Discours de la servitude volontaire

Voici le résumé d’un texte important pour la réflexion, un grand classique, le Discours de la servitude volontaire, de la Boétie, que l’une de mes étudiantes en culture générale (Master I de droit, section Carrière publique à l’université de Paris-Est), Mme Sylia Allileche, a bien voulu m’autoriser à publier.

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Vous aussi avez été choqués par l’union paradoxale des termes « servitude » et « volontaire » ? Et pourtant, il s’agit d’un texte politico-philosophique écrit par un jeune érudit du XVI° siècle, qui n’avait que dix-sept ans à la rédaction de cet essai. La Boétie est mort à 32 ans mais il aura eu le temps d’écrire un de ses textes les plus connus: « De la servitude volontaire ». Oeuvre politique mais également littéraire et morale, La Boétie y étudie les rapports maître-esclave qui régissent le monde. L’Homme est par nature né libre et il est donc dénaturé (au sens propre) lorsqu’il obéit à un maître, un roi, un tyran. Dans ce court essai, le jeune auteur réfléchit au comportement du peuple, bien trop souvent soumis, et à l’attitude du tyran. 

E. Boétie, un nom bien souvent associé à celui de Montaigne, son ami, qui dit de lui : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. » Dans ce texte, la Boétie va analyser les raisons qui poussent un peuple à se soumettre à un tyran et la légitimité, l’autorité de ce tyran. Sa ligne : ce n’est pas le tyran qui confisque la liberté au peuple, c’est le peuple qui la lui donne. Les tyrans prennent le pouvoir, parce que les peuples veulent bien le lui donner.

Pourquoi il ne faut pas être soumis à un tyran :

On ne peut pas s’assurer qu’un tyran soit bon. En effet, dans le cadre d’un mauvais tyran, qui concentre les pouvoirs et qui est tout puissant, ne pas avoir d’éléments susceptibles de le contrer ou de le limiter est un réel problème. On ne possède rien sous sa tyrannie, sous le tyran, les individus ont une vie pauvre et sans liberté. Le tyran est amené à faire du mal pour susciter la crainte. Et comme il est tout en haut de la hiérarchie sociale, ses sujets ont tendance à l’imiter. Ce n’est ni plus ni moins que diviser pour mieux régner.

Il existe trois types de tyrans. « Les uns règnent par l’élection du peuple, les autres par la force des armes, les derniers par succession de race » : le premier accède au pouvoir par le vote, le second par la guerre, le troisième par la succession. Mais dans ces trois cas, le peuple n’a aucun choix.

« C’est un malheur extrême que d’être assujetti à un maître dont on ne peut jamais être assuré de la bonté, et qui a toujours le pouvoir d’être méchant quand il le voudra. Quant à obéir à plusieurs maîtres, c’est être autant de fois extrêmement malheureux. » 

Pourquoi est-ce que le peuple est fautif :

Le pouvoir du tyran est issu de celui que le peuple lui cède. Le peuple crée son propre bourreau en permettant au tyran d’exister. Dans cette société on a donc le pouvoir de tout un groupe, contre celui d’un seul homme, le tyran. Mais on remarque justement que c’est ce groupe qui est soumis et non pas l’inverse parce que les hommes ne veulent pas se battre pour leur liberté. De plus, il faut comprendre que le peuple est docile, la nouvelle génération fait naturellement ce que l’ancienne génération faisait sous la contrainte. La nouvelle génération confond donc son état naturel, être libre et son état de naissance, être esclave. Et ce qu’il dit, c’est que ce qui entérine la servitude, c’est l’habitude. Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genou.

La nature de l’Homme est d’être libre :

Si on parle des peuples libres, on doit forcement parler des grecs de l’antiquité. Ils représentaient le combat de la liberté sur la servitude. Imaginons deux armées rangées, prêtes à se livrer bataille, avec le même nombre de soldat, le même entrainement et la même technologie militaire ; sauf que l’une se bat pour sa propre liberté et l’autre pour la coloniser. On peut facilement affirmer que la première aura plus de chance de l’emporter. Et c’est pour cela que les grecs ont tenu si longtemps face à des peuples bien plus nombreux qu’eux.

