Réflexion sur le mouvement social (pour Atlantico)

1-Si seuls 42% des français trouvent le mouvement de mobilisation contre la réforme de la réforme SNCF justifié (IFOP pour CNEWS et SUD RADIO), ils sont 57% à estimer que la politique du gouvernement sur l’amélioration des services publics ne va pas dans le bons sens (ISPOS SOPRA STERIA. Or, dans un sondage datant de septembre 2014 (IFOP pour EY) 77% des français estimaient que le service public devait être préservé car il fait partie de l’identité française. Dans sa volonté de cibler les cheminots, le gouvernement n’est-il pas en train de manquer une dimension hautement politique qui est la défense de l’identité française au travers du service emblématique qu’est la SNCF? Un tel sujet pourrait-il, sur cette base, être une source de cristallisation du mécontentement des Français à l’égard d’Emmanuel Macron ?

 Il me semble qu’il y a deux sujets distincts dans ce dossier, celui du statut particulier des cheminots et celui de l’avenir de la SNCF en tant que servie public. Les sondages que vous évoquez marquent bien cette distinction dans l’esprit du public. Une majorité est favorable, dans un souci d’égalité, à ce qu’elle perçoit, à tort ou à raison, comme des privilèges des cheminots, sur l’âge de la retraite, la gratuité des voyages où les tarifs avantageux pour la famille. En revanche, il est certain que la remise en cause du service public de la SNCF, la privatisation du rail, c’est-à-dire le retour au régime qui prévalait jusqu’à 1938, n’est pas une idée populaire dès lors que dans l’esprit des usagers, elle se traduirait par une diminution de la qualité du service et une hausse du prix des billets. Pour l’instant, le gouvernement a réussi, par sa communication, à dissocier les deux volets de la réforme en se focalisant sur la réforme du statut des cheminots. Si l’opinion se persuade que la France se dirige vers une privatisation et une remise en cause du service public – malgré le démenti formel du gouvernement – la réforme peut très vite basculer dans l’impopularité. D’ailleurs, il faut toujours se méfier des sondages dans ce genre de circonstances. Aujourd’hui, peut-être qu’une majorité se déclare favorable à la réforme du statut des cheminots. Si le conflit s’enlise et si la vie des Français en est perturbée, l’opinion peut basculer à une vitesse vertigineuse…

 2-En quoi ce cas d’espèce masque-t-il une dimension nationale qui pourrait être masquée par une dimension sociale à laquelle s’attaque le gouvernement ? 

 Oui, en effet, le sujet ne peut pas se réduire à son aspect économique et social. Il peut s’enflammer et prendre rapidement une dimension politique nationale majeure. D’ailleurs, les arrière-pensées politique n’en sont probablement pas absentes. La France est confrontée à des enjeux colossaux, sur les banlieues, la sécurité, le chômage qui touche toujours au total environ 5 millions de personnes, la pauvreté, le déclin du niveau scolaire, la violence quotidienne, la dette public et les déficits sociaux. Pourquoi faire du statut des cheminots une priorité ? Les effectifs de la SNCF se sont effondrés : 500 000 en 1938, 213 000 en 1988 et 146 000 en 2016. A y regarder de près, le statut  des cheminots, par exemple leur rémunération (1658 € brut en début de carrière) ne semble pas scandaleux. En outre le gouvernement a déclaré qu’il ne toucherait pas au système des retraites ni aux facilités personnelles consenties aux cheminots. Dès lors c‘est probablement un choix politique, une question de symbole qui prédomine dans la position du gouvernement. L’image est au cœur de la politique moderne. Le pouvoir politique entre dans une logique de démonstration de force alliant une image d’autorité, de fermeté et de réformisme. La forme, me semble-t-il, compte au moins autant que le fond.

​3-Ne peut-on pas voir ici une symbolique opposant des « élites mondialisées » perçues comme composante du macronisme, accentuée par l’accusation d’une politique menée en faveur des riches par le gouvernement au reste du pays, marqué par un attachement au territoire qui peut être révélé par le cas de la SNCF ?

