Point de vue sur la crise des gilets jaunes

  1. L’un des aspects les plus spectaculaires des événements de ces dernières semaines tient au soutien massif aux gilets jaunes des quatre cinquièmes de la population. Le mouvement en cours, hormis les violences, les exactions, des destructions et profanations, a des explications profondes et anciennes. Il traduit la crise de la démocratie française et le sentiment des Français de ne plus être représentés ni écoutés au sommet de l’Etat.

  2. Ce sentiment ne fait que s’accroître depuis un demi siècle et il atteint aujourd’hui sa quintessence. Le sondage de CEVIPOL, selon lequel 88% des Français pensent que les politiques ne tiennent aucun compte de leur avis tout comme le vertigineux taux d’abstention aux législatives de 2017 (plus de 50%) sont le signe patent du divorce entre la nation et sa classe dirigeante et médiatique. L’explosion couvait depuis des années, sinon des décennies.

  3. Le système politique français a sa part de responsabilité. La personnalisation du pouvoir à outrance est au centre de la tragédie actuelle. Elle se traduit par l’étouffement de tous les relais intermédiaires avec la nation (ministres, parlementaires, élus, partis), tandis que la sublimation de l’image personnelle engendre une atmosphère éthérée, passionnelle, mélange d’adoration et de haine, donc dangereusement explosive. Elle écrase toute notion de vérité, d’intérêt général, de projet de société et de bien commun de la nation. Dans la logique de ce système, le discours et l’action politique se focalisent désormais sur la satisfaction d’un intérêt de vanité individuel et non plus sur celui de la collectivité. 

  4. La déflagration de ces dernières semaines a des causes directes qui sont politiques. Les conditions des élections présidentielles et législatives de 2017, le scandale Fillon qui a privé la France d’un débat d’idées et d’une salutaire alternance, a préparé un terrain propice à l’instabilité. Dès le départ, les conditions de l’élection du chef de l’Etat, avec l’adhésion initiale de 12% du corps électoral au premier tour dans un contexte extrêmement chaotique, puis à l’occasion d’une second tour sans enjeu face à la candidate du FN, fragilisaient sa position. Les événements actuels dérivent en partie d’un processus démocratique inachevé. 

  5. L’air du temps est imprégné de fausseté et de cynisme qui nourrissent une atmosphère délétère. La promesse d’un « nouveau monde » a fait long feu avec la succession des scandales. Le thème de la « transformation de la France » n’a pas non plus résisté à l’épreuve du réel: aggravation des déficits, des dépenses, de la dette, des prélèvements fiscaux et sociaux. Puis le refrain du « bien » post national et européiste contre la « lèpre populiste » a exacerbé les déchirements du pays. Par une succession de gestes, de paroles et de décisions – incompréhensibles – l’homme de l’Elysée s’est enfermé de lui-même dans sa propre caricature, image d’une élite hors sol et de morgue anti-peuple.  En 18 mois, cette posture a eu pour effet d’exciter les esprits et d’attiser les déchirures, débouchant sur un affaiblissement de l’autorité et de la confiance. 

  6. La nature même de cette crise donne lieu à une profonde incompréhension. Elle n’est pas seulement de caractère matériel. Les hausses de prix du carburant même excédant 3 et 6 centimes, sont fréquentes, depuis toujours, et bien que douloureuses, ne suscitent pas de réaction populaire. Cette fois, la nouvelle hausse annoncée, solennellement, cristallise un profond malaise dans les profondeurs de la nation, lié au sentiment d’un mépris de la classe dirigeante ou dominante envers les milieux populaires. Elle a pris une dimension emblématique. Cette annonce, dont le caractère inflammable n’a pas été perçu par les autorités du pays, focalise désormais sur elle un infini ressentiment.

  7. La cause initiale des événements, l’étincelle qui a mis le feu aux poudres repose sur une mystification. Le pouvoir a utilisé les mots de réforme, de transformation, et même de révolution (écologique), à propos du geste le plus tristement banal de n’importe quel gouvernement français: une augmentation de taxe ou d’impôt. Ce travestissement des mots a sans doute contribué à affaiblir la position des autorités qui ne peuvent même pas, aux yeux d’une frange de l’opinion qui les soutient habituellement, se prévaloir d’une véritable réforme courageuse et nécessaire de l’économie française. 