Pour La Boétie, l’homme a un rapport étroit avec la liberté, c’est sa nature : P.17 « A vrai dire, il est bien inutile de se demander si la liberté est naturelle, puisqu’on ne peut tenir aucun être en servitude sans lui faire tort : il n’y a rien au monde de plus contraire à la nature, toute raisonnable, que l’injustice. La liberté est donc naturelle ; c’est pourquoi, à mon avis, nous ne sommes pas seulement nés avec elle, mais aussi avec la passion de la défendre ». Il définit donc la liberté comme étant un droit naturel.

Sa solution, pour que l’homme retrouve son état naturel :

Il faut comprendre la nature du pouvoir du tyran. En effet, le tyran s’entoure de personnes un peu moins tyranniques que lui, et celles-ci entourées de personnes un peu moins tyranniques qu’elles. Il ne faut donc pas attaquer le tyran directement, mais plutôt arrêter de le servir. Comme si l’on coupait les racines d’un arbre. Un tyran n’a de pouvoir que celui que lui accordent ses sujets :

«Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n’est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne vous les emprunte ? Les pieds dont il foule vos cités ne sont-ils pas aussi vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soir de vous-mêmes ? Comment oserait-il vous assaillir s’il n’était d’intelligence avec vous ?  Vous élevez vos filles afin qu’il puisse assouvir sa luxure, vous nourrissez vos enfants pour qu’il en fasse des soldats dans le meilleur des cas, pour qu’il les mène à la guerre, à la boucherie, qu’il les rende ministres de ses convoitises et exécuteurs de ses vengeances ».

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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33 commentaires pour Discours de la servitude volontaire

  1. CLAUDE YVES MARECHAL dit :

     » Et me semble plus misérable un riche malaisé nécessiteux, affaireux, que celui qui est simplement pauvre. […] Les plus grands princes et plus riches sont par pauvreté et disette poussés ordinairement à l’extrême nécessité. Car en est-il de plus extrême que d’en devenir tyrans et injustes usurpateurs des biens de leurs sujets ? »
    Michel de Montaigne

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    • Georges dit :

      Certes mais ce brave homme n’etait pas dans le besoin et certainement acoquiné aux puissants .

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  2. Septime pas sévère dit :

    La solution semble pleine de bon sens mais dans la réalité concrète les choses sont plus complexes. La Boétie voit un manque de volonté là où il y a un manque de capacité.
    Le grand nombre est une faiblesse contrairement à ce qu’on dit en général. La force réside dans la cohésion du petit nombre et dans sa capacité à pouvoir s’organiser de manière efficace. Le grand nombre n’est jamais qu’une somme d’individus isolés les uns des autres, ils forment un tas et non un tout. Je conseille de lire le court texte « Méditation sur l’obéissance et la liberté » de Simone Weil à ceux qui veulent continuer d’étudier le problème de la servitude. L’école élitiste en sciences politiques (Pareto, Mosca et Michels) fait aussi cette analyse en constatant que l’histoire du pouvoir malgré toutes les évolutions et révolutions est avant tout un cimetière d’aristocraties ou d’oligarchies, c’est toujours l’histoire du remplacement d’élites par d’autres.

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  3. Aldo dit :

    Crétinisme et bisounoursisme sont les deux mamelles de la propagande du nouvel esclavagisme mondial ; en semaine , les individus au travail sont soumis , se taisent , se cachent , par peur du chômage ; le weekend , le Pouvoir les font courir et jouer dans les stades , les forets , le long des rivières , afin que le cerveau soit en permanence déconnecté des réalités et ne soit pas sollicité par quelques réactions subversives .
    Qui a dit : donnez leur du pain et des jeux , et qui a dit plus récemment : donnez leur un transistor et un ballon et vous aurez la paix ?

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  4. Ping : Discours de la servitude volontaire | Raimanet

  5. Colibri dit :

    « Seuls nous ne pouvons rien, Ensemble, tout devient possible »

    Et que penser de la dictature de l’audimat, du sondage, de « l’opinion publique »?

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  6. de Cydelah dit :

    « Je pense depuis longtemps que si un jour les méthodes de destruction de plus en plus efficaces finissent par rayer notre espèce de la planète, ce ne sera pas la cruauté qui sera la cause de notre extinction, et moins encore bien entendu, l’indignation qu’éveille la cruauté, ni même les représailles et la vengeance qu’elle s’attire… mais la docilité, l’absence de responsabilité de l’homme moderne, son acceptation vile et servile du moindre décret public.

