Lecture: Lénine, l’inventeur du totalitarisme, Stéphane Courtois, Perrin, 2017

La biographie de Lénine par M. Stéphane Courtois est d’un intérêt exceptionnel car elle plonge aux sources mêmes du phénomène Lénine, dans son histoire et son caractère autant que dans ses influences intellectuelles et le contexte historique de la Russie des derniers Tsars. Né en 1870, il est issu d’une famille plutôt aisée de professeurs, ayant un ancêtre ennobli, de la commune de Simbirsk près de Kazan au bord de la Volga. Elève brillant mais solitaire il subit à l’adolescence un double traumatisme, celui de la mort d’un père qui comptait beaucoup pour lui et de la pendaison de son frère, accusé de terrorisme par la justice du Tsar. Vladimir Ilich Oulianov frappé par la déchéance de sa famille, traitée désormais en paria, se réfugie dans la lecture d’auteurs révolutionnaires. Ses maîtres à penser, avant Marx: Serge Netchaïev, théoricien de l’anarchisme et créateur d’une « société de la vengeance populaire ou de la hache » et le romancier Nikolaï Tchernychevski qui met en scène la vie de jeunes révolutionnaires russes, auteur d’un « Que faire? ».

Après avoir passé plusieurs mois en déportation en Sibérie, Lénine s’exile en Europe où il mène une vie d’errance accompagné de sa femme Nadejda Kroupskaïa, qui partage ses convictions et à laquelle il est lié au moins autant par la cause commune que par les sentiments: Finlande, Genève, Londres, Berlin, Paris, Longjumeau, il mène une vie d’errance obsédé par la flamme révolutionnaire. Lénine est au coeur d’une nébuleuse révolutionnaire marxiste, engagé dans le parti social-démocrate russe. A Genève, il fréquente Georges Plekhanov, le maître à penser des marxistes russes, avant d’entrer en rébellion contre ce personnage auquel il reproche une vision trop modérée du marxisme. Son engagement politique, à travers ses écrits dans les revues révolutionnaires, est marqué par la violence et la radicalité: sa stratégie consiste à dénigrer et insulter ses adversaires qualifiés de traîtres, renégats, révisionnistes, déserteurs, etc…

Lénine promeut le concept de dictature du prolétariat et la conquête du pouvoir par la seule violence d’une « élite » de révolutionnaires professionnels et non par les voies électorales de la démocratie bourgeoise. Son célèbre ouvrage « Que faire? » , théorise ces principes. La moindre contradiction provoque une avalanche de menaces et d’injures. Glissant toujours plus loin dans la radicalité et l’appel à la violence, il voit dans l’esprit de modération ou de conciliation un mal absolu. Cet extrémisme systématique, fondé sur la désignation d’ennemis – par exemple les Mencheviks (minoritaires) opposés aux Bolcheviks (majoritaires)  lui vaut le ralliement de tout ce que le courant révolutionnaire  russe compte de fanatiques ou de voyous qui n’hésitent pas à sympathiser avec le grand banditisme pour financer la révolution, à l’image de Staline en personne.

Avec la complicité active de l’Allemagne de Guillaume II qui assure son retour en Russie pour y répandre l’anarchie, Lénine profite du chaos dans lequel sombre ce pays, dévasté par la Grande Guerre et les troubles sociaux à partir de 1917, pour prendre le pouvoir à Saint Petersbourg. Obsédé par la conquête du pouvoir, ce personnage « hyper-narcissique », d’une mégalomanie paroxystique, est parvenu à ses fins en s’appuyant non pas sur le peuple ouvrier ou paysan qu’il n’hésitait pas à réprimer dans des fleuves de sang, mais sur un groupe de « révolutionnaires professionnels ». Dans une période de désordre et d’effondrement des institutions, ce sont les plus violents, les mieux organisés, et les plus déterminés, les plus fanatisés, qui prennent le contrôle du pays.