Ne parlons pas  « d’élites mondialisées » une formule très connotée. En revanche, le grand danger pour le pouvoir est que ce conflit s’enlise et soit ressenti, à un moment où à un autre comme un combat entre d’une part la bourgeoisie privilégiée et d’autre part la population des cadres, employés ouvriers, voire des retraités lésés par la hausse de la CSG. Le pire pour le pouvoir en place serait une cristallisation des mécontentements et des frustrations s’identifiant à la cause des cheminots. La réforme en cours de la SNCF correspond en partie à des orientations décidées à Bruxelles, même si cet aspect apparaît peu dès lors que la réforme dans sa présentation, est focalisée sur le statut des cheminots. Dans le climat actuel de l’Europe, avec le Brexit, les situations politiques en Allemagne et en Italie, la révolte de l’Europe centrale, nous pouvons avoir un effet de radicalisation de l’opinion en France contre une réforme qui apparaîtra comme ayant été imposée par une technostructure bruxelloise remettant en cause un service public du transport ferroviaire auquel les Français sont attachés. Il suffit sans doute d’une étincelle, d’un enlisement du conflit qui perturbe la vie quotidienne des Français pour que l’opinion bascule. Dès lors, cette opération présentée comme dirigée contre des avantages (réels ou supposés) d’une profession, pourrait être interprétée, dans l’esprit d’une majorité, comme une manœuvre globale contre les intérêts de la population. La situation deviendrait vite explosive. Il n’est pas certain que le pouvoir prenne ce risque. L’issue pourrait être de faire passer une réforme a minima, vidée de substance, qui ménagerait in fine l’amour propre de tout le monde.

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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24 commentaires pour Réflexion sur le mouvement social (pour Atlantico)

  1. 77cives445 dit :

    « Je ne sens pas de colère dans le pays » : notre président ne manque pas d’humour!Cependant il faudrait veiller à ne pas trop se comporter comme Ubu roi.Le père Ubu était un grand clown !!Il s’était tellement éloigné de son peuple qu’il ne sentait plus sa colère….

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  2. Georges dit :

    A ce rythme le communisme finira par renaître de ses cendres.

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  3. Sganarelle dit :

    Les cheminots ne paient pas les transports comme les employés de l’EDF se chauffent gratuitement ou la moindre hôtesse de l’air à la retraite voyage gratuitement c’est Logique sans doute mais que toute une famille soit bénéficiaire ça l’est moins. Ce sont ces accumulations de privilèges et avantages chez certains fonctionnaires qui esxaspèrent le citoyen qui n’a aucune sécurité d’emploi et peu d’avantages dans le sien et si on ajoute la mauvaise qualité des services qu’ils rendent les ressentiments et le goût inné que nous avons pour les « fallacieuses arguties  » et les révoltes de rue donnent la situation actuelle . Pour un mauvais service de la SNCF le citoyen lambda est peu enclin à soutenir un mouvement alors qu’il subit lui -même des taxes gouvernementales supplémentaires ( CSG) et des contraintes. . Dans notre République égalitaire les privilèges de certains sont insupportables , d’autres professions ont autant de responsabilités et de contraintes (et je pense entre-autres à la pénibilité de la profesion d’infirmière de nuit en charge d’un service hospitalier . ) résultat: quoiqu’´on en dise ce mouvement n’est pas populaire.

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  4. Citoyen dit :

     » … dans l’esprit des usagers, elle se traduirait par une diminution de la qualité du service et une hausse du prix des billets … »
    En voila, une phrase importante !…
    L’usager a de bonne raison d’être inquiet … Car dans un système normal, il serait obligé de payer le vrai prix du billet … Alors qu’aujourd’hui, quand il achète son billet, ce sont les autres qui lui en paient une bonne partie … Les autres, et plus particulièrement ceux, qui ne prennent jamais le train … On comprend donc son inquiétude (légitime) …
    Et sur la qualité du service, il n’a pas tort. Car si les autres ne lui payaient pas une bonne partie de son billet, … il aurait un service correspondant au prix réel où il paie son transport, … et inévitablement, la qualité s’en ressentirait grandement …
    Mais l’usager évite d’aborder des sujet qui pourraient être désagréables …
    Sinon, il faudrait aborder aussi le statut des cheminots, les retraites spéciales, la gabegie … et bien d’autres choses qui peuvent fâcher …

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  5. Jean Marc dit :

    80 milliards de déficit par an pour 18 millions de foyers fiscaux qui payent l’IR donne 4500 euros de plus d’impôts par foyer fiscal pour arriver à un simple équilibre sans remboursement de la dette.
    L’Europe n’est pas responsable de la gestion de la France.
    Il faut faire payer le vrai prix du billet au client.
    En auto avec 80 % sur l’essence le parcours seul coute moins cher que le billet de train.

