Champ de ruines

Ce matin, LCI/BFM triomphe sur la hausse de la cote de confiance présidentielle de 2 points. L’omniprésence médiatique de l’image élyséenne et l’obsession sondagière tout autour, seraient-elles l’arbre qui cache la forêt, celle de l’anéantissement continu de la politique française?

La presse et les médias ont beaucoup jubilé sur les déboires des Républicains. A l’occasion du Congrès de la Baule, ils y ont surtout vu la défection et l’absence de ses leaders Pécresse et Bertrand, délestés de ce qu’ils pensent être le boulet de l’image du parti et jouant leur propre partition.

Le fauve médiatique se concentre sur les difficultés de LR jusqu’à en oublier le désastre qui guette les autres. Sans parler même du PS ou des Insoumis en pleine déflagration, LREM ne se porte guère mieux: duel fratricide pour la mairie de Paris et d’autres, déboires judiciaires, démissions au fil des jours de parlementaires sous l’effet de l’écœurement, inconsistance radicale d’un parti champignon.

Reste le RN. Mais celui-ci est un conglomérat de multiples tendances unies par le rejet du « système ». Le seul point commun est la personnalité de Mme le Pen, héritière du créateur du parti et ne tient qu’au fil d’une tradition familiale. Son explosion,  par exemple, à la faveur de la rivalité entre la fille et sa nièce, ou petite fille du créateur, interviendra probablement à son tour.

La désintégration de la vie politique française se poursuit. Le système des partis politiques achève d’exploser, le Parlement est totalement marginalisé, le gouvernement est inexistant, et les ministres anéantis, ne cherchent même plus à exister, les collectivités locales sont dangereusement affaiblies par les coupes sombres dans leur financements. Bientôt, la vie politique française ne sera, plus qu’un immense champ de ruines. Il n’en restera que l’image médiatique, stellaire, éthérée, virtuelle,  obsessionnelle, du titulaire de l’Elysée, couvrant de son rayonnement un vertigineux abîme.

Pendant ce temps, le pays se délite à grande vitesse: violence criminelle, terrorisme, effondrement du niveau scolaire, dette publique, chômage de masse et pauvreté, fraude massive (sécurité sociale), migrations hors contrôle.

Les experts de la vie politique française prévoient, à peu près unanimes, une réélection de l’actuel chef de l’Etat en 2022 et reconduction de sa majorité. C’est une idiotie: nous marchons vers un chaos politique innommable, une situation à laquelle les Britanniques comme les Italiens n’auront rien à nous envier. De cet épouvantable chaos politique en perspective, nul n’a sérieusement la moindre idée de ce qui pourra sortir…

Maxime TANDONNET

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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29 commentaires pour Champ de ruines

  1. Citoyen dit :

     » Ce matin, LCI/BFM triomphe sur la hausse de la cote de confiance présidentielle de 2 points.  »
    Ben, il faut s’attirer les bonnes grâces du petit Benito micron, pour s’assurer d’être sous la coulée de l’argent des contribuables … Question de survie …
    Pour ce faire, il ne faut reculer devant aucun sacrifice, et produire les sondages bidons qui les arrangent, avec les panels qui les arrangent ….
    Pourtant, il parait que les « fakes news » sont interdites dans ce pays !

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  2. MARECHAL dit :

    – J adhère à cette vision éclairée de la situation mon cher Maxime, et je dirais même plus. Concernant Raffarin, une psychanalyse ne peut raisonnablement rien pour lui : » elle est sans effet sur la connerie  » disait Lacan. C’est cuit.