Avec le communisme de guerre, et après avoir signé la paix avec l’Allemagne – entraînant la Russie dans la trahison de ses alliés, dont la France – , Lénine pratique à grande échelle une logique d’anéantissement et d’extermination de masse, dont il est personnellement responsable avec ses complices, notamment Staline et Trotski, utilisant sciemment la famine comme outil de soumission de la paysannerie. L’auteur fournit d’innombrables preuves des massacres de populations ordonnés par Lénine qui se réfère abondamment au modèle du génocide Vendéen de 1794 . « Il faut faire un exemple: 1) Pendre, et je dis pendre de façon que les gens le voient, pas moins de 100 Koulaks (paysans) richards, buveurs de sang connus. 2) Publier leurs noms. 3) S’emparer de tous leurs grains. 4) Identifier les otages comme nous l’avons indiqué dans notre télégramme d’hier. Faites cela de façon qu’à des centaines de lieues à la ronde, les gens voient, tremblent, sachent et se disent: ils tuent et continueront à tuer les koulaks assoiffés de sang. Télégraphiez que vous avez bien reçu et exécuté ces instructions » Lénine.

A travers ce texte, et d’autres du même genre, l’auteur montre en Lénine le précurseur des atrocités du XXe siècle, la logique totalitaire et celle de l’anéantissement de masse. Il déboulonne un personnage qui demeurait à bien des égards dans le panthéon des idoles contemporaines. Un ouvrage fondamental pour comprendre le monde contemporain.

Maxime TANDONNET

 

 

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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16 commentaires pour Lecture: Lénine, l’inventeur du totalitarisme, Stéphane Courtois, Perrin, 2017

  1. Michel Fremondiere dit :

    Allons ,Lénine na rien a envier a certains dictateur ,fils d’intello ,a t »il connue la misère des paysans ,bien sur que NON , ,a notre époque c »est pas mieux ,voyez nos élues ,bon salaire et avantages ,pendant que la base a 1300 euros a du mal a finir le mois et les femmes a 800 euros se batte pour survivre ,la misère des pauvres serait telle la même ? voyez nos paysans , tout les jours ,il y a des suicides ,Ruiner ,Endetter ,et pourtant, il travaille beaucoup ,alors ,OUI ,le socialo-communiste a apporter beaucoup pour améliorer leurs vie ,peut t » on dire que désormais avec ce terrible chômage ,la fermeture d « usine ,les gens se sentent inquiet pour leurs avenir ,le communiste fut trahie part ses élites ,et leurs entourage ,Camarades, une fois nommer, pour sur, je ferais tout pour rester au pouvoir ,les époques change,,pas les hommes

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  2. there dit :

    @E Marquet la bêtise n est pas une faiblesse d intelligence, c est une mesure de méchanceté.

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  3. cyril de fayet dit :

    bonjour, un article réellement intéressant , saisissant, et un personnage Lénine mal connu , que je qualifie de « monstre » , destructeur de vies humaines au nom d’une idéologie malsaine.
    cyril

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  4. Coucou dit :

    Bonsoir à vous, un autre totalitarismes, ?

    Alors que des mosquées profitent de la crise sanitaire pour faire sournoisement retentir l’adhan, l’appel à la prière du muezzin, il est important de rappeler en quoi cet appel est problématique, et pourquoi il ne peut pas être mis sur le même plan que les cloches des églises.
    https://www.causeur.fr/le-muezzin-et-les-cloches-175121

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  5. E Marquet dit :

