Sur l’article 49-3 (pour Figaro Vox)

L’utilisation de l’article 49-3 pour abréger le débat sur les retraites à l’Assemblée nationale serait envisagé par le gouvernement. Loin de n’être qu’une simple péripétie de la vie politique, ce recours a pris une dimension symbolique et politique majeure. Que prévoit-il précisément ? « Le Premier ministre peut […] engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée […] Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »

Cet article a été utilisé à 86 reprises depuis l’entrée en vigueur de la Ve République. Il a notamment servi dans deux situations. La première est l’hypothèse où le gouvernement ne dispose pas d’une majorité absolue et n’a d’autre choix pour faire adopter ses lois. Les gouvernements de François Mitterrand, de 1988 à 1993, notamment Rocard, qui se trouvaient dans cette hypothèse, en ont fait un usage abondant, à 28 reprises. La seconde est la détermination à faire passer rapidement un texte quand, malgré l’existence d’une majorité absolue, le gouvernement souhaite éviter l’enlisement du débat, à l’image de M. de Villepin qui en fit usage en 2006 pour faire voter la loi sur le contrat premier emploi (CPE), finalement retirée sous a pression de la rue, ou M. Valls entre 2014 et 2017, qui l’utilisa 6 fois pour mettre en œuvre « sa politique de l’offre » (loi « croissance et activité » et « loi travail »).

Cette disposition fut introduite dans la Constitution de 1958 au titre du parlementarisme rationalisé destiné à renforcer l’Exécutif face au Parlement, en réaction contre les régimes de la IIIe et de IVe République dominés par une assemblée toute puissante qui faisait et défaisait les gouvernements, se traduisant par une instabilité chronique surtout dans les périodes de crises politiques. Il était impératif, pour les constituants, de mettre fin au régime des partis qui interdisait à la France d’être gouvernée dans la durée.

La logique de cette disposition – qui s’explique par l’époque où elle fut adoptée – est fort discutable sur le plan de la démocratie parlementaire : par simple décision du Premier ministre, un texte de loi est considéré comme adopté sans même avoir été voté. L’hypothèse du vote d’une motion de censure est purement théorique : sur les 50 qui ont été déposées dans le cadre de l’usage de l’article 49-3 aucune n’a été adoptée. En effet, il est quasiment impossible de réunir une majorité absolue de l’Assemblée nationale pour renverser un gouvernement. De fait, l’utilisation de l’article 49-3 revient à abolir, le temps du vote d’une loi, la compétence de l’Assemblée nationale. Le président Sarkozy, de 2007 à 2012, n’y a jamais eu recours. La révision constitutionnelle de 2008 en a restreint l’usage possible à une seule fois par session parlementaire (hors loi de finances et d’équilibre de la sécurité sociale).

Depuis 1958, le monde a profondément changé. Avec le quinquennat, adopté en 2000, l’Assemblé nationale, élue systématiquement dans la foulée immédiate de l’élection présidentielle, a perdu l’essentiel de son prestige, de son autorité, de sa souveraineté. Elle se présente comme une annexe de l’Elysée qui de fait, lui est largement soumise. Parfois, les réactions d’une poignée de frondeurs ou les guérillas d’amendements déposés par les oppositions indisposent le pouvoir exécutif en retardant le processus législatif. Ce ne sont que les soubresauts stériles d’une démocratie parlementaire en déclin.

Aujourd’hui, cet article 49-3, notamment depuis son utilisation par Manuel Valls pour les lois de libéralisation de l’économie, se heurtant à la fronde d’une partie de sa majorité, a pris une image délétère, symbole d’autoritarisme et de faiblesse. L’ancien Premier ministre devenu candidat à la présidence de la République, voulait d’ailleurs supprimer cet article de la Constitution dont il avait pourtant fait un usage abondant.

Certes, les gouvernements ne veulent pas que le débat parlementaire s’enlise dans un combat d’amendements. Mais la France depuis plusieurs années s’enlise dans le chaos à travers la flambée de violence des Gilets Jaunes, puis l’un des plus longs mouvements sociaux de l’histoire. Les débats de société qui ne peuvent pas se dérouler dans le cadre démocratique d’une Assemblée nationale reconnue comme la représentation du peuple, se produisent sous une autre forme : celle des émeutes et de la violence dans la rue.

Plus que jamais, la fracture démocratique fait rage entre d’une part les élites dirigeantes, ressenties comme arrogantes et déconnectées, et le peuple dans son immense majorité, qui a le sentiment d’être méprisé et abandonné. L’affaiblissement continu de l’Assemblée nationale et des députés, en tant que représentants de la Nation, relais naturel entre la Nation et le pouvoir d’Etat, ne peut qu’aggraver ce phénomène. Un recours supplémentaire au 49-3, sur un sujet aussi sensible et dramatique que celui des retraites, risque d’amplifier encore davantage le climat de défiance sinon de révolte qui caractérise la France actuelle.