  8. Rarement dans l’histoire récente la situation politique n’aura été aussi fragmentée et volatile. L’Elysée affirme ne pas vouloir reculer. Paradoxalement, le choix du statu quo, qui repose sur des considérations d’image, aggrave un ressenti de déconnexion et d’indifférence à la souffrance populaire. Le bon sens devrait conduire le pouvoir, non pas à « reculer » sur une réforme, réforme qui n’existe pas, mais à tendre la main à la nation par un geste audacieux et inédit en France: le renoncement à une hausse d’impôt! Quels que soient les choix retenus, geste emblématique d’apaisement ou fuite en avant dans la confrontation, les dégâts sont irréparables. De toute évidence, les événements sont en train d’anéantir toute perspective d’un « mandat utile » pour les 3 ans qui viennent et compromettent la perspective de réélection en 2022.

  9. Cependant, par leurs gesticulations en plein cœur des émeutes, au risque d’attiser les violences, les leaders « anti-système » ont accru leur marginalisation. Quant à l’appel des Républicains à la tenue « d’un référendum sur la transition énergétique », il a été perçu comme décalé. La décomposition de la vie politique qui s’est manifestée avec l’effondrement des partis politiques traditionnels en 2017, poursuit donc ses ravages, voire s’accélère et prive le pays de toute issue apparente… 

  10. Les solutions politiques avancées par les oppositions ne sont pas de nature à régler le problème de fond de la fracture démocratique: la dissolution, le référendum, voire une nouvelle élection présidentielle anticipée n’offrent pas d’autre perspective qu’un éphémère répit. Remplacer des hommes ou femmes par d’autres, dans la même logique, le même système, produirait l’effet habituel d’euphorie médiatique, pendant six mois, les mêmes délires idolâtres, puis une course éperdue à l’image dans un tourbillon narcissique, et la rechute dans les ténèbres de l’échec, du lynchage, de l’impuissance et de l’impopularité absolue.

  11. Une authentique révolution démocratique est désormais indispensable: confier le pouvoir à un puissant Premier ministre sous le contrôle effectif d’un Parlement représentatif de la Nation; restaurer la mission de visionnaire  impartial et de sage au dessus de la mêlée du chef de l’Etat, garant de la sécurité et du destin national; associer la nation à la vie publique du pays par un recours fréquent au référendum; renforcer la démocratie de proximité, communale et le respect des pouvoirs locaux; reconstruire un système de partis politiques digne de la démocratie française.                                      

Maxime TANDONNET

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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63 commentaires pour Point de vue sur la crise des gilets jaunes

  1. Georges dit :

    Comme avant-guerre la corruption exponentielle touche toute l’Europede l’ouest et l’on s’etonne d’une résurgence de lutte des classes.

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  2. Citoyen dit :

     » Il traduit la crise de la démocratie française et le sentiment des Français de ne plus être représentés ni écoutés au sommet de l’Etat.  »
    En fait, Maxime, pour affirmer qu’il y a crise de la démocratie, il faudrait considérer que ce pays est encore une démocratie. Or, depuis pas mal de temps déjà, les français se sont aperçus que ce n’est plus le cas … Et en plus, ça s’est pas mal agavé ces derniers temps.
    Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que la population retire sa confiance à l’état, ou soit tentée de contester sa légitimité.
    Les élus, tout comme les hauts fonctionnaires, ont perdu de vue une notion élémentaire, qui veut qu’ils sont payés par les contribuables pour agir en leur nom, dans leurs intérêts, et non pour le leur.
    De nombreux éléments, comme dernièrement le racket à 80 sur les routes, montrent que l’état est largement sorti du cadre pour lequel la population le mandate …. A leur manière, les français lui font savoir … C’est le signe qu’il ne se sont pas assoupis …
    Et là, le sinistre Edouard propose un simple moratoire sur des taxes perçues comme iniques, résultantes d’un autoritarisme d’écolo-bobos hors sol … dit autrement, pour cette proposition, c’est se foutre ouvertement de la gueule du monde …
    Et cela, sans oublier le silence radio pour le racket sur les routes … A ce sujet, selon les infos disponibles, il n’y a que 600 machines à sous qui ont été malmenées sur le bord des routes … Les GJ ont donc de la marge. Quand ils auront grillé la totalité du parc, peut être qu’en face, ils sortiront de leur sommeil …
    Dans le même esprit, une préfecture a eu des chaleurs …. Il leur en reste pas mal à flamber.
    Cela laisse entrevoir que nous ne sommes qu’au début des problèmes, auxquels vient, dans quelques jours, s’en rajouter un autre, gigantesque, avec le pacte de l’ONU …
    Les français vont finir par entrevoir que non seulement la caste ne fait plus partie de leur pays, vit dans une autre dimension, mais qu’en plus, elle est devenue leur ennemi.
    Ce qui ne présage rien de bon …