    Un panorama des biens de la SNCF
    https://www.lesechos.fr/28/11/2017/lesechos.fr/030944031141_grandes-manoeuvres-dans-l-immobilier-de-la-sncf.htm

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  6. choix fatidiques dit :

    Pour ma part je soutiens sans aucune réserve les cheminots, et j’espère qu’ils auront gain de cause.

    Cette réforme et la mise en concurrence imposée par Bruxelles qui la motive sont contre-productives économiquement et nuisibles politiquement, le statut des cheminots n’a rien de scandaleux et l’organisation actuelle de la SNCF est satisfaisante.

    L’état des chemins de fer britanniques, les très fréquentes grèves dans les chemins de fer des différents pays européens (rarement mentionnées dans la presse française) montrent qu’elles n’ont même pas l’utilité espérée par les retraités néolibéraux du baby-boom d’affaiblir les moyens de protestation des salariés.

    Faut-il une réforme de la retraite des cheminots ? Je n’en sais rien, mais comme vous le dites elle n’est pas prévue ici. Et les fameux transferts vers les régimes spéciaux sont très majoritairement faits vers les ex-ouvriers agricoles et mineurs, contrairement à l’opinion savamment distillée chez les droitards pavloviens.

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    • Gérard Bayon dit :

      @choix fatidiques
      Vous avez une position pour le moins étonnante de vouloir soutenir une Entreprise endettée à la hauteur de 50 milliards d’euros et qui ne satisfait plus la majorité des utilisateurs.

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    • Infraniouzes dit :

      Effectivement, en commençant à privatiser le trafic passagers avec des cheminots embauchés sous un nouveau statut, cela pourrait faire apparaître 2 catégories de travailleurs; les nouveaux, devant travailler « au rythme du privé » et « les anciens statuts », sous la protection de SUD-rail et de la CGT, continuant de glander au gré des grèves et autres droits de retrait. Un sacré malaise comme dirait l’autre. Il vaut mieux avoir 40 Mds de dettes et faire croire qu’on a une SNCF géniale au service de tous que de battre sa coulpe devant l’immense gaspillage de cette société nationale à la sauce communiste; c’est moins dangereux et tant pis pour ceux qui ne prennent jamais le train.
      Quant à vos misères et grèves dans les chemins de fer étrangers, on aimerait bien connaitre vos sources. Affirmer c’est bien, prouver c’est mieux.

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  7. Gérard Bayon dit :

    Bonjour à toutes et à tous,
    En voulant utiliser les ordonnances pour réformer la SNCF et le statut des cheminots, le gouvernement espère éviter l’enlisement de ces dossiers. Malgré une Assemblée Nationale à sa botte, il n’est pas sûr qu’il y arrive tant les syndicats des cheminots sont décidés pour le moment à lui mener la vie dure. Tout dépendra à mon avis de la réaction de l’opinion publique et du ressenti des conséquences du mouvement de grève original mais plus perturbant qu’il n’y parait.
    Ce qui me parait surprenant c’est le retour en première ligne des opposants à ces réformes d’O. Besancenot qui tient un discours certes démagogique mais moins agressif et sans doute plus audible et mieux compris de la population que celui de J.L. Mélenchon pour le moment absent du débat ou ceux, archaïques, de certains leaders syndicaux.
    Je crois que l’intervention d’O. Besancenot n’est pas le fruit du hasard mais le signal de l’organisation préparée d’une cette opposition en mal de leader crédible.
    Sa petite phrase : « on est tous le cheminot de quelqu’un d’autre » parle à l’opinion publique et risque si elle est bien exploitée de faire dégénérer et d’étendre le conflit à d’autres catégorie de salariés. Il conviendrait donc d’être très attentif dans les prochains jours aux paroles de ce tribun.
    Autre réflexion : avec les autres réformes à venir (?) et si ces deux premières réformes sont menées à terme et réussies, le gouvernement entamerait la grande réforme du modèle social Français ce qui constituerait chez nous une première depuis le début de la Vème République, à la condition que toutes ces réformes ne soient pas une fin en soi mais s’inscrivent dans un vrai projet sur le long terme, là encore rien n’est gagné avec nos politiciens actuels et leur seule ambition de paraître et de court terme.

