orient se trouve lui aussi confronté à des bouleversements structuraux de ce type qu’on ne peut comparer à la situation du XVIIe siècle, mais dont les effets déstabilisateurs sont tout aussi puissants. La mondialisation de l’économie et le déplacement du centre de gravité de l’économie mondiale vers l’Asie-Pacifique déstabilisent les États du Moyen-Orient, qui se retrouvent en position périphérique vis-à-vis des pétromonarchies du Golfe. Les activités de production (agriculture et industrie) y déclinent au profit des activités de service liées à la rente indirecte. Les bureaucraties d’État et les classes moyennes s’affaiblissent au profit des classes supérieures mondialisées. Les puissances régionales, Iran, Turquie et Arabie saoudite exercent leur influence sur des États fragilisés (Syrie, Liban, Jordanie, Yémen et Irak) qui sont menacés d’éclatement.

    Source:

    MOYEN-ORIENT : LA NOUVELLE GUERRE DE TRENTE ANS
    Fabrice Balanche

    http://www.cairn.info/revue-outre-terre-2015-3-page-173.htm

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  12. Raymond dit :

    LASCIATE OGNI SPERANZA VOI CH’ENTRATE !?!

    Bonjour monsieur,
    Bonjour à toutes et à tous.

    Entrer en ce domaine, par cet ouvrage  revient à aborder l’Histoire du XX (20)ème par la porte de derrière. Bien que très intéressant, il nous montre l’horreur, mais n’explore pas la genèse de celle-ci.
    Il expose les conséquences mais survole les causes. Et pourtant ! De quoi avons nous le plus besoin à cet heure ?
    D’Émotions ou de Compréhension ?
    Il y a un autre ouvrage (qui défraie les chroniques en ce moment )  sur cette période de l’histoire Européenne.
    Non, une composition intellectuelle de l’historien, mais un artéfact de l’Histoire elle même.
    Le Maréchal Lyauté avait dit de lui  » Tout Français doit lire ce livre  »
    Car je pense qu’il pousse, non à un vulgaire voyeurisme mais à une puissante réflexion sur la nature humaine pour commencer et une subtile analyse non du Quoi mais du Pourquoi ?
    Et, à ce sujet la première partie, de  » Mein Kampf » nous en dit long sur la déchéance et la décadence des institutions.

    Seul un regard juste et véridique ( sur nous même ((société, institution,….)) nous rendra libre ; A suivre…
    Cordialement …_

    L’ENFER C’EST LES AUTRES. ?!?

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    • Les autres c’est parfois … le purgatoire…

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    • cgn002 dit :

      Totalement d accord !
      1) quelle est la finalité ? Pour soi, la société ou les institutions.
      2) pourquoi soi, l homme, les communautés, la société et les institutions agissent elles telles que nous l’observons et telles que l’on peut plus ou moins déplorer (selon la profondeur de nos analyses)
      S il n y a pas de pourquoi il n y a pas de solution, pas de correction, pas de progrès.
      Toute solution ne peut être envisagée qu à partir du moment où le problème est clairement identifié, clairement posé…
      Seulement voilà, on s aperçoit très vite que dans le monde des sciences humaines les biais sont plus forts que dans les sciences dures, qui elles ne pardonnent pas.
      A mon avis et après des décennies d observation et de réflexion, force est de constater que l homme est porteur de quelques biais qui demeureront à très haut risque pendant encore bien longtemps…(risque d auto anéantissement faut il comptendre).
      Et tout reside dans notre force de déni de ce que nous sommes et d où nous venons.
      Le problème se trouve en fait dans notre cerveau primitif, celui d avant notre capacité de conscience qui s »avere encore bien immature.
      Le drame résidant dans le fait que la lecture de ce cerveau inconscient n est permise (du moins abordee) que par une infime partie de l humanité…et elle ne sera que partielle, car les méandres de notre cerveau sont d’une complexité inouïe (pour le moment, …on commence à progresser toutefois, …mais avec quelle finalité : rester homme au sens de l evolution ou alors franchir un saut en totale rupture de ce que nous sommes et d où nous vrnons…)

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  13. Stanislas dit :

    Jean Lopez écrit de très bons bouquins sur la période, soit seul, soit en partenariat avec d’autres historiens
    on peut conseiller aussi :
    « Stalingrad » « Koursk » « le chaudron de Tcherkassy – Korsun » « les maréchaux de Staline et son excellent « Barbarrossa »

    pas la peine de préciser que j’apprécie son travail

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