Le salut par la pensée

Voici de brefs extraits d’une interview de M. Michel Onfray par M. Vincent Tremolet de Villers, parue dans le Figaro de ce matin. J’aime tellement ce texte que je ne peux m’empêcher d’en publier quelques extraits ici. Le premier paragraphe, surtout, est bouleversant. Qu’un intellectuel contemporain puisse dire des choses aussi vraies et aussi belles, suffit à nous rendre l’envie d’y croire [Ci-joint image de la « Petite fille espérance »]

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« Je sais que je suis mortel depuis bien longtemps puisque, fils d’un père qui le fut tardivement, j’ai toujours craint cette mort d’un père aimé parce que son âge me donnait l’impression qu’il était plus proche du trépas que les parents de mes copains d’école qui étaient plus jeunes. Voilà pourquoi, sourions un peu, je témoigne de la fausseté du complexe d’Œdipe qui n’a rien d’universel: je n’ai jamais désiré la mort de mon père et encore moins coucher avec ma mère… Dès lors, quand Horace invite à cueillir dès aujourd’hui les roses de la vie parce qu’elle est brève, je sais depuis que j’ai une dizaine d’années qu’il dit vrai. […] »

« […] Je crois aux idées que je défends et c’est ce qui justifie chez moi une activité que je dirais militante depuis des années et dont vous venez de souligner à juste titre le caractère frénétique: je ne souhaite pas laisser le monopole d’une vision du monde faire la loi contre les gens les plus modestes à l’ère des médias de masse qui endoctrinent à tout-va et des réseaux sociaux qui disent n’importe quoi… Je crois au beau projet de Condorcet qui proposait de «rendre la raison populaire», qui plus est dans une époque folle qui aime tellement rendre la déraison populaire… C’est, à mes yeux, ce qui justifie l’activité philosophique: porter la raison sur les lieux même de la déraison. »

« [Sur la biographie d’André Sernin : Alain. Un sage dans la cité]: On y lisait des choses terribles, notamment qu’Alain préférait une paix obtenue par une hitlérisation de l’Europe à une guerre antinazie conduite par le général de Gaulle! Pour autant, je ne suis pas des néo-épurateurs qui se font une virginité à peu de frais en invitant à de nouveaux bûchers – qui supposent en passant qu’on débaptise des rues: je serai le premier à me battre pour que la rue Alain de Paris reste une rue Alain, idem avec une rue Aragon ou Éluard, eux aussi coupables de complaisances avec le nazisme – je vous rappelle le pacte germano-soviétique… Je suis pour qu’on lise Céline et Aragon, Brasillach et Éluard, Maurras et Lénine, Alain et… Sartre ou Beauvoir! Il nous faut des historiens, pas des épurateurs – même si je n’ignore pas qu’il existe aussi des historiens épurateurs, qui tiennent d’ailleurs le haut du pavé institutionnel […] Le néopuritanisme qui sévit actuellement n’aspire qu’à brûler des bibliothèques afin de ne plus autoriser que la lecture de tracts rédigés dans le volapuk de l’écriture inclusive, du genre: Martin.e chez les étudiant.e.s. »

« […] Tragique… Désespérément tragique… Fin de règne et triomphe du nihilisme. Lors de la libération de Tolbiac, j’ai pu lire (en regardant un journal télévisé) l’un des slogans qui avait été tagué sur toute la longueur d’un amphi: «Le nihilisme plutôt que le capitalisme!» Quand le nihilisme est revendiqué comme bel et bon, nous atteignons son acmé. Or, après le nihilisme, ça n’est plus rien, c’est moins que rien – ce qui, convenons-en, est peu au regard de ce que fut notre civilisation… »

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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26 commentaires pour Le salut par la pensée

  1. Ping : Choses lues, choses vues… – MEMORABILIA

  2. Colibri dit :

    « Le monde est aussi fait et surtout des « petits, des sans grades ». Le mépris et l’aveuglement prétentieux à leur encontre peut mener à la chute vertigineuse. »

    Dans un passé récent, un président de la République Française est venu à deux pas de chez moi. Je ne l’ai pas vu et il ne m’a pas vu. Ce n’est pas grave et ce n’est pas important. Je ne suis rien. Mais il n’a pas vu non plus celles et ceux qui avaient voté pour lui. Il ne s’est pas montré à eux. Ils l’ont vu à la télé au journal de 13h et de 20 h. Il était en campagne politique dans notre campagne lot-et-garonnaise. Le temps qu’il a passé parmi nous, il était très entouré par des personnes qui ont fait le nécessaire pour qu’il ne nous rencontre pas « pour de vrai ».

    Je me souviens ce matin de Dominique Strauss-Kahn. Beaucoup de médias affirmaient avant que nous ayons voté qu’ils seraient notre prochain président. Sa chute fut brutale. Le pouvoir
    destructeur des images d’un homme menotté, son visage anéanti, sa bouche soudain silencieuse, les mots à son égard qui tuent plus sûrement que le poignard de Ravaillac ont fait qu’il n’est pas devenu président de la République Française.

