Mes « ognons »

sans-titreUne grande réforme de l’orthographe est en cours, passée plus ou moins inaperçue dans la tourmente de l’actualité. Elle vise à une simplification et à aligner l’écriture de certains mots sur le langage oral. Oignon, par exemple, s’écrira ognon, certains accents circonflexes disparaîtront (pas celui-ci…). Les règles d’accord du participe passé doivent évoluer dans certains cas. Cette démarche, pour tout dire, me semble déplacée. Ce n’est pas que l’orthographe du français soit immuable et gravée dans le marbre à jamais, mais la logique sous-jacente à cette opération est inquiétante. Elle va dans le sens de la facilité, du renoncement, du nivellement. Elle semble dire: puisque les jeunes Français écrivent de moins en moins bien, la réalité orthographique doit se plier à la baisse du niveau. Elle va dans le sens de l’affaiblissement de l’enseignement, la baisse des horaires, l’abandon du latin et du grec. Au-delà des aménagements ponctuels qu’elle prévoit, elle est porteuse d’un message: il est légitime d’écrire comme on parle. Elle encourage ainsi la médiocrité. Les mots ont une histoire; la grammaire une logique, un esprit, une formidable richesse intellectuelle. Personnellement, moi qui suis bien loin d’être irréprochable sur le plan de l’orthographe, je dois dire que l’enseignement de la grammaire, dans le primaire et au collège, est tout bêtement la formation qui m’a le plus apporté.  La langue française est un trésor de précision, d’intelligence, de clarté, reconnu universellement. La voie est ainsi ouverte à une soi-disant simplification de l’orthographe. Elle est rien d’autre en réalité qu’un pas en avant dans l’appauvrissement de la langue française qui risque de faire précédent et d’être suivi d’autres initiatives de ce genre. Elle me semble dès lors dangereuse et regrettable. [J’espère n’avoir pas fait de faute d’orthographe, pour une fois, dans  ce billet…]

Maxime TANDONNET

A propos maximetandonnet

Ancien conseiller à la Présidence de la République, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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51 commentaires pour Mes « ognons »

  1. Curmudgeon dit :

    La citation de de Gaulle signalée par Janus est très intéressante. Mais pour l’apprécier, il faut se souvenir qu’à la veille de la Révolution, la France est encore le pays le plus peuplé d’Europe. On dit que, en 1700, un Européen sur quatre etait français. Il ne faut jamais sous-estimer ces données démographiques, et bien garder à l’esprit que les gros bataillons pèsent lourd.

    Mais par ailleurs, puisque le billet de Maxime Tandonnet concerne un aspect de la langue, dans cette France massive, la majorité des Français ne parlaient tout bonnemznt pas le français. Ils avaient pour langue maternelle soit une langue qui n’était pas la langue d’oïl, une langue romane ou pas, soit un dialecte d’oïl qui n’était pas le français standard. Selon l’enquête de Grégoire, il n’y aurait eu à la fin du XVIIIe siècle qu’un dixième des Français qui parlait couramment le français.

    Donc une grosse population essentiellement non-francophone fournissait le poids lestant une petite minorité francophone, laquelle rayonnait sur des petites minorités des autres pays européens. La situation était ainsi, à tous égards, profondément différente de celle d’aujourd’hui. Il est impossible de chercher à comparer les choses sans en avoir conscience.

    Ajoutons que de Gaulle sous-estime quelque peu le rayonnement du Royaume Uni au XVIIIe siècle.

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  2. Janus dit :

    «Tous ces socialistes, tous ces démagogues me font rigoler lorsqu’ils parlent de la position de la France dans le monde. Quelle présomption ! Ils en ont plein la bouche. A les entendre, la France a commencé à retentir aux oreilles de l’humanité en 1789! Incroyable dérision : car c’est au contraire
    depuis 1789 que nous n’avons cessé de décliner! 1789? Bah! Que font-ils donc du prestige intellectuel et spirituel de la France aux xvn » et XVIIIe siècles? »
    Sa voix se réchauffe lorsqu’il dit:
    « Nous étions alors universellement enviés. Prenez le xvnr’ siècle, par exemple. On ne pouvait se prétendre lettré en Europe si l’on ne savait le français. On ne pouvait pas lire, on ne pouvait pas échanger des idées, on ne pouvait pas s’instruire, o.n ne pouvait prétendre faire figure, si l’on ne savait pas le français! Depuis Athènes et Rome, le monde n’avait rien vu de tel, parce que, depuis Athènes et Rome, on n’avait vu pareille puissance. Il n’y avait alors aucune nation qui se pût comparer – et de loin – à la France: par IOn génie, sa civilisation, o.U sa fortune. Mais après, qu’avons-nous vu? Cet immense capital d’influence n’a fait que s’épuiser! Si bien que ces petits-
    bourgeois, tous ces petits professeurs socialistes, me font rigoler avec leurs leçons. Croient-ils, par hasard, que si l’on aime encore la France, c’est pour leur bla-bla? Se croient-ils encore enviés? Et si l’on aime encore la France le monde, comment ne voient-ils pas que c’est exactement pour les
    mêmes raisons qu’au xviii siècle et malgré leurs efforts pour faire disparaître ces raisons? »
    Général de Gaulle cité par Claude GUY décembre 1946