    Les horreurs auxquelles nous avons assisté, les horreurs encore plus abominables auxquelles nous allons maintenant assister ne signalent pas, que les rebelles, les insubordonnés, les réfractaires sont de plus en plus nombreux dans le monde, mais plutôt qu’il y a de plus en plus d’hommes obéissants et dociles.  »

    Georges Bernanos

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  7. E. Marquet dit :

    Oui, c’est un petit chef d’oeuvre. A remettre toutefois dans le contexte de l’époque, et de l’illusion naïve d’un être jeune, sincère dans sa révolte, croyant à l’utopie selon laquelle l’homme pourrait vivre dans un état de nature, sans société, sans gouvernement, et que cette situation ferait le bonheur de l’humanité. Eternel retour au Paradis perdu ! Rousseau reprendra le thème. Les anarchistes et les zadistes de NDDL aussi dans un autre style.
    Il est à parier que si La Boétie avait vécu, il aurait changé un tantinet sa vue des choses !
    La servitude infligée par le pouvoir d’un plus fort c’est une chose, mais que dire de la servitude des passions, des drogues, de l’argent, du sexe etc….
    Dans le texte de votre élève, La Boétie devient La Béotie, faute de frappe ?

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  8. Georges dit :

    Autant épingler le monde politique ,mandaté par le peuple pour mieux le plumer et ce sans respecter au passage le programme électoral qu’il a élaboré pour sa campagne électorale (l’appât du petit poisson).Les promesses sont faites pour ne pas les tenir.L’idéal :avoir un compte en banque anonyme dans un paradis fiscal tout en étant citoyen d’un pays où l’on n’est pas domicilié .

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  9. Gérard Bayon dit :

    Bonjour à toutes et à tous,
    Rien à voir avec le billet du jour…quoi que…
    Je viens d’entendre que des parents auraient demandé qu’un collège qui doit être appelé « Arnaud Beltrame » ne porte pas ce nom en raison des risques de représailles…
    Les bras m’en tombent devant tant de lâcheté, de couardise; d’agenouillement, de bêtise, de c…..ie.
    La France n’est vraiment pas prête à se tenir debout ! La crétinerie de masse que nous dénonçons tous ici n’est qu’un euphémisme, la décence et la politesse ne m’autorisent pas à écrire le vrai qualificatif qui caractérisent ces imbéciles indignes de se qualifier de « parents ».

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    • G Bayon, oui, j’avais vu, hallucinant…
      MT

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    • astrojournal dit :

      Un établissement scolaire n’a pas à porter le nom d’un militaire mort dans l’exercice de ses fonctions. L’école doit être lieu de connaissance et non de propagande. L’on peut appeler une école Blaise Pascal ou Lavoisier, mais pas Beltrame.

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    • Gérard Bayon dit :

      @astrojournal
      Je ne partage pas votre avis. Personnellement je préfère voir sur un établissement scolaire le nom d’un personnage courageux, héroïque et symbole d’abnégation plutôt que ceux de révolutionnaires cruels, assassins et tyranniques ou de chanteurs ou d’amuseurs publics. Chacun son choix.
      Cordialement

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    • Astrojournal dit :

      Ce n’est pas ce que j’ai écrit. L’école est un lieu de culture et d’apprentissage. L’on peut appeler une école Blaise Pascal, Ambroise Pare, Condorcet, Rabelais, Montaigne, ou, pourquoi pas La Boetie. Je ne crois pas que ces gens là soient particulièrement sanguinaires. Le mieux serait de ne pas leur donner de nom, mais il faut bien les différencier.
      Personnellement, je n’ai pas le culte de la personnalité.

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  10. Ping : A lire: « Ce n’est pas le tyran qui confisque la liberté au peuple, c’est le peuple qui la lui donne ». – brunobertez

  11. Gérard Bayon dit :

    Bonjour à toutes et à tous,
    Que pouvons-nous faire contre notre « tyran » républicain, celui qu’une minorité de la population a élu mais qui se trouve pourtant légitimement investi de tous les pouvoirs ?
    Dans une vraie démocratie où le peuple serait réellement souverain, il devrait être possible de renvoyer à tout moment le « tyran » arbitraire lorsqu’il abuse de son pouvoir, mais nous ne sommes plus en démocratie depuis que J. Chirac a ramené le mandat Présidentiel à 5 ans mais plutôt dans une autocratie où le « tyran » dispose de tous les pouvoirs sans aucune exception, le peuple est bel et bien à genou et soumis.
    Alors, cette fameuse Liberté que beaucoup de peuples nous ont enviée n’est plus naturelle pour les Français qui ne peuvent même la défendre.