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  3. new dit :

    source le figaro :
    Ce jeudi, Paris a profité de taux historiquement bas pour lever des sommes records sur le long terme sur les marchés financiers.
    Tous les compteurs s’affolent! L’Agence France Trésor de Bercy, qui est chargée d’emprunter sur les marchés les capitaux nécessaires au financement de l’État, a vécu ce jeudi une journée historique. Dans un environnement de taux bas exceptionnel, plusieurs records ont été battus. D’abord, celui du montant des fonds levés. Jamais la France n’avait emprunté sur le long terme, en une seule journée, autant d’argent: 10 139 milliards d’euros! Ensuite, les conditions de financement n’en finissent pas de s’alléger: le taux à dix ans des bons du Trésor a franchi un nouveau record à -0,36 %. Et pour la première fois le taux à quinze ans est également entré en territoire négatif à -0,03 %.
    » LIRE AUSSI – Faut-il s’inquiéter des taux d’intérêt historiquement bas?
    Autrement dit, de grands investisseurs sont prêts à perdre de l’argent pour prêter à un horizon aussi lointain que 15 ans. Dans ces conditions extrêmes, ceux qui achètent de la dette se reportent sur le très long terme pour obtenir un peu de rentabilité. Résultat: la France a emprunté à 30 ans plus de 3 milliards d’euros, un nouveau record. Enfin, l’encours de l‘obligation verte de la France, qui finance des projets fléchés spécifiquement sur l’environnement et la transition écologique, a dépassé les 20 milliards d’euros.
    Dégradation des finances publiques
    Ces levées s’inscrivent dans un contexte particulier pour la France. Le besoin de financement français en 2019 atteint 237 milliards d’euros. Il a été prévu dans la loi de finances d’y pourvoir essentiellement via des émissions de dette à moyen et long terme, avec un montant d’émissions de 200 milliards d’euros, là aussi un record. Ce pic s’explique d’une part par la dégradation continue des finances publiques mais aussi par les besoins de refinancement de la dette émise il y a dix ans, lors de la crise financière. La faiblesse des taux vient faciliter à court terme la tâche de Bercy. Personne n’est en revanche capable de prévoir comment cet étrange environnement évoluera à long terme, s’il ne se retournera pas brutalement sur les pays surendettés comme la France.

    http://www.lefigaro.fr/conjoncture/la-france-fait-la-plus-grosse-levee-de-dette-de-son-histoire-20190905

    La rédaction du figaro vous conseille :
    La dette de la France représente 78.630 TGV, 7 ans de retraite, 35.212 euros par Français…
    Dette publique: les économistes divisés sur la gravité de la dérive des comptes
    La réduction de la dette publique, grande oubliée du quinquennat Macron…
    ————————————-
    Je m’évertue à dire ce que les autres ne veulent pas entendre. C’est ça la Macronie on dépense à tout va sans compter pour acceuillir des indésirables et acheter des voix électorales quitte à nous perdre tous et voyez les échéances dans 15 ans ( Macron ne sera plus en France).

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  4. new dit :

    Bonjour monsieur Tandonnet ,
    Vous écrivez : :News, il ne faut pas changer la Constitution, il suffirait de l’appliquer avec un président arbitre et gardien et un Premier ministre qui gouverne sous le contrôle d’un Parlement.
    Réponse : n’est-ce pâs changer de constitution que cela ?

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  5. Patrice Charoulet dit :

    Dans Le Figaro, Eric Zemmour consacre un article à une réédition d’un livre d’André Tardieu,
    Le Souverain captif, présenté par….Maxime Tandonnet, chez Perrin. On ne pouvait mi eux choisir.
    Dans l’article, je relève ces mots de Tardieu : « Un livre, s’il est bon et qu’il porte, est plus fort qu’un ministre et qu’une assemblée. » Eh oui !

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  6. Mildred dit :

    Voici ce qu’on peut lire dans un entretien que Bruno Lafourcade a accordé à L’Incorrect du mois de septembre :

    « … Qu’est-ce que c’est la « France périphérique » ? La France rurale ? Et elle est à la périphérie de quel centre ? De Paris, des grandes villes et de leurs banlieues ? Pour moi, cette « France périphérique », c’est elle, le centre ; et les grands remuements urbains sont à sa périphérie. Elle n’est « périphérique » que pour les journalistes, les sociologues et les économistes qui se voient, eux, comme le centre. Mais c’est vrai, bien sûr, elle est à la périphérie, puisque c’est là qu’on l’a mise, à la périphérie d’elle-même, où on l’a fait crever : elle n’a plus d’école, plus de bureau de poste, plus d’autocar – elle n’est pas rentable, elle n’est pas Uber. Mais la périphérie, ce sont aussi les ronds-points, que cette France-là a commencé d’occuper. Elle a même touché aux ronds-points du Pouvoir, l’hiver dernier, et peut-être un jour ira-t-elle jusqu’au bout, dans sa vieille Renault diesel – on verra alors qui jouira sans entraves. »

