Lecture: Les Plantagenêts, Jean Favier, Fayard, 2004

La lecture d’un excellent livre d’histoire, en un temps de bêtise et de médiocrité triomphantes, apaise et réconforte. Et parmi la bêtise et la médiocrité triomphantes figure en bonne place l’actuelle querelle de crétins, bien à l’image de nos années, sur la question de savoir qui est habilité ou qui ne l’est pas pour parler d’histoire et prétendre à la qualité d’historien.

Les titres, les diplômes, les chaires obtenues à force de servilité, de courbettes idéologiques et d’obséquiosité ne font sûrement pas à eux seuls l’historien. En ces temps d’obscurantisme et de saccage de l’enseignement de l’histoire, le véritable historien, nonobstant la gloriole académique,  est tout homme ou femme qui parvient, par ses récits, à répandre la passion de l’histoire et à par là-même le bonheur de l’évasion et de l’enrichissement d’un savoir, sans la prétention à transmettre un message idéologique. Jean Favier, grand savant et sachant se mettre à la portée de tous, décédé récemment, était de ceux-là.

Les Plantagenêts, 1000 pages, se présente comme une somme monumentale de connaissances sur une période absolument fascinante. L’ouvrage combine le récit linéaire de l’ascension d’une grande famille qui a dominé l’Europe pendant plusieurs siècles, avant de sombrer, et le tableau d’une grande civilisation méconnue, celle des Troubadours, des poètes, des princes, des comtes et des hommages, des cathédrales et des moulins à vent. Il est d’un abord exigeant en raison de la multitude foisonnante des informations qu’il livre en abondance. Pourtant, une fois apprivoisé, le livre est tout autre chose qu’une somme d’érudition, et devient, comme tout grand livre, le compagnon irremplaçable des soirées de solitude et des nuits sans sommeil à force de ne pas pouvoir le lâcher.

A quoi peut-il bien servir, aujourd’hui, de savoir que le Royaume-Uni contemporain est une création française, largement issu du mariage en 1128, entre Geoffroy Plantagenêt, comte d’Anjou, et de Mathilde de Normandie, descendante de Guillaume le Conquérant? Que le véritable fondateur de la dynastie, né de cette union, Henri II, couronné roi d’Angleterre en 1154, a régné sur un vaste territoire  englobant, outre son Royaume, l’Aquitaine, l’Anjou et la Normandie en tant que vassal du Capétien, roi de France? Que tout l’équilibre d’une société et ses rapports de pouvoir reposaient, non sur un Etat de droit organisé, mais sur le jeu des passions, d’engagement d’homme à homme et du sens de l’honneur?

A quoi sert-il de savoir que l’histoire de France et de l’Europe, peut-être du monde, s’est jouée pour des siècles sur le coup de passion d’une femme, Aliénor d’Aquitaine, mariée avec le roi de France Louis VII en 1137, dans l’objectif de réunir l’Aquitaine (un bon quart de la surface actuelle de la France) et le Royaume de France, mais insatisfaite de son mari, qui s’en sépare quelques années plus tard pour épouser Henri Plantegenêt en 1154, dix ans de moins qu’elle, dont elle est tombée amoureuse, faisant basculer l’Aquitaine, de Poitiers et Bordeaux, dans la mouvance Anglaise et engendrant un puissant  empire Plantagenêt qui durera plus de 300 ans, ennemi du chétif roi de France capétien, écrasé entre ce géant et l’Empire romain germanique, et qui finira cependant par l’emporter au prix d’une oeuvre de plusieurs siècles?

A quoi sert-il de plonger dans l’histoire fabuleuse, infiniment plus fracassante que 10 000 romans additionnés, du roi Henri II honteusement trahi par ses deux fils affamés de puissance? Puis l’un d’eux, héritier du trône, et des possessions françaises de la dynastie Plantagenêt, Richard Coeur-de-Lion, adulé de sa mère, Aliénor, mais faible, indécis et médiocre pendant la Croisade, échouant à libérer Jérusalem, emprisonné sur le chemin du retour par l’empereur d’Allemagne et libéré grâce à une colossale rançon ruineuse pour les finances de son royaume, et redevenu chef de guerre violent et cruel? Enfin la lutte implacable entre son frère qui lui succède, Jean Sans Terre, abandonné par ses vassaux pour manquements au code de l’honneur féodal, et le roi de France Philippe Auguste, parti de peu au regard de la puissance Plantagenêt, mais vainqueur final de cette joute?

« Pardonnez lui, Seigneur, il en a grand besoin,

Et ne regardez pas, Seigneur, ses fautes, 

Et remembrez vous comme il alla vous servir »

Je n’ai pas vraiment de réponse à ces questions. Fuir la médiocrité de notre temps, 800 ans de hauteur et de recul pour s’imprégner du chaos de l’histoire qui n’a pas dit son dernier mot, un intense et pur moment de bonheur en tout cas.