    J’ai été stupéfait en regardant Marine Le Pen partir en vrille en direct live devant des millions de Français lors de son débat avec non contre Emmanuel Macron. Je m’attendais à tout sauf ça.

    Et voici maintenant que depuis quelques jours « Moi (ex)Président » assassine à coup de mots qui tuent notre nouveau Président.

    Je ne sais pas où tout cela va nous mener mais… nous y allons…

    J’ai l’impression de vivre dans un Monde qui est devenu un immense écran de cinéma. Démultiplié par tous les écrans devant lesquels nous sommes en permanence 24h/24 : écrans de télé, d’ordinateur, de smartphone. Je suis devenu spectateur d’un film qui me dépasse et dont je ne comprends pas grand chose.

    Où nous mène tout ce cinéma?

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  3. Gérard Bayon dit :

    Bonjour à toutes et à tous,
    J’ai apprécié ces extraits et partage les idées qui y sont développées et pourtant je n’apprécie que très moyennement M. Onfray que l’on a quelquefois un peu de mal à lire et à comprendre, mais c’est bien-sûr le but de la philosophie que de bousculer les pensées trop rationnelles.

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  4. H. dit :

    Bonsoir Maxime,

    Michel Onfray est une personnalité complexe et paradoxale. Je n’ai pas aimé l’anticlérical militant qu’il était il y a quelques années mais je crois que sur ce point de vue, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et qu’il a beaucoup évolué. En témoigne ce qu’il a laissé après un séjour dans un monastère où il a eu des échanges soutenus avec des moines. J’ai écouté plusieurs de ses conférences qu’il a données à Caen sur France Culture et j’ai regretté de ne pas y avoir assisté. Les propos que vous citez ont quelque chose de rassurant et semble indiquer que toute raison n’a pas entièrement disparu de ce pays. Les bons raisonnements ne sont surtout pas le fait des tambours médiatiques et politiques mais le chemin est abrupt et difficile.

    Bonne soirée

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    • H, même sentiment sur le personnage!
      MT

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    • Tracy LA ROSIÈRE dit :

      Je ne regarde pas ONFRAY comme un anticlérical.
      Il est athée et aucune religion monothéiste ne trouve grâce à ses yeux. Il est toujours intéressant de relire son « Traite d’Athéologie » :
      La religion ? « Une invention des hommes pour s’assurer le pouvoir sur leurs semblables » (P.55) .  » les hommes fabulent pour éviter de regarder la vie en face » (p.23) . Les textes fondateurs ? Des fables ! La Torah, les Évangiles, le Coran, des fatras auxquels on peut faire tout dire et son contraire (p. 194,195) ! Les monothéismes partagent la misogynie, le dolorisme, la haine de l’intelligence, « la haine de l’ici-bas dévalorisé en regard de l’au-delà, seul réservoir de sens, de vérité, de certitude et de béatitude » (p.87), l’inclination à la soumission, la proximité, depuis la nuit des temps, avec les tyrans, les autocrates…
      Et pour paraphraser Houellebecq, la religion qu’il trouve la plus con c’est quand même l’islam…

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  5. Sganarelle dit :

    Impensable de juger et encore moins de faire un tri sur ce qui doit être lu ou non Maurras comme Céline Le talent est au-dessus des idées qui fassèyent au vent et quant à Alain , celui qui a dit:  » « TOUTE VERITÉ DEVIENT FAUSSE DÈS L’INSTANT QUE l’ON S’EN CONTENTE… »
    Il devrait aller au Panthéon rien que pour ça!

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  6. E. Marquet dit :

    Oui, c’est un texte juste, tout au moins l’extrait que vous nous faites partager.
    Et pourtant je n’apprécie pas du tout ce personnage. Intellectuel de gauche (c’est un pléonasme !), lâché par les siens depuis qu’il les attaque, il est, dans ses écrits, d’une mauvaise foi assumée, allant jusqu’à la contre-vérité sans aucun scrupule, d’un nombrilisme fatiguant, et semble refuser toute confrontation avec d’éventuels contradicteurs. Sa parole tombant de l’Olympe, je m’étonne qu’il puisse avouer se reconnaître «mortel depuis bien longtemps ».
    Ronsard plagiaire d’Horace !
    Horace, selon les traductions : « Jouis du jour présent sans te fier le moins du monde au lendemain », ou « Tandis que nous parlons, le temps jaloux aura fui : cueille le jour, sans te fier .. »
    Ma préférence va au « Sonnet à Hélène » de Ronsard : « si m’en croyez, n’attendez à demain, cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie ». Plus poétique, moins comminatoire.
    Horace convient mieux au Sieur Onfray.