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  7. Tarride dit :

    Cher Maxime Tandonnet

    Depuis que vous avez écrit votre « papier », un nouveau sondage est sorti qui indiquerait que Notre Président gagne 5 points. De 27 à 32.
    Ce qui m’étonne est qu’après l’invraisemblable débauche de propagande relative au G7, les gains d’Emmanuel Macron ne soient pas sensiblement plus élevés. Si les Français ne prêtent que peu d’attention à une « communication » faisant d’Emmanuel Macron une synthèse du Christ et du Général de Gaulle, c’est à mon avis parce qu’ils gardent un minimum de bon sens.
    C’est ce même bon sens qui les amènent à constater qu’il n’ y a personne en face et qu’il n’y a pas non plus d’idées en face ni de gens qui en cherchent au delà de la stratégie politique.
    Pendant longtemps, Monsieur Macron et Madame Maréchal en sont, je crois, le fruit amer, il était recommandé, pour être applaudi de dénoncer l’UMPS,c ‘est à dire de constater que les « partis de gouvernement » en théorie opposés faisaient la même politique. Et si nous prenions cette critique au mot ? Non pour désigner un candidat ou pour tenir un congrès, mais pour réunir des gens capables de parler avec qui n’est pas, en principe d’accord avec eux mais qui souhaiteraient explorer des voies communes juste pour vérifier si des solutions communes sur les questions les plus urgentes ne sont pas possibles ? Bien sûr, cela suppose que chacun oublie un moment son propre destin. mais comme de destin est aujourd’hui largement compromis, le miracle me semble possible.

    Etienne Tarride

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    • Mildred dit :

      Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre, me paraît plus direct que vous ne l’êtes, qui déclarait récemment sur LCI :
      « Macron, très franchement, est un personnage exceptionnel. Je ne vois personne à sa hauteur sur le marché politique, on a intérêt à travailler avec lui. »

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    • Etienne, +5 point, 32% de satisfaits, c’est vraiment l’histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide. Pour ma part, je vois plutôt 5 points d’imbéciles qui marchent comme des petits soldats à la grande pitrerie médiatique de Biarritz, ce qui ne me rassure pas sur le niveau intellectuel du pays et ce qui me paraît bien fragile…
      MT

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  8. pabizou dit :

    M. Tandonnet, bonjour . Aujourd’hui plus aucun politicien n’est crédible, pas plus à gauche qu’à droite, pour autant qu’une droite qui se couche chaque fois que la gauche lui fait gros yeux en soit une, mais nous sommes arrivés au point où la situation dramatique du pays ouvre la porte à n’importe qu’elle réaction anti etablishment . Il ne s’agit pas pour moi de soutenir Mme Maréchal mais de mettre en évidence le fait que c’est actuellement la seule qui tient un discours-programme . Le fait qu’elle n’ait pas fait ses preuves, ce qui est indiscutable, risque de ne pas suffire à la disqualifier aux yeux de beaucoup d’électeurs qui se sentent piégés par la situation actuelle . Après, chacun est libre de partager, ou pas ce que l’on trouve dans son discours et pour moi, il est encore trop etatiste pour que je puisse le soutenir . Je n’aimerai cependant pas voir la France se déchirer encore plus demain qu’aujourd’hui, comme c’est le cas aux USA, juste parce que personne n’a voulu voir les causes réelles de l’élection de Trump . Je ne crois pas plus que vous à l’homme providentiel et encore moins aux demi-dieux, surtout depuis Jupiter . Le dernier politicien qui aurait pu avoir mon vote était F.Fillon, la magistrature couchée en a décidé autrement mais attention, un candidat qui serait inattaquable juridiquement et qui saurait le faire valoir pourrait bien créer la surprise tellement les Français en ont ras-le-bol .