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  3. Timéli dit :

    Macron est à bout de souffle, usé, alors qu’il n’a que 18 mois de pouvoir. Sans doute était-il trop jeune, sans doute manquait-il d’expérience politique pour diriger et gouverner le pays. Son bilan est accablant et insignifiant depuis qu’il est président. Il a été jusqu’à renier son propre électorat. Sa mort politique est aujourd’hui bien réelle. Il devrait démissionner, mais son orgueil le pousse à rester, alors qu’il a perdu le soutien d’au moins 80% des Français ! Macron a oublié que son quinquennat avait été bâti sur un premier tour détourné par les affaires (je devrais écrire plutôt organisé) et sur un second tour caricatural. L’explication de son échec est là. Elu par erreur, il se maintient par lâcheté.

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  4. Bernderoan dit :

    Mon cher Maxime, sans vouloir le dire, vous proposez l’avènement d’une sixième république, sachant que la Vème ne peut être rafistolée.
    Me trompe-je ?

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    • Bernderoan, ben, oui et non,je sais pas, c’est pas vraiment une affaire de numérotation de république, c’est la république tout court que je souhaite, un Parlement qui vote les loi et contrôle, un PM qui gouverne, un président qui fixe le cap impartial et ne se mêle pas du quotidien, un peuple qui vote librement, c’est le B-A BA de toute république qui se respecte…
      MT

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    • Mildred dit :

      N’est-ce pas plutôt le B-A BA de la plupart des monarchies constitutionnelles d’Europe ?

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    • Mildred, oui, aussi.
      MT

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  5. michel43 dit :

    pauvre Philippe ,,,il ne connais pas le peuple du milieu et d’en bas ,eux vont continuer, cars rien sur le smig ou si peu , rien sur les retraites , et dans six mois , reballotte ,alors gilets jaunes CONTINUER

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  6. Annick Danjou dit :

    https://fr.news.yahoo.com/paris-appel-solennel-l-h%c3%a9bergement-migrants-172428499.html
    Lisez les commentaires liés à cet article, cela montre l’exaspération des citoyens.

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  7. astrojournal dit :

    Certes vos paroles sont justes et sages. Mais le mouvement des gilets jaunes détournent notre regard d’un évènement bien pire encore. Le chef de l’état s’apprête, tout seul, sans concertation aucune, ni des Français, ni de leurs représentants au parlement, à signer, le 11 et 12 décembre 2018 à Marrakech, le Pacte Mondial pour les Migrations (Global Compact for Migration), qui va engager la France dans l’accueil de centaines de milliers de migrants, voir de millions, surtout africains. La France aura une obligation d’accueil, d’hébergement, de soins, d’éducation, sans qu’il en coûte rien aux migrants.
    Il n’y a rien dans les 42 propositions des gilets jaunes contre l’arrêt des migrations. Leur manque de culture politique ne leur permet pas de voir ce qui se profile dans leur dos, leur propre remplacement.
    Que comptez-vous faire, avec vos amis politiques, pour empêcher que M. MACRON ne signe l’arrêt de mort de notre nation. Un bel article ne suffira pas.