Maxime TANDONNET

 

 

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Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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17 commentaires pour Sur l’article 49-3 (pour Figaro Vox)

  1. astrojournal dit :

    Avec 40 000 amendements, l’opposition d’extrême gauche fait tout pour pousser le gouvernement à utiliser le 49.3.
    Au point d’impopularité actuelle du gouvernement, renoncer au 49.3 ne lui apportera aucun point de popularité supplémentaire. Alors qu’il y aille et qu’on n’en parle plus.

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    • carlo dit :

      « Alors qu’il y aille et qu’on n’en parle plus. »
      … même s’il doit mécontenter une majorité de Français ?

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    • astrojournal dit :

      Il est impossible de contenter tout le monde. Quand le vin est tiré, il faut le boire.
      Je ne connais aucune réforme de fond à laquelle les Français adhèrent majoritairement.

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    • astro, et si le vin est empoisonné, il faut le boire?
      MT

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    • astrojournal dit :

      Mais quel ce poison dont vous parlez ?
      La question n’est pas là mais sur la capacité de réformer ou non notre pays.
      A chaque fois que l’on veut réformer, les gouvernements successifs rencontrent une vive opposition dans le pays, si bien que, bien souvent, le gouvernement revient en arrière. Pendant ce temps, rien n’avance et notre pays prend du retard. On le voit, par exemple, dans le domaine de l’éducation nationale. A cause de la capacité de nuisance des forces d’extrême gauche, politiques et syndicales, le niveau scolaire et universitaire ne cesse de baisser.
      A quoi servent donc les élections, si, ceux qui ont été élus ne peuvent pas appliquer leur programme ?
      Cette loi n’est certainement pas parfaite. Mais en lisant de nombreuses réactions sur la toile, je m’aperçois que les Français n’y ont majoritairement pas compris grand chose, qu’ils en ignorent les modalités et qu’ils se laissent, une fois de plus, embobiner par les « grandes gueules » de l’extrême gauche.
      Peu de gens savent que le système de répartition ne sert pas à payer leur future retraite mais à payer les pensions de ceux qui sont déjà en retraite. Peu de gens savent que les retraites ne sont actuellement pas payées par les cotisations mais qu’il faut emprunter pour combler le budget, donc d’accroître la dette de la France, qui sera payée, d’une façon ou d’une autre, par les générations futures, donc par leurs enfants et petits-enfants.
      Ne pas passer par le 49.3, c’est une reculade de plus, reporter la réforme aux calendes grecques, ou l’abandonner.
      Passer par le 49.3, c’est effectivement prendre le risque de faire chuter le gouvernement, suivant divers scénarios. Et alors !
      Est-ce que le mot « courage » a encore un sens en politique ?

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    • Astro, mais qu’appelez-vous réforme? L’oeuvre de destruction massive d’une nation et de propagation du chaos (taxe carbone, baccalauréat, retraites, fonction publique) etc. ?
      MT

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    • astrojournal dit :

      C’est sûr qu’il y a de bonnes et de mauvaises réformes. Généralement, l’on peut en juger qu’après avoir été mises en place, en les laissant vivre quelques temps, aux termes desquels l’on peut faire un bilan.
      Mais en France, cela ne se passe pas comme cela. A peine la réforme est-elle proposée qu’elle est déjà rejetée, sur des critères qui peuvent être rationnels mais bien souvent idéologiques, comme la sauvegarde absolue de l’état-providence.
      Les Français font la preuve que la France est le seul pays en Europe qui n’est pas réformable.
      C’est toujours le tout ou rien.
      Cela finit généralement par une situation insurrectionnelle proche de l’anarchie, suivie d’un coup d’état pour remettre de l’ordre. C’est ce qui nous pend au bout du nez.
      La faute n’est pas à la réforme des retraites dont personne ne peut vraiment savoir ce qu’elle produira dans 10 ans, ni au 49.3 qui n’est qu’un moyen constitutionnelle de dénouer une situation bloquée, mais au caractère frondeur des Français dont se servent très bien les héritiers de 1792.

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    • astro, il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles. On est en droit et même en devoir de déplorer des réformes dont on pressent qu’elles seront nuisibles (ex les nationalisations de 1981). J’estime que la réforme du bac est une ignominie, comme celle des retraites qui va engendrer un monstre bureaucratique ingérable et ruineux pour les finances publics. Je trouve par ailleurs misérable le cliché selon la France est « non réformable ». Quand on explique aux Français le sens des réformes et quand on ne les méprise pas (« ceux qui ne sont rien » « les gaulois réfractaires », etc) on fait de remarquables réformes dans ce pays (les peines planchers en 2007, les heures sup défiscalisées, la retraite à 62 ans en 2010, etc.).