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  3. Curmudgeon dit :

    La citation de Joseph de Maistre par Janus doit être replacée dans son contexte et être saisie dans le cadre général de la pensée de son auteur (avec laquelle on peut ne pas être d’accord). Voir ici :
    http://sophia.free-h.net/spip.php?article299

    Indépendamment des conceptions (plutôt maximalistes) de de Maistre sur le péché originel et la « dégradation » humaine, on voit tout de suite que la citation porte en premier lieu sur les langues des « sauvages ».

    Selon une vue qui n’était pas rare à l’époque, ces langues étaient considérées comme « dégradées » par rapport aux langues les plus familières à des écrivains qui, par ailleurs, étaient dénués de toute connaissance sérieuse sur ces questions. Toute personne qui a pris la peine de consulter des descriptions de ces langues a vite fait de renoncer à l’idée irréaliste selon laquelle ces idiomes seraient « dégradés ».

    De Maistre pense aussi, certainement, que la Révolution française a gâté la langue. Mais c’est une thèse bien difficile à asseoir.

    Ensuite, non content d’asséner, sans aucun commencement de preuve plausible, que les langues des sauvages seraient dégradées par rapport à un état ancien supérieur, de Maistre, personnage doté d’un culot monstre, pousse jusqu’à affirmer aussi que (1) « toute dégradation individuelle » (toute : de n’importe quelle sorte) s’accompagne automatiquement d’une dégradation langagière, et cela (2) « sur-le-champ », et (3) d’une manière « rigoureusement proportionnelle » (il est apparemment capable de quantifier ça). Même en étant charitable devant les hyperboles, il est peu courant de rencontrer une absurdité idéologique aussi carabinée. Ça impliquerait par exemple que l’individu qui sombre dans tel ou tel vice voit la qualité de sa langue s’effondrer illico. Vraiment ?

    Il ne faut pas se laisser impressionner par les gens qui disent n’importe quoi, même quand ils sont célèbres.

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  4. Curmudgeon dit :

    Bien des auteurs se sont intéressés à des emplois dégradés des langues, par exemple sous l’effet d’idéologies politiques. C’est le cas d’Orwell cité ici (pour Joseph de Maistre, également cité, je ne connais pas assez le contexte), de Milton, de Gore Vidal, de Viktor Klemperer pour l’allemand des nazis, de Françoise Thom pour le russe des communistes. de Christian Delporte sur la langue de bois. On notera que, en général, ce qui a attiré l’attention de ces analystes, c’est le choix du vocabulaire, des expressions, et rarement l’orthographe ou la grammaire, et pour cause.

    Les déplorations auxquelles nous assistons se saisissent du prétexte du cout des ognons en période de weekend (plutôt que du coût des oignons le week-end) pour parler de tout autre chose, à savoir, à nouveau, un mauvais choix des mots. Et là il y a effectivement beaucoup à dire. Quand les ‘droits reproductifs’ succèdent à l »IVG’, qui succède à l »interruption volontaire de grossesse’, laquelle succède à l »avortement’, c’est sûr qu’il se passe quelque chose. Et qui n’a vraiment rien à voir avec le déplacement du tréma dans ‘ambiguë’ > ‘ambigüe’.

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  5. Curmudgeon dit :

    Merci à Annick Danjou pour la référence de l’article. Le finlandais a aussi une très bonne correspondance son / écriture. L’auteur est trop dur pour l’italien, parce qu’il est puritain au point de mépriser les digraphes, ce qui ne se justifie pas tellement. Une fois qu’on sait les interpréter, les digraphes du polonais et du hongrois remplissent aussi très bien leur office.