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    • astrojournal,mais je n’ai pas plus d’influence que vous, et pas d’ami politique, si un ou deux, mais ils pensent comme moi et sont tout aussi impuissants!
      MT

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    • Tracy LA ROSIÈRE dit :

      Réponse à M. Tandonnet :
      Il faut , pour le moins, INFORMER.
      Pour ma part je l’ignorais et j’apprends donc cette ignominie par le biais d’un « quidam » (terme que j’emploie dans le sens d’un « inconnu ») . Vous avez un statut d’élite qui vous confère, à vous intellectuel et vos amis politiques, une haute responsabilité, sinon l’obligation d’éclairer !

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    • artofuss dit :

      Astrojournal, vous avez totalement raison et il faut absolument inonder le web d’informations et de cris d’alarme en ce sens, puisque c’est à peu près tout ce que nous puissions faire, sauf à avoir des influences sur les GJ. Ce qui nous guette est sur le long terme cent fois pire que les (bien réelles) difficultés financières des ménages et du pays. Cela dit, je ne pense pas que notre hôte soit beaucoup mieux équipé que nous en ces matières, sauf à lui demander de se faire hara-kiri. Allez, à nos claviers, et, pour ceux qui sont encore assez valides, à nos banderoles !…

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    • astrojournal dit :

      Merci. C’est ce que je fais à partir de mon blog, à mon humble échelle, tel un colibri.

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    • PC dit :

      En effet, il semblerait qu’il n’y ait qu’en France que les mass media ne s’emparent pas du sujet du Pacte de Marrakech. La révolte des gilets jaunes aurait été une belle occasion de démontrer une opposition massive à cet engagement suicidaire de mon point de vue, car il ne fera qu’encourager des flux migratoires déjà délirants.
      Mr Tandonnet, vous qui avez accès entre autres au Figaro (Figaro Vox), avez-vous un moyen de faire en sorte que ce sujet majeur soit exposé au français dans ce journal ?

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    • PC, non sur le Figaro papier, je ne l’ai pas, sur le Figaro Vox, peut-être, mais il me semble que le Figaro vox a déjà fait beaucoup sur le sujet.
      MT

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    • astrojournal dit :

      La plupart des GJ n’ont sans doute même pas connaissance de se qui se prépare.

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    • Annick Danjou dit :

      https://fr.yahoo.com/news/chaos-total-remplacement-peuples-explique-153942367.html
      Ils commencent à le découvrir et je pense que si E Macron y va il y aura des réactions désastreuses de la part des GJ

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  8. Tracy LA ROSIÈRE dit :

    MORATOIRE SUR LES TAXES…
    NON !
    C’est la suppression de cette disposition que nous réclamons, l’annulation de la précédente et le retour de l’augmentation de la CSG pour les retraités.
    Ça ne peut pas se terminer avec ce type d’enfumage.

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  9. Jordi dit :

    Les questions posées par les gilets jaunes me paraissent plus sociologiques que institutionnelles. Vos onze points sont justes, et proposent des solutions, oud es éléments de solution.

    Le gros reproche qu’on peut faire aux institutions, c’est qu’elles ont été captées par certaines sociologies (plutôt urbaines, aisées, gagnantes de la mondialisation et cosmopolites), et savamment verrouillées. Le financement public de la presse ou de la culture n’est rien d’autre que le financement d’une propagande plutôt « bobo » au frais du contribuables.

    Je vais me permettre de donner deux liens, un donné par Mildred plus haut sur une excellente interview de Zemmour:
    https://www.radioclassique.fr/radio/emissions/matinale-de-radio-classique/esprits-libres/

    Et un autre sur un article de Marianne qui buzze un peu
    https://www.marianne.net/politique/candidat-des-premiers-de-cordee-la-campagne-presidentielle-d-emmanuel-macron-ete-financee

    Macron à été élu par une sociologie très étroite, et ne gouverne que pour elle. Vos tentatives d’appeler à un bien commun ou un consensus me paraissent vaines tant vous refusez de voir la réalité de deux France qui se font face.

    Les institutions Françaises, et leur côté « Winner Takes All », sont parfaitement inadaptées à la gestion de ce type de fractures sociales. Une Assemblée Nationale élue à la proportionnelle intégrale, tandis que le Sénat garderait son fonctionnement actuel, seraient un début de réponse.

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