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    • cgn002 dit :

      On ne réforme pas par des tâtonnements aussi improbables que ce que l’on peut en connaître.
      L’ébauche initiale du projet disposait d’ une certaine légitimité; toutefois sa version avant 49-3 a perdu toute sa substance (ainsi que sa lisibilité…). Bref nous nous trouvons dans le parfait mode de fonctionnement de la médiocrité qui fait mal ou qui ne fait rien.
      Le peuple peut il signer un chèque en blanc à une gouvernance aussi incohérente ?
      L’ignorance d’une certaine partie des citoyens ne saurait justifier une décision non mûrement réfléchie, au nom du bien commun de l’ensemble des français (rien ne représente mieux la communauté des citoyens de notre nation que notre système de retraite, sachant que chaque français en est une partie à la fois contributive et bénéficiaire : d’où la nécessité d une réforme juste dans son application et non dans sa présentation politicienne).

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  2. carlo dit :

    « La logique de cette disposition – qui s’explique par l’époque où elle fut adoptée – est fort discutable sur le plan de la démocratie parlementaire. »
    Le monde a en effet beaucoup changé depuis 1958 et nous sommes devenus, à juste titre, plus exigeants quant aux modalités de l’expression du consentement.
    Nous considérons généralement en effet aujourd’hui que le consentement ne se présuppose pas.
    Par suite, nous devrions trouver choquant qu’on puisse considérer qu’un texte est approuvé dès lors qu’il n’y a pas de majorité pour renverser le gouvernement qui l’a proposé.
    Nous viendrait-il à l’idée de considérer qu’une femme approuve les violences que lui fait subir son mari dès lors qu’elle ne demande pas le divorce ?
    Que le consentement doive être explicite devrait également nous interdire de faire comme si toutes les mesures figurant dans le programme électoral d’un candidat étaient validées du simple fait de son élection.
    Cet argument fallacieux est pourtant très souvent utilisé, et c’est aujourd’hui le principal argument employé par le gouvernement pour justifier sa réforme des retraites.

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  3. cgn002 dit :

    Dernier paragraphe empreint de résignation et de faux espoirs, à mon avis .
    Mon espoir irait plutôt du côté du Sénat : un brouillon de projet peut il devenir une loi ?
    Par ailleurs le dossier des retraites une foi enclenché se verra difficilement démontable même avec une présidence de droite en 2022.

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  4. Mildred dit :

    Voici comment Guillaume Tabard, du Figaro, analyse la méthode que le gouvernement pourrait envisager d’appliquer, pour trouver un avantage politique à l’emploi de l’article 49-3, qui satisferait tout le monde, y compris la grande majorité de Français hostiles à cette réforme :

    https://www.radioclassique.fr/radio/emissions/matinale-de-radio-classique/l-edito-politique/#livePlayer

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  5. Gérard Bayon dit :

    Bonjour à toutes et à tous,
    Puisque le gouvernement ne pourra pas échapper à l’utilisation de l’article 49.3 pour valider son brouillon de réforme des retraites, il ne devra s’en prendre qu’à lui seul.
    Ne mélangeons pas les causes et les effets.
    Après près de deux ans de pseudos concertations menées par un haut commissaire qui en fait et on a pu le vérifier, à bien peu travaillé. Après avoir proposé une ébauche de projet soi-disant universel, non chiffré, sans réelle étude d’impact, sans prise en compte de la pénibilité, texte amendé au gré des colères de telles ou telles catégories professionnelles ou du simple bon sens qui manque étrangement à nos politiciens et à certains rédacteurs hauts-fonctionnaires. Après avoir mis en place sous la pression de la rue, une conférence sur l’équilibre et le financement des retraites qui piétine et commence à montrer de sérieux désaccords entre les participants. Après les commentaires peu amènes du Conseil Constitutionnel sur ce projet. A quoi fallait-il s’attendre ?
    Plutôt que les enfantillages et démonstrations puériles de LFI et du PCF qui ridiculisent leurs députés, il eut été préférable que l’ensemble des oppositions se comportent à l’image des députés LR et fassent apparaitre publiquement les incohérences et les inepties du texte proposé. Cela n’aurait probablement pas arrêté la machine infernale du gouvernement qui, quoi qu’il arrive, a décidé que cette réforme devait être mise en place parce qu’ E.Macron l’a voulue, mais cela aurait eu le mérite de faire prendre conscience aux Français que ce projet n’était pas viable en l’état.
    Il est probable que nos politiciens et syndicats agitateurs professionnels se servent de l’application de l’article 49.3 pour tenter une dernière fois de mobiliser la population dans la rue. Peine perdue puisque les Français ont bien compris que ce combat était inutile face à ce gouvernement buté et obsédé par ce projet.
    Alors il ne sert à rien de s’opposer inintelligemment à ces gamins capricieux, laissons les s’enferrer dans leur texte abscons et inapplicable et disons nous que ce qu’une loi a fait, une autre peut le défaire.

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