    Hélas c’est un des héritages tragiques de la Terreur jacobine de notre Révolution française qui a continué à faire des émules un peu partout au cours des siècles suivants.
    Comme le rappelle JF Colosimo dans son livre « Aveuglements », la terreur jacobine, pratique du nihilisme révolutionnaire, est devenue dans la rhétorique communiste un système de gouvernement qui implique pour politique « l’extermination » des opposants.
    « Il n’y a rien d’immoral à cela. Un mois ne sera pas écoulé avant que la terreur ne devienne plus totale, plus effrayante, plus fidèle à l’exemple des grands révolutionnaires français » disait Trotsky en 1917.
    En juin 1918 pour Krylenko c’était : « N’exécutons pas que des coupables, la mort des innocents impressionnera encore plus les masses ».
    Quant à Maïakovski, pendant la terreur rouge fin août 1918 il estimait que « celui qui ne chante pas avec nous aujourd’hui est contre nous ».
    Ah ! La belle politique des lendemains qui chantent !
    Toutefois, le nihilisme léniniste, au contraire du terrorisme Jacobin ou du Salafisme combattant, n’a pas éprouvé le besoin, de « construire ni son dieu, ni son culte ».
    Et dire qu’aujourd’hui en France il y a encore des lénino-stalino-trotskistes ! C’est à désespérer de l’intelligence humaine et de sa faculté à tirer partie des expériences passées !
    Mais si l’on en croit A.Finkielkraut « La bêtise n’est pas le contraire de l’intelligence : il y a une bêtise de l’intelligence, une bêtise des intellectuels qui prend la forme de l’esprit de système ».
    N’est-ce pas « l’esprit de système » qui aujourd’hui empoisonne nos démocraties vieillissantes ?

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  6. Papi 2.0 dit :

    Commentaire 3. Dans le monde de demain et après-demain il nous faut savoir ce que nous voulons y mettre de ce qu’il y avait de bien dans le monde d’hier et d’avant hier et de ce que nous allons avoir besoin pour faire face aux crises à venir.

    http://yallahcastel.fr/Blog/index.php?article393/et-apres-tout-ca

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    • Coucou dit :

      Bonjour André L, lu sur yallahcastel.fr de André Lugardon,

      Après ? Après ce sera différent d’avant mais pour vivre cet après, il nous faut traverser le présent. Il nous faut consentir à cette autre mort qui se joue en nous, cette mort bien plus éprouvante que la mort physique. Car il n’y a pas de résurrection sans passion, pas de vie sans passer par la mort, pas de vraie paix sans avoir vaincu sa propre haine, ni de joie sans avoir traversé la tristesse. Et pour dire cela, pour dire cette lente transformation de nous qui s’accomplit au cœur de l’épreuve, cette longue gestation de nous-mêmes, pour dire cela, il n’existe pas de mot.

      Père Pierre-Alain Lejeune

      Bonne Journée, Damien

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  7. Papi 2.0 dit :

    Commentaire 2. En écho à l’article de Maxime Tandonnet je reviens sur les deux liens suivants:
    http://yallahcastel.fr/Blog/index.php?article383/la-memoire-des-vaincus
    http://yallahcastel.fr/Blog/index.php?article388/dans-le-temps-lorsqu-on-se-sentait-mourir
    Ce livre est l’histoire vraie ou romancée d’anarchistes Français et Espagnols qui se sont fait massacrer par Lénine et son entourage pendant la révolution russe et pour les survivants qui sont morts ensuite pendant la guerre civile espagnole. Ils ne voulaient ni Dieu ni maître ni état ni armée ni police et ils ont été dévorés par ceux pour qui ils combattaient. Parfois je me demande si les zadistes et les black block ne sont pas une survivance du mouvement anarchiste européen du siècle dernier.

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  8. Papi 2.0 dit :