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    • carlo dit :

      @ Pabizou
      « la magistrature couchée en a décidé autrement  »
      Non, pas la magistrature, les électeurs. Imaginez-vous le Général de Gaulle faisant bénéficier sa femme d’un emploi fictif ?

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    • Pabizou, discours-programme, bof, mais je respecte votre sensibilité et chacun à le droit de se raccrocher à une branche susceptible de le tirer du grand courant de désespérance politique.
      MT

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  9. Gerard Bayon dit :

    Bonjour à toutes et à tous,
    Nos médias continuent de mentir aux Français et de leur faire prendre des vessies pour des lanternes. Beaucoup de personnes le disent et en sont conscientes mais le « matraquage » opéré par des journalistes, éditorialistes, commentateurs, patrons de presse, communicants et experts en je ne sais trop quoi, nous obligent (à moins de vivre dans une bulle) à entendre la « bonne parole » et finalement à s’en imprégner presque contre son gré. Toutes proportions gardées, ce n’est pas sans me rappeler les sermons des prêtres lors de la grand messe du dimanche qui distribuaient les bons et les mauvais points de la semaine et finalement orientaient la pensée des ouailles présentes y compris pour « bien voter » le moment venu.
    Les chaînes d’information en continue et les radios les plus écoutées, qui invitent toujours leurs mêmes « spécialistes », et occupent une très grande partie de leur temps dans des débats contradictoires qui finalement s’avèrent tripatouillés et manipulateurs, suggestionnent finalement la pensée et les choix de millions de personnes et donc d’électeurs.
    Le Président actuel, enfant chéri de ces médias parce que disruptif, en profite depuis plus de deux ans, jusqu’à quand ?
    Nous avions déjà assisté aux mêmes phénomènes médiatiques de conditionnement des électeurs en 2007 et en 2012 avec les soutiens quasi unanimes de N. Sarkozy et F. Hollande puis leur rejet tout aussi généralisé entérinés par le vote.
    La presse et les médias ne sont plus le 4ème pouvoir, accompagnés de la montée en puissance des réseaux sociaux stupides et sans grande moralité, ils sont devenus les grands organisateurs de la vie politique et publique dans le monde.

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  10. lugardon dit :

    « La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. »

    de Paul Valéry

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  11. Aurelien dit :

    Bonsoir, la France et son peuple sont condamnés à disparaître ou se réinventer et cela passera par un retour au sens commun et à l’intérêt général avec une préservation absolue de nos libertés. Aujourd’hui nous perdons lentement nos libertés et le sens commun a disparu. Seule une épreuve très dure pourra réveiller notre vieux pays, j’en suis persuadé. J’envie les Britanniques avec le Brexit avec un peu de chance cela suffira peut-être à leur reconstruction, même si pour eux aussi le chemin sera long. Pour nous, il devrait être terrible, tous les jours je constate la faiblesse de nos concitoyens, les politiques achètent la paix avec la dette mais ne règlent rien, si l’argent vient à manquer le pays s’effondrera plus vite qu’en 1940. Mais quand ??

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  12. Janus dit :

    Constat sans fioritures et parfaitement lucide. Nous sommes en déclin depuis l’élection de GISCARD, qui incarne, comme archétype, tous les vices de la politique actuelle. Nous ne nous relèverons pas car nous ne sommes plus un peuple homogène et après le chaos qui vient, la guerre civile et la partition sont notre destin.
    « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.

    Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences pures et appliquées, avec leurs grammaires, leurs dictionnaires, leurs classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et les critiques de leurs critiques. Nous savions bien que toute la terre apparente est faite de cendres, que la cendre signifie quelque chose. Nous apercevions à travers l’épaisseur de l’histoire, les fantômes d’immenses navires qui furent chargés de richesse et d’esprit. Nous ne pouvions pas les compter. Mais ces naufrages, après tout, n’étaient pas notre affaire.
    Élam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence même. Mais France, Angleterre, Russie… ce seraient aussi de beaux noms. Lusitania aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. Les circonstances qui enverraient les œuvres de Keats et celles de Baudelaire rejoindre les oeuvres de Ménandre ne sont plus du tout inconcevables : elles sont dans les journaux.
    *
    Ce n’est pas tout. La brûlante leçon est plus complète encore. Il n’a pas suffi à notre génération d’apprendre par sa propre expérience comment les plus belles choses et les plus antiques, et les plus formidables et les mieux ordonnées sont périssables par accident ; elle a vu, dans l’ordre de la pensée, du sens commun, et du sentiment, se produire des phénomènes extraordinaires, des réalisations brusques de paradoxes, des déceptions brutales de l’évidence.
    Je n’en citerai qu’un exemple : les grandes vertus des peuples allemands ont engendré plus de maux que l’oisiveté jamais n’a créé de vices. Nous avons vu, de nos yeux vu, le travail consciencieux, l’instruction la plus solide, la discipline et l’application les plus sérieuses, adaptés à d’épouvantables desseins.
    Tant d’horreurs n’auraient pas été possibles sans tant de vertus. Il a fallu, sans doute, beaucoup de science pour tuer tant d’hommes, dissiper tant de biens, anéantir tant de villes en si peu de temps ; mais il a fallu non moins de qualités morales. Savoir et Devoir, vous êtes donc suspects ?
    *
    Ainsi la Persépolis spirituelle n’est pas moins ravagée que la Suse matérielle. Tout ne s’est pas perdu, mais tout s’est senti périr.
    Un frisson extraordinaire a couru la moelle de l’Europe. Elle a senti, par tous ses noyaux pensants, qu’elle ne se reconnaissait plus, qu’elle cessait de se ressembler, qu’elle allait perdre conscience — une conscience acquise par des siècles de malheurs supportables, par des milliers d’hommes du premier ordre, par des chances géographiques, ethniques, historiques innombrables.
    Alors, — comme pour une défense désespérée de son être et de son avoir physiologiques, toute sa mémoire lui est revenue confusément. Ses grands hommes et ses grands livres lui sont remontés pêle-mêle. Jamais on n’a tant lu, ni si passionnément que pendant la guerre: demandez aux libraires. Jamais on n’a tant prié, ni si profondément : demandez aux prêtres. On a évoque tous les sauveurs, les fondateurs, les protecteurs, les martyrs, les héros, les pères des patries, les saintes héroïnes, les poètes nationaux…

    Et dans le même désordre mental, à l’appel de la même angoisse, l’Europe cultivée a subi la reviviscence rapide de ses innombrables pensées : dogmes, philosophies, idéaux hétérogènes ; les trois cents manières d’expliquer le Monde, les mille et une nuances du christianisme, les deux douzaines de positivismes : tout le spectre de la lumière intellectuelle a étalé ses couleurs incompatibles, éclairant d’une étrange lueur contradictoire l’agonie de l’âme européenne. Tandis que les inventeurs cherchaient fiévreusement dans leurs images, dans les annales des guerres d’autrefois, les moyens de se défaire des fils de fer barbelés, de déjouer les sous-marins ou de paralyser les vols d’avions, l’âme invoquait à la fois toutes les incantations qu’elle savait, considérait sérieusement les plus bizarres prophéties ; elle se cherchait des refuges, des indices, des consolations dans le registre entier des souvenirs, des actes antérieurs, des attitudes ancestrales. Et ce sont là les produits connus de l’anxiété, les entreprises désordonnées du cerveau qui court du réel au cauchemar et retourne du cauchemar au réel, affolé comme le rat tombé dans la trappe…

    La crise militaire est peut-être finie. La crise économique est visible dans toute sa force ; mais la crise intellectuelle, plus subtile, et qui, par sa nature même, prend les apparences les plus trompeuses (puisqu’elle se passe dans le royaume même de la dissimulation), cette crise laisse difficilement saisir son véritable point, sa phase.
    Personne ne peut dire ce qui demain sera mort ou vivant en littérature, en philosophie, en esthétique. Nul ne sait encore quelles idées et quels modes d’expression seront inscrits sur la liste des pertes, quelles nouveautés seront proclamées.
    L’espoir, certes, demeure et chante à demi-voix :