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    • Citoyen dit :

      Je ne peux qu’adhérer à votre commentaire.
      A l’identique de quelques autres personnages, médiatisés comme lui, Onfray c’est un peu du tout ou rien.
      Ayant beaucoup lu, et analysé des textes de penseurs illustres, il leur arrive, à eux aussi, de produire des pensées intéressantes, qui souvent ne sont que compilation de ce qu’ils ont accumulé … Mais peuvent être dignes d’intérêt.
      Tout irait pour le mieux, si seulement ils se cantonnaient aux sujets qu’ils maitrisent, que ce soit la philosophie, la littérature, sinon la sociologie, ou même la psychologie, en évitant d’aborder les sujet où ils se décrédibilisent …
      C’est le cas avec Onfray, sur des sujet où ses racines gauchistes le rattrapent plus vite que son ombre …
      J’ai vu dernièrement une de ses vidéos YouTube, où il se hasarde, sur l’économie et la monnaie … Et je n’ai pu m’empêcher d’exploser de rire, tellement le grotesque le rattrapait à grande vitesse …

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    • E Marquet, merci pour ces intéressantes précisions sur Horace et Ronsard.
      MT

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    • Annick Danjou dit :

      Vous dites E.Marquet: Intellectuel de gauche (C’est un pléonasme). Cela m’énerve un peu car ,même si au fond je suis un tantinet d’accord et que j’en connais pas mal autour de moi, quand donne t’on en France la parole aux intellectuels de droite?

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    • astrojournal dit :

      Allez sur TV Libertés. Vous en entendrez toutes les semaines.

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    • E. Marquet dit :

      Annick Danjou, il vaut mieux garder vos pics d’énervement à des choses plus sérieuses. Le substantif « intellectuel » serait né au moment del’affaire Dreyfus. Dreyfusards contre anti-dreyfusards, Zola versus Barrès. Ce mot a depuis été jumelé à « gauche » et revendiqué comme tel, reflet d’un positionnement politique et éthique. Leurs descendants ont répandu leur logorrhée dans tous les médias qui leur sont acquis. C’est une spécificité française. Un acquis ……
      Mais rassurez-vous, les penseurs de droite existent, ils sont nombreux. Ce sont peut-être des pseudo-intellectuels comme disait Najat VB, mais eux, Ils pensent, réfléchissent, publient. Certains journaux leur donnent mème la parole. Les bonnes librairies les ont en rayon.

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    • Annick Danjou dit :

      E.Marquet, merci pour ces précisions cependant, qui va acheter les livres dont vous parlez dans de bonnes librairies ? Une poignée de gens cultivés comme vous, et qui écoute ceux à qui on donne la parole et qui ont le pouvoir d’endoctriner? La masse bien sûr!!! Nous (personnellement) en avons tant souffert de ces intellectuels de gauche que parfois, en effet, je m’énerve. J’avais pris l’habitude, qui n’est pas bonne, de dire « ces intellectuels de m… »et j’ai dû arrêter quand mon fils m’a demandé ce que je voulais dire par là!!!! J’ai tendance à être plutôt révoltée par ce qui se passe mais c’est sans doute à cause de mon parcours personnel. Il est vrai que sur un blog, on ne raconte pas sa vie n’est-ce pas?

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  7. Anonyme dit :

    assumer la « verticalité » du pouvoir … encore faut il en avoir la stature sinon les moyens …le monde est aussi fait et surtout des  » petits, des sans grades » le mépris et l’aveuglement prétentieux à leur encontre peut mener à la chute vertigineuse …

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    • Anonyme, exactement ce que je pense.
      MT

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    • Astrojournal dit :

      La question est de savoir si une société doit être, nécessairement, organisée de manière verticale, ou, autrement dit, pyramidale. C’est ce que pense M. MACRON qui a fêté sa victoire devant la pyramide du Louvre. C’est donc clair, il est en haut de la pyramide, et dit, à ceux qui sont en dessous, surtout à ceux qui constituent la base de la pyramide, comment ils doivent vivre, comment ils doivent penser, comment ils doivent se soigner (vaccinations obligatoires), comment ils doivent se nourrir, ce qui doit les émouvoir, quels médias ils doivent regarder, quelle histoire officielle ils doivent apprendre, quels livres ils doivent lire, quelle éducation sexuelle doit leur être enseignée.
      Pour se faire, il dispose de la force légale, d’un parlement à sa botte, de médias aux ordres en les finançant, et d’une Armée de fonctionnaires qui n’ont d’autre utilité, comme leu nom l’indique, que de faire fonctionner la machine étatique.
      N’y a-t-il vraiment pas d’autres façons d’organiser la société, de manière plus horizontale, ce qui suppose que chaque citoyen est responsable ? Je crains la réponse.

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  8. Anonyme dit :

    Merci pour cet article . Tellement essentiel de ne pas lâcher prise avec ce qui fait l’écriture et le contenu d’une civilisation …

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  9. astrojournal dit :

    Magnifique! je signe des deux mains.

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  10. artofuss dit :

    Très émouvant en effet, car très « vrai » au sens de modeste.
    Je n’ai pu ce matin m’empêcher de rapprocher les paroles de Michel Onfray de cet autre article du même journal où Monsieur Macron nous explique, lui, qu’il assume totalement la « verticalité » du pouvoir…No comments.

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