    Commentaire un. Hier après-midi je me suis signé une autorisation de déplacement pour faire des courses de première nécessité. Je suis allé dans une ferme. J’avais fait mes commandes par mails. Trois producteurs locaux interdits de marché proposaient le premier des légumes le second du pain le troisième des fromages. Ils sont restés sur place de 14h à 20h. Il n’y a jamais eu plus de trois personnes sur cette propriété privée (de revenus légaux) tout le temps que j’y suis resté. Une des personnes présentes est engagée dans un syndicat agricole. Il est révolté, rêve de révolution et de guillotine. Je lui ai rappelé que toutes les révolutions ont engendré des monstres. Il m’a répondu « j’en conviens ». Une personne qui nous écoutait a dit: « sauf la révolution des oeillets au Portugal ». J’ai répondu « j’en conviens ». Je me suis assis au soleil à l’écart et j’ai écouté les personnes discuter entre elles de la situation présente. Elles étaient très critiques à l’égard des maires toutes tendances confondues qui interdisent les marchés. Le nom des maires locaux qui ont signé les autorisations d’installation des grandes surfaces, le nom des maires qui n’ont pas défendu les abattoirs locaux aujourd’hui tous fermés ont été évoqués. Les personnes qui étaient là hier après-midi demandent la mise en place d’abattoirs mobiles dans un camion aménagé pour. Ils demandent à pouvoir revenir sur les marchés aménagés de manière à respecter les consignes de sécurité qui s’imposent. Petits producteurs ils ont eu à faire face à la concurrence étrangère qui permettait aux grandes surfaces d’imposer leur prix. L’interdiction de vendre sur les marchés les met en difficultés pour négocier les prix avec les grandes surfaces qui reviennent vers eux par nécessité vu ce qui se passe actuellement. Il y a beaucoup de ténacité et de courage chez celles et ceux qui travaillent la terre. L’homme y est parfois considéré comme une calamité naturelle en plus des calamités climatiques qu’il leur faut prendre en compte aussi.

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  9. there dit :

    Le Lénine de Carrère d’Encausse défendait la même thèse sur ce sinistre individu. Quel bonheur ! cette vérité là est désormais incontestée, aucun de nos intellos n’ose à présent se réclamer de cet épouvantable personnage , des bastions existent encore dans l’enseignement mais bon , qui les écoute ?

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  10. Arnaud dit :

    Merci pour ce rappel concernant cet individu certes très intelligent mais organisateur de massacres au nom d’une idéologie criminelle ceci dit les déboires de sa jeunesse ont dû jouer pour beaucoup.
    Je suis justement passé hier par hasard rue Marie Rose dans le 14eme où il a habité qq mois en 1909. Il y a sur l’immeuble une plaque à son nom qui n’a, à mon avis, rien à y faire. C’est comme s’il y avait une plaque au nom d Hitler sur l’immeuble de Vienne où il a habité.
    Et sinon, S. Courtois, très bon auteur à lire et relire.
    J’espère qu’il n’y aura plus jamais de Lénine dans l’avenir, j’espère…

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  11. H. dit :

    Bonjour Maxime,

    Cet ouvrage est en effet à lire. Malheureusement, l’auteur, Stephane Courtois, est personna non grata dans l’intelligentsia nationale. Cette dernière ne lui pardonne pas son « Livre noir du communisme ». La vulgate marxisme en a cependant bien tire les leçons. Elle se pare désormais des atours de l’écologie pour mieux avancer mais il ne faut pas être dupe, c’est bien une démarche totalitaire identique qui est à l’oeuvre. Pour des raisons où la stupidité se mêle étroitement à l’incompétence, le pouvoir s’appuie sur cet écologisme pour avancer ses pions. Se faisant, un totalitarisme nouveau, insidieux parce que pratiquement invisible se met en place alors que jamais l’échec de l’Etat, depuis cette funeste période de mai-juin 1940, n’a été aussi patent. La mondialisation, que d’aucuns se plaisent à dénoncer, n’est que le miroir de nos échecs et fournit un « koulak » bien pratique pour expliquer ces derniers. Patrick de Casanova, médecin généraliste et président du cercle Frédéric Bastiat, nous met en garde contre ces lendemains pas particulièrement porteurs d’optimisme : https://www.contrepoints.org/2020/04/08/368544-confinement-ce-quon-voit-et-ce-quon-ne-voit-pas
    J’espère que son dernier paragraphe n’est pas prémonitoire.

    Bonne journée

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