    La grande bataille n’a pas lieu d’être, puisqu’on peut évidemment garder l’orthographe courante. Donc si on est attaché aux accents circonflexes, en particulier,

    En simplifiant grossièrement, on dira que le problème de langues comme le français et l’anglais, c’est qu’elles ont connu une évolution phonetique mportante mais que l’orthographe est restée figée à un stade ancien. En somme, un mot comme ‘eau’ nous donne une image acceptable de la prononciation ancienne, mais comme celle-ci est devenue /o/ au fil du temps, la disparité écriture / prononciation est devenue considérable. De plus, à la Renaissabce, les érudits se sont amusés à introduire des lettres supplémentaires pour rappeler le latin, et elles n’ont pas toutes été éliminées par la suite.

    Enfin, dans les discussions sur la réforminounette, on remarque une tendance à tout mettre dans le même sac. L’orthographe (lexicale : l’observation de Claribelle est très juste) est une chose, la syntaxe et la morphologie en est une autre, et le choix des mots encore une autre. Une bonne louche de parti-pris politique par là-dessus et on obtient des récriminations de comptoir.

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  6. Danjou annick dit :

    @Curmudgeon, Belle page en effet et comme j’accepte « quand même » la contradiction, voici un article très intéressant et qui donne à réfléchir.
    http://www.causeur.fr/accent-circonflexe-reforme-orthographe-36682.html?utm_source=Envoi+Newsletter&utm_campaign=e80b14c486-Newsletter_10_12_15&utm_medium=email&utm_term=0_6ea50029f3-e80b14c486-57254413

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  7. Curmudgeon dit :

    Je ne comprends pas trop cette facilité, ce nivellement par le bas, cette décadence culturelle, qui fait qu’on s’abstient paresseusement de lire Molière en respectant l’orthographe (et les conventions typographiques) d’époque. Voici une page du Tartufe dans l’edition de 1669 :

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k701569/f30.image

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  8. Curmudgeon dit :

    Depuis que Guillaume du Bartas a publié La Sepmaine en 1578, c’est continuellement le nivellement par le bas, à cause de ceux qui nous gouvernent. La preuve, avant c’était mieux :

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1175722/f18.item.zoom

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  9. Curmudgeon dit :

    A Annick Danjou :

    Est-ce que vraiment l’orthographe anglaise des Américains est si spectaculairement abominable ?

    De toute façon, il se trouve que l’anglais est, avec le français, le tibétain, l’irlandais, parmi les langues dont l’orthographe est particulièrement compliquée. Un petit Italien apprend bien plus vite à se débrouiller avec sa langue. Pour quelle raison ?

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  10. janus dit :

    Le hasard de mes lectures m’amène à vous soumettre une autre citation : « En effet, toute dégradation individuelle ou nationale est sur-le-champ annoncée par une dégradation rigoureusement proportionnelle dans le langage » Joseph de Maistre Les soirées de Saint-Petersbourg. Si j’analyse la dégradation du langage actuel en France et dans ses hauts lieux et banlieues , nous sommes au bord de la catastrophe, selon l’hypothèse de de Maistre …

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  11. Annick Danjou dit :

    La facilité, le nivellement par le bas, regardez comment les américains écrivent pour répondre à Q, et le vocabulaire des jeunes américains, c’est affligeant. Mais bientôt avec les sms et tout le tintouin, nous échangerons par signes. Quant aux règles de grammaire et d’orthographe, cela s’apprend, ce sont de bons entraînements pour les méninges. Et Curmudgeon, on connaît le but poursuivi par les politiques au pouvoir et nous sommes en droit de nous opposer à leurs manigances. Oui, il s’agit bien de nivellement et de renoncement, c’est ainsi que je le ressens.

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  12. Curmudgeon dit :

    « Une grande réforme de l’orthographe » ? Vraiment ? Que dirait-on alors des modifications dans le dictionnaire de l’Académie française en 1740 et en 1835 ? Ça n’a vraiment rien à voir. Sommes-nous devenus des misonéistes endurcis au point que le toilettage le plus minime semble sonner le glas de la civilisation ?

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  13. Curmudgeon dit :

    Très instructive est la préface de la troisième édition du Dictionnaire de l’Académie (1740), qui opéra des changements importants, tant par leur visibilité que par le nombre des mots affectés (le quart de l’effectif total, dit-on).

    http://www.academie-francaise.fr/le-dictionnaire-les-neufs-prefaces/preface-de-la-troisieme-edition-1740

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