    Et cum vorandi vicerit libidinem
    Late triumphet imperator spiritus

    Mais l’espoir n’est que la méfiance de l’être à l’égard des prévisions précises de son esprit. Il suggère que toute conclusion défavorable à l’être doit être une erreur de son esprit. Les faits, pourtant, sont clairs et impitoyables. Il y a des milliers de jeunes écrivains et de jeunes artistes qui sont morts. Il y a l’illusion perdue d’une culture européenne et la démonstration de l’impuissance de la connaissance à sauver quoi que ce soit ; il y a la science, atteinte mortellement dans ses ambitions morales, et comme déshonorée par la cruauté de ses applications ; il y a l’idéalisme, difficilement vainqueur, profondément meurtri, responsable de ses rêves ; le réalisme déçu, battu, accablé de crimes et de fautes ; la convoitise et le renoncement également bafoués ; les croyances confondues dans les camps, croix contre croix, croissant contre croissant ; il y a les sceptiques eux-mêmes désarçonnés par des événements si soudains, si violents, si émouvants, et qui jouent avec nos pensées comme le chat avec la souris, — les sceptiques perdent leurs doutes, les retrouvent, les reperdent, et ne savent plus se servir des mouvements de leur esprit.
    L’oscillation du navire a été si forte que les lampes les mieux suspendues se sont à la fin renversées.
    *
    Ce qui donne à la crise de l’esprit sa profondeur et sa gravité, c’est l’état dans lequel elle a trouvé le patient.
    Je n’ai ni le temps ni la puissance de définir l’état intellectuel de l’Europe en 1914. Et qui oserait tracer un tableau de cet état ? Le sujet est immense ; il demande des connaissances de tous les ordres, une information infinie. Lorsqu’il s’agit, d’ailleurs, d’un ensemble aussi complexe, la difficulté de reconstituer le passé, même le plus récent, est toute comparable à la difficulté de construire l’avenir, même le plus proche ; ou plutôt, c’est la même difficulté. Le prophète est dans le même sac que l’historien. Laissons-les-y.
    Mais je n’ai besoin maintenant que du souvenir vague et général de ce qui se pensait à la veille de la guerre, des recherches qui se poursuivaient, des œuvres qui se publiaient.
    Si donc je fais abstraction de tout détail et si je me borne à l’impression rapide, et à ce total naturel que donne une perception instantanée, je ne vois — rien ! — Rien, quoique ce fût un rien infiniment riche.

    Les physiciens nous enseignent que dans un four porté à l’incandescence, si notre œil pouvait subsister, il ne verrait — rien. Aucune inégalité lumineuse ne demeure et ne distingue les points de l’espace. Cette formidable énergie enfermée aboutit à l’invisibilité, à l’égalité insensible. Or, une égalité de cette espèce n’est autre chose que le désordre à l’état parfait.
    Et de quoi était fait ce désordre de notre Europe mentale ? — De la libre coexistence dans tous les esprits cultivés des idées les plus dissemblables, des principes de vie et de connaissance les plus opposés. C’est là ce qui caractérise une époque moderne.

    Je ne déteste pas de généraliser la notion de moderne et de donner ce nom à certain mode d’existence, au lieu d’en faire un pur synonyme de contemporain. Il y a dans l’histoire des moments et des lieux où nous pourrions nous introduire, nous modernes, sans troubler excessivement l’harmonie de ces temps-là, et sans y paraître des objets infiniment curieux, infiniment visibles, des êtres choquants, dissonants, inassimilables. Où notre entrée ferait le moins de sensation, là nous sommes presque chez nous. Il est clair que la Rome de Trajan, et que l’Alexandrie des Ptolémées nous absorberaient plus facilement que bien des localités moins reculées dans le temps, mais plus spécialisées dans un seul type de mœurs et entièrement consacrées à une seule race, à une seule culture et à un seul système de vie.