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    • G Bayon, il ne dispose pas du pouvoir, mais de l’illusion du pouvoir, ce qui est encore pire.
      MT

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    • Astrojournal dit :

      C’est vrai que les Français ne peuvent pas virer le président de la république. Mais la faute n’incombe pas à la durée du mandat mais au fait qu’il n’y pas de séparation des pouvoirs. L’Assemblee Nationale n’est qu’une chambre d’enregistrement, le Sénat n’a pas de pouvoir législatif effectif, le parquet dépend du garde des sceaux. C’est donc un problème constitutionnel qui ne peut être réglé que par une assemblée constituante.

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  12. jfbonnin dit :

    Très beau texte, qui n’a guère pris de rides.
    Je suis tombé récemment sur : « Essai sur l’art de ramper, à l’usage des courisants », par le baron D’Holbach. Publié en 2017 par Editions Allia. ISBN 978-2-84485-952-5
    Je me suis autorisé cette dépense de 3, 10 €.

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  13. Bernard 06 dit :

    Ma journée sera meilleure après ça !

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  14. Stéphane B dit :

    Bonjour

    Très beau texte que celui de la Boétie et tellement vrai. Un autre texte qui explique cela vient de la philosophie sociale: « La soumission librement consentie » des professeurs Joule et Beauvois

    Votre étudiante a fait un excellent résumé. Dommage ce soulignage massif qui nuit à la lecture

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  15. Bonjour Monsieur Tandonnet. Ce texte est soit prémonitoire ou c’est l’histoire qui se répète, encore et encore. Ce qui veux dire que rien n’est gagné et que chaque génération doit conquérir sa liberté, et se battre pour sa liberté. Le problème, c’est le (progrès) soit l’endormissement par l’abondance.

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  16. astrojournal dit :

    La liberté est naturelle ! oui, si l’on voit comment vit le peuple des Jarawas sur l’une des iles Andaman. Ils vivent nus, sans chef, sans religion, vivant de la chasse, de la pêche et des bienfaits de la nature. Leurs journées sont ponctuées de chants et de rires. Un peuple parfaitement heureux jusqu’à l’arrivée de la civilisation avec ses prédateurs capitalistes et étatiques.
    Alors oui, la liberté est naturelle mais nous ne vivons plus, dans nos contrées, selon le rythme de la nature. La culture a remplacé la nature, et la culture n’est pas génératrice de liberté. Mais l’inverse. Avec la culture, l’homme a inventé le cadre de sa servitude : le pouvoir politique, le pouvoir religieux, les idéologies et toutes les règles et interdits que ces pouvoirs imposent à la multitude.
    Loin de nous assurer le bonheur et la paix, ces pouvoirs engendrent de la frustration, des ressentiments, de l’agressivité, voir de la haine, ce qui appelle à encore plus de servitude pour les contenir.
    Impossible de revenir en arrière, comme l’a rêvé Henry david THOREAU dans Walden. Nous sommes allés bien trop loin dans l’absolutisme culturel. Nous avons connu le bolchévisme, le nazisme, le fascisme, aujourd’hui l’islamisme. La technologie, loin de libérer l’homme, l’enferme dans une autre sorte de servitude.
    Le développement de toute égrégore est exponentielle. La servitude n’échappe pas à la règle. D’abord presqu’invisible, elle se développe comme un cancer. Rien ne peut l’arrêter, sauf à tuer la société elle-même. Celle-ci ne peut qu’évoluer comme l’on si bien imaginé les visionnaires ORWELL et HUXLEY.

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    • astrojournal, la liberté est naturelle? Je n’en suis pas sûr, l’instinct du troupeau est antérieur à l’instinct de l’individu comme disait je sais plus qui (Nietzsche je crois).
      MT

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    • astrojournal dit :

      Oui, bien sûr. L’instinct de troupeau c’est l’instinct de survie. L’homme peut-il vivre sorti du troupeau ? Certains peut-être, mais très peu en fait.

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