Maxime TANDONNET

 

 

 

 

 

 

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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11 commentaires pour Lecture: Les Plantagenêts, Jean Favier, Fayard, 2004

  1. Jean Dutreuil dit :

    Monsieur tandonnet,

    Pour compléter votre lecture, je vous conseille l excellent livre de Daniel de Montplaisir « quand le lys terrassait la rose (700 ans de victoire française sur l Angleterre) »

    Bises à vous

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  2. Philippe Dubois dit :

    Bonsoir Maxime

    J’ai déjà acheté le « Charlemagne » suite au billet que vous avez consacré à ce livre
    J’ai aussi « Philippe le Bel », que je n’ai pas encore lu (j’en ai tellement à lire)
    Je me ferai peut-être offrir « Les Plantagenêts »
    Comme médiéviste, j’aime bien Jacques Heers, dont j’ai lu « Louis XI » et « Le Moyen Age, une imposture »

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  3. olivier seutet dit :

    Jean Favier est un historien dont j’ai lu avec plaisir deux livres : « Louis XI » et « La guerre de cent ans ».
    Je ne l’inclus pas parmi les bateleurs comme Patrick Boucheron arrivé au Collège de France dans des conditions qui restent à éclaircir; auteur de ce livre d’idéologie, « Histoire mondiale de la France », que j’ai lu un crayon à la main pour en souligner toutes les erreurs, approximations, choix tendancieux.
    Je ne l’inclus pas parmi les calomniateurs comme Gérard Noiriel qui vient de commettre un pamphlet ignoble, « Le venin dans la plume » qui rapproche les méthodes de Zemmour de celles de Drumont, l’auteur de « L France juive »; ledit Noiriel se targue d’être un historien de métier; notion absurde.

    Il est des érudits qui maîtrisent leur sujet, Jean Favier; et d’autres qui en sortant de leur étroite spécialité se révèlent pour ce qu’ils sont : des médiocres qui paradent, dispensant erreurs, approximations, modernisation à leur sauce, et n’hésitent pas à jeter l’anathème à ceux qui ne sont pas de leur confrérie de pensée et de formation.

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    • Philippe Dubois dit :

      Noiriel n’est pas un médiocre.
      C’est un idéologue fanatique (pléonasme) d’extrême gauche qui utilise son savoir au service de la propagation de son idéologie, en déformant les faits et en les présentant de façon tronquée et biaisée, en truquant les chiffres et les statistiques.
      Dans le même style, on peut citer le démographe Hervé le Bras et feu Albert Jacquart

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  4. François Martin dit :

    Je recommande fortement à tout amateur d’Histoire le livre profond et bien écrit d’Henri Guaino, « ils veulent tuer l’Occident », contre le nihilisme et le relativisme contemporains. Pour comprendre ce qui nous arrive il faut savoir d’où on vient…

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  5. Mildred dit :

    Difficile de ne pas voir que l’Union Européenne n’est autre que la résurgence moderne du Saint Empire Romain Germanique auquel le peuple britannique a décidé d’échapper par le Brexit :

    https://www.tvlibertes.com/le-samedi-politique-brexit-le-calvaire-des-europeistes-avec-c-gave-et-f-asselineau

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  6. Zonzon dit :

    Voilà un beau livre qui nous entraîne dans une méditation sur la construction cahotante de l’Espace Civilisationnel Européen.

    Nous, qui vivons dans l’ère de la déconstruction mieux vaut se retourner un instant vers l’avenir radieux de l’Humain et l’implantation de la pensée sur « cette » planète.

    Ainsi nous apprenons ces jours-ci que Sagittarius A* (Srg A*) aurait tendance à s’emballer. Serait-ce le moyen choisi par le Créateur pour liquider cette expérience désastreuse quitte à recommencer ailleurs l’opération, ce dont je doute ? Il n’y aura pas un second Jésus !

    « Si Dieu le sait qu’il me le dise » 

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  7. Anonyme dit :

    Un ouvrage remarquable. Jean Favier était un grand médiéviste et archiviste.

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  8. Anne-Marie dit :

    Merci por cette information. C’est un livre que je vais de ce pas me procurer. J’adore cette periode

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  9. Pier21 dit :

    Allons Maxime, le monde a changé, dans le nouveau on n’apprend plus l’Histoire, mais la sociologie, comme Piketty ne fait pas de l’économie mais de la politique ! Lol!

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  10. André Lugardon dit :

    A quoi ça sert dites-vous de savoir ce que vous nous rappelez? A comprendre pourquoi il y a tant d’Anglais à Bordeaux, en Dordogne, en Lot-et-Garonne, dans le Gers, le Tarn et le Tarn et Garonne. Et pourquoi parmi eux il y en a tant catastrophés par le Brexit.

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