    Eh bien! l’Europe de 1914 était peut-être arrivée à la limite de ce modernisme. Chaque cerveau d’un certain rang était un carrefour pour toutes les races de l’opinion ; tout penseur, une exposition universelle de pensées. Il y avait des œuvres de l’esprit dont la richesse en contrastes et en impulsions contradictoires faisait penser aux effets d’éclairage insensé des capitales de ce temps-là : les yeux brûlent et s’ennuient… Combien de matériaux, combien de travaux, de calculs, de siècles spoliés, combien de vies hétérogènes additionnées a-t-il fallu pour que ce carnaval fût possible et fût intronisé comme forme de la suprême sagesse et triomphe de l’humanité ?
    *
    Dans tel livre de cette époque — et non des plus médiocres — on trouve, sans aucun effort : — une influence des ballets russes, — un peu du style sombre de Pascal, — beaucoup d’impressions du type Goncourt, quelque chose de Nietzsche, — quelque chose de Rimbaud, — certains effets dus à la fréquentation des peintres, et parfois le ton des publications scientifiques, — le tout parfumé d’un je ne sais quoi de britannique difficile à doser !… Observons, en passant, que dans chacun des composants de cette mixture, on trouverait bien d’autres corps. Inutile de les rechercher : ce serait répéter ce que je viens de dire sur le modernisme, et faire toute l’histoire mentale de l’Europe.
    *
    Maintenant, sur une immense terrasse d’Elsinore, qui va de Bâle à Cologne, qui touche aux sables de Nieuport, aux marais de la Somme, aux craies de Champagne, aux granits d’Alsace, — l’Hamlet européen regarde des millions de spectres.
    Mais il est un Hamlet intellectuel. Il médite sur la vie et la mort des vérités. Il a pour fantômes tous les objets de nos controverses ; il a pour remords tous les titres de notre gloire ; il est accablé sous le poids des découvertes, des connaissances, incapable de se reprendre à cette activité illimitée. Il songe à l’ennui de recommencer le passé, à la folie de vouloir innover toujours. Il chancelle entre les deux abîmes, car deux dangers ne cessent de menacer le monde : l’ordre et le désordre.

    S’il saisit un crâne, c’est un crâne illustre. — Whose was it ? — Celui-ci fut Lionardo. Il inventa l’homme volant, mais l’homme volant n’a pas précisément servi les intentions de l’inventeur : nous savons que l’homme volant monté sur son grand cygne (il grande uccello sopra del dosso del suo magnio cecero) a, de nos jours, d’autres emplois que d’aller prendre de la neige à la cime des monts pour la jeter, pendant les jours de chaleur, sur le pavé des villes… Et cet autre crâne est celui de Leibniz qui rêva de la paix universelle. Et celui-ci fut Kant, Kant qui genuit Hegel qui genuit Marx qui genuit…

    Hamlet ne sait trop que faire de tous ces crânes. Mais s’il les abandonne!… Va-t-il cesser d’être lui-même ? Son esprit affreusement clairvoyant contemple le passage de la guerre à la paix. Ce passage est plus obscur, plus dangereux que le passage de la paix à la guerre ; tous les peuples en sont troublés. « Et moi, se dit-il, moi, l’intellect européen, que vais-je devenir ?… Et qu’est-ce que la paix ? La paix est peut-être, l’état de choses dans lequel l’hostilité naturelle des hommes entre eux se manifeste par de créations, au lieu de se traduire par des destructions comme fait la guerre. C’est le temps d’une concurrence créatrice, et de la lutte des productions. Mais Moi, ne suis-je pas fatigué de produire ? N’ai-je pas épuisé le désir des tentatives extrêmes et n’ai-je pas abusé des savants mélanges ? Faut-il laisser de côté mes devoirs difficiles et mes ambitions transcendantes ? Dois-je suivre le mouvement et faire comme Polonius, qui dirige maintenant un grand journal ? comme Laertes, qui est quelque part dans l’aviation ? comme Rosencrantz, qui fait je ne sais quoi sous un nom russe ?