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  9. Gérard dit :

    Grèves à répétition, souvent inopinées, mépris du client, syndicats qui imposent leurs lois à la hiérarchie, impolitesse des contrôleurs, train supprimés sans explications, etc….etc….Nous avons tous en mémoire une mésaventure avec ce soi disant  » service public  » au rabais….
    La réforme de ce moyen de transport doit se faire, réquisition du personnel, licenciement sans pitié des fouteurs de m….bref une réorganisation complète du système avec le recours des forces de l’ordre si nécessaire.

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    • Gérard, oui! comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes!

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    • Mildred dit :

      @ Gérard
      « … avec le recours des forces de l’ordre si nécessaire » et au besoin tirer dans le tas, comme pendant la grève des mineurs de 1948 !

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    • Gérard dit :

      Maxime, je suis entré par voie de concours à l’ORTF en 1971, j’ai vécu la grande réforme de cette institution qui a éclaté en plusieurs sociétés, je me suis retrouvé salarié de TDF ( Télediffusion de France ) j’ai participé au développement de la 3ème chaine, l’arrivée de Canal +, la 5 et la 6, la libéralisation de la bande FM, la Haute autorité, la CNCL, j’ai été détaché pour me retrouver au CSA, le mariage avec France Télécom puis la séparation avec cette entreprise elle aussi réformée, je me retrouve de nouveau à TDF, mise place et développement de la TNT…..aujourd’hui TDF ( une entreprise qui ne fait jamais parler d’elle dans le mauvais sens ) reste une entreprise prestigieuse, continue à se développer en France comme en Europe, réalise des bénéfices, et recrute….
      OUI ! les réformes sont nécessaires, la SNCF est une entreprise figée, vieillotte et sclérosée, une honte.

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    • Gérard dit :

      à Mildred,  » tirer dans le tas  » trouvez vous nécessaire d’exhumer Jules Moch

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    • Colibri dit :

      @Mildred, j’ai bien conscience que nous sommes rentrés dans une époque où beaucoup de monde a la gâchette facile mais je ne pense pas que tirer sur des grévistes soit une bonne idée. La situation d’aujourd’hui n’est pas celle de 1948. https://secondeguerremondialeclairegrube.wordpress.com/2016/01/03/jules-moch-repressif/

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    • Colibri, dans mon livre Les parias de la République (Perrin 2017), j’ai clairement démontré que la réputation de Jules Moch comme assassin de la classe ouvrière était une légende noire bâtie par les communistes pendant la guerre froide.
      MT

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    • Mildred dit :

      @ Gérard
      J’ai innocemment cru, qu’ayant lu mon premier commentaire à monsieur Tandonnet, il serait évident que la réponse que je vous ai faite ressortait du second degré. Cela n’a pas été le cas et je le regrette.
      Mais à propos, vous ne nous avez toujours pas dit ce que vous attendiez exactement du « recours aux forces de l’ordre » contre cette « entreprise figée, vieillotte et sclérosée » ?

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    • Colibri dit :

      @MaximeTandonnet, je n’ai pas lu votre livre et je n’étais pas né à l’époque mais je sais que votre remarque est justifiée. Et parmi plusieurs liens que j’aurais pu mettre j’ai choisi celui de Claire Grube car elle termine son blogon par deux textes écrits de Jules Moch et elle en donne les références. Je n’avais pas compris que Mildred s’adressait à nous au second degré.

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    • Colibri dit :

      @maximetandonnet, dans le commentaire que vous me faites vous avez écrit Jules Moche au lieu de Jules Moch, lapsus bien sûr à moins que vous ne lisiez Jules Moche sur le Figaro.fr? 🙂

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    • Colibri, merci de me signaler, un lapsus, je ne pense pas car j’ai une vraie admiration pour lui depuis mon livre.
      MT

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  10. Mildred dit :

    Monsieur Tandonnet,
    L’idée la plus folle étant tout de même de réussir une réforme de la SNCF contre les cheminots !

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  11. Au-delà des tactiques politiciennes à la petite semaine (faire semblant de réformer, désigner des boucs émissaires…), la question qui n’est pas souvent posée est le type de société vers lequel Macron veut aller. Manifestement il n’est pas attaché aux questions d’identité et s’accommoderait parfaitement d’une mondialisation favorisant des ultra-élites apatrides régnant sur des masses dont elles se soucient peu.

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