    — Adieu, fantômes ! Le monde n’a plus besoin de vous. Ni de moi. Le monde, qui baptise du nom de progrès sa tendance à une précision fatale, cherche à unir aux bienfaits de la vie les avantages de la mort. Une certaine confusion règne encore, mais encore un peu de temps et tout s’éclaircira ; nous verrons enfin apparaître le miracle d’une société animale, une parfaite et définitive fourmilière. »

    Paul Valéry
    La Crise de l’ Esprit, première lettre(1919)

    Je n’ai pas résisté (teinté d’angoisse tant le verdict est effrayant) au plaisir de vous faire relire ce texte extraordinaire

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  13. nzw dit :

    Bonsoir Monsieur Tandonnet,
    En vous remerciant pour cet article plein de vérités, je reviens sur une phrase qui avait déplu à plusieurs intervenants lors de l’un de vos précédents billets.
    Le refus, la non-acceptation, la révolte, le coup d’état, la révolution sont parfois des maux nécessaires pour un peuple afin qu’il retrouve la paix, ses frontières, la sécurité, la liberté, le plein emploi, son indépendance économique et culturelle, sa fraternité, son égalité.
    Notre constitution est devenu obsolète car elle donne trop de pouvoir à un seul homme qui trop souvent par filouterie en à obtenu la fonction. Il n’y a pour l’heure aucun homme qui puisse égaler le Général De Gaulle, alors il faut changer de constitution, le salut de la France en dépend.

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  14. new dit :

    Monsieur Maxime Tandonnet,
    merci pour ce billet plein de vérités.
    Je reviens sur une phrase qui avait déplu à plusieurs intervenants lors de l’un de vos précédents billets.
    Le refus, la non-acceptation, la révolte, le coup d’état, la révolution sont parfois des maux nécessaires pour un peuple afin qu’il retrouve la paix, ses frontières, la sécurité, la liberté, le plein emploi, son indépendance économique et culturelle, sa fraternité, son égalité.
    Notre constitution est devenu obsolète car elle donne trop de pouvoir à un seul homme qui trop souvent par filouterie en à obtenu la fonction. Il n’y a pour l’heure aucun homme qui puisse égaler le Général De Gaulle, alors il faut changer de constitution, le salut de la France en dépend.

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    • News, il ne faut pas changer la Constitution, il suffirait de l’appliquer avec un président arbitre et gardien et un Premier ministre qui gouverne sous le contrôle d’un Parlement.
      MT

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  15. pabizou dit :

    Entierement d’accord avec vous jusqu’à votre analyse du RN . Il n’y aura pas d’éclatement, non pas parce que les causes possibles ne sont pas là mais parce que vous continuez à sous-estimer M.Maréchal . Sa tante n’est qu’un parasite institutionalisé de plus mais, elle, est en embuscade et ne fera rien avant que son heure soit venue . Elle a réussi à faire passer le discours qu’elle avait prévu lors de la grand messe du Medef malgré ceux qui ont fait en sorte que son invitation soit annulée, et si vous ne l’avez pas déjà fait, je vous invite à en prendre connaissance et à juger par vous-même en dehors de tout a priori . Pour le reste, oui, ce pays part en vrille et l’avenir n’est pas lumineux .

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    • pabizou, moi je ne juge les responsables publics que sur les faits, les décisions, les choix accomplis face au réel, l’attitude devant l’adversité, je ne crois pas aux demi dieux sortis de rien envoyés du ciel pour sauver le pays et je n’ai absolument rien à faire de la créature médiatique qu’est Mme Maréchal.
      MT

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  16. fredericln dit :

    Il y a de ça. Pendant les 3 ou 6 mois avant une élection générale, les médias, dans leur ensemble, s’intéressent un peu au pays, puisqu’il va avoir du pouvoir ; ensuite, dès 20 ou 22h le soir de l’élection, ils s’intéressent au pouvoir en place, sur la longévité duquel ils misent : les théories économiques expliqueraient aisément ce comportement